Vailhé, LETTRES, vol.2, p.141

27 apr 1844 Lavagnac, MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Il la remercie de sa franchise et va lui en témoigner autant. -Description de la nature printanière. -Il n’aime pas dans les lettres les expressions d’humilité. -Nature de ses rapports avec les âmes. -Son futur pensionnat de garçons. -Raisons de sa récente ouverture d’âme.

Informations générales
  • V2-141
  • 0+332|CCCXXXII
  • Vailhé, LETTRES, vol.2, p.141
Informations détaillées
  • 1 ABANDON A LA MISERICORDE DE DIEU
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 CONFESSIONNAL
    1 CONVERSION SPIRITUELLE
    1 CORRUPTION
    1 DEFAUTS
    1 DILIGENCE
    1 ENFANCE SPIRITUELLE
    1 FATIGUE
    1 FLEURS
    1 FRANCHISE
    1 HUMILITE
    1 LIVRES
    1 LUTTE CONTRE SOI-MEME
    1 MAITRES
    1 MALADIES
    1 PENSIONNATS
    1 RECONNAISSANCE
    1 REPOS
    1 TRAITEMENTS
    1 VIE DE RECUEILLEMENT
    2 GOUBIER, VITAL-GUSTAVE
    2 THERESE, SAINTE
  • A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS (1).
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • le 27 avril 1844.
  • 27 apr 1844
  • Lavagnac,
La lettre

J’ai reçu avant-hier, ma chère enfant, l’excellente lettre où votre charité vous fait vous occuper de moi d’une manière qui vraiment me va au coeur. Vous m’y dîtes des choses d’une vérité parfaite; et cependant, puisque je dois tout vous dire, quel sentiment, croyez-vous, est venu se mêler à ceux d’une vraie reconnaissance pour tout ce que vous me dites de bon? Celui que vous êtes extrêmement habile et que vous procédiez avec une certaine adresse. N’est-ce pas affreux de dire de pareilles choses à quelqu’un qui cherche à vous faire du bien? J’ai cru voir percer quelquefois le bout de l’oreille de la femme, et j’ai eu une impression de défiance. Il faut, sans doute, que j’en sois honteux pour oser vous faire un pareil aveu. Mais puisque vous me parlez, depuis quelque temps surtout, avec une si filiale franchise, il faut bien que je vous le rende. Toutefois, il faut vous dire aussi que c’est sans le moindre effort et que, si je vous dis tant de sottises, c’est parce qu’en ce moment je pense avec vous comme je penserais tout seul.

Vous voulez me recommander de me recueillir. Vraiment, je ne sais si je l’ai fait depuis quelques jours. Non que j’aie été bien dissipé mais quoique j’eusse de longues heures à moi, je ne les pouvais employer à autre chose qu’à penser à ce qui me venait par la tête. Or, ce qui m’absorbait le plus, sauf quelques plans d’irrigation, c’était notre magnifique soleil, les fleurs qui s’épanouissaient, les rossignols qui ont été en retard; et cela, non pour faire du symbolisme comme vous, mais uniquement pour me réchauffer au soleil, m’imprégner de sa lumière, voir les fleurs, entendre les oiseaux et respirer un air nécessaire à mes poumons. Tout cela est bien animal. J’y ai employé cependant huit jours sans trop de scrupule, parce qu’en arrivant ici j’ai été pris d’un gros rhume, résultat de ma fatigue du Carême.

Votre lettre est venue fort à propos pour me remonter un peu. Elle m’a valu un bon sermon; faites-m’en souvent de la sorte. Seulement, je vous conjure d’éviter les actes d’humilité, de vous trouver bien hardie, etc. Ce sont des choses que je n’aime point dans sainte Thérèse, à tort peut-être; mais je vous préviens que cela ne me fait pas un bon effet, parce que, convaincu comme je le suis que vous savez vous-même que ce que vous me dites m’est fort bon, je préfère cent fois mieux que vous me parliez tout rondement. Mais n’est-ce pas vous faire tomber dans le défaut qu’on me reproche avec tant de raison, et vouloir que, pour être ronde, vous deveniez sèche comme moi? Au fait, allez comme vous voudrez. Nous en sommes, Dieu merci, à ce que quelques phrases ou périphrases ne nous empêcheront pas de nous entendre.

J’aime beaucoup votre enfance qui vous fait souhaiter de me voir plus souvent. Cependant, je vais vous faire un aveu un peu humiliant et qui vous expliquera une partie de ma conduite. Je me laisse quelquefois impressionner par certaines personnes, mon imagination s’en frappe, mais si j’ai des rapports avec elles et que je ne trouve pas l’âme à l’unisson de l’extérieur, je les méprise; comme aussi rien de plus dangereux pour moi que la perfection de certaines personnes. Expliquez ce mystère. Ma pensée ne se fixe sur rien, et cependant je suis tout bouleversé. Leur sainteté décroît-elle, ou ai-je découvert ses défauts, je suis bien vite à l’aise. Expliquez-vous cela. Je ne dis pas qu’il n’y ait ici des modifications à observer dans les applications particulières, mais voilà la loi. Dans nos rapports je n’aperçois rien de ce genre. Peut-être l’y ai-je vu, dans le temps, un moment; mais actuellement, je suis dans une parfaite liberté d’effusion. Ai-je eu tort de vous parler ainsi? Sûrement, j’en aurais un très grand, si vous eussiez été toujours ce que vous voulez être depuis longtemps déjà! Et d’autre part, je ne puis vous dissimuler que l’expérience du confessionnal me montre tous les jours que Dieu m’a fait des grâces, que je ne comprends que parce que je vois un si grand nombre [de personnes] ou qui les ont perdues ou [qui] n’en ont pas été dotées. D’où je conclus à la nécessité d’une réserve qui tombe quelquefois dans une sécheresse d’autant plus forte qu’elle est aussi, sans doute, dans mon mauvais caractère.

Le seul bon conseil qu’on m’ait donné et qui m’ait réussi, c’est le mépris. Je le crois, en effet, le seul applicable à ma manière d’être, mais cela encore pousse à la sécheresse. L’occupation est aussi une distraction pour des tentations de ce genre. Cependant je m’efforcerai sérieusement de mettre votre conseil en pratique, d’autant plus que vous n’êtes pas la seule à me l’avoir donné. Je vous promets de vous tenir au courant de ce que j’aurai gagné sur ce chapitre, si toutefois je gagne quelque chose.

Vous ai-je dit que, de concert avec un autre prêtre, je m’occupais à monter un pensionnat de garçons? Il nous faut former un personnel. Nous avons des demandes incessantes. Si pourtant vous connaissiez quelque jeune homme d’un vrai talent, sans place et qui voulût par dévouement se livrer à l’enseignement, vous me feriez plaisir de me l’indiquer. Nous ne regarderions pas aux appointements, parce que vous pensez bien que nous ne voulons pas faire de cette entreprise une affaire de spéculation.

Je voudrais vous parler un peu de vous, et cependant pour aujourd’hui je n’en ai pas le courage. Il faut que vous me supportiez encore. Vous êtes surprise que j’aie eu de l’ouverture pour vous, mais que voulez-vous? Peut-être y a-t- il eu quelque chose de naturel dans la correspondance à une confiance qu’on me témoignait de si loin [z honte de dire de pareilles choses!). Je crois bien aussi, ma bonne fille, qu’il y a eu la pensée de trouver quelqu’un qui voulait bien aimer le bon Dieu et avec qui je pourrais apprendre à l’aimer un peu plus. La tête me tourne, lorsque je descends au fond de moi. Pas une seule démarche, pas un seul sentiment, que ne vienne souiller une pensée humaine; et cependant, il me semble bien, après tout, que c’est Dieu que je voudrais chercher, si je ne le cherche pas réellement. Après tout, je veux aller à la bonne et j’espère en Dieu.

Je n’ai, au milieu de ces crises, d’autre parti à prendre que de me jeter entre les bras de Dieu. Après la fatigue vient le repos, et c’est pour cela que je sens moins souvent le besoin d’une direction. La souffrance même me ramène à Dieu et sous la main de Dieu. Je vois ordinairement que l’humiliation, subie par la vue de ma corruption, est un principe de vie et de conversion.

Je vous remercie de vos livres; envoyez-les par la diligence.

Adieu, ma fille. Peut-être vous écrirai-je un autre jour. J’aurais bonne envie que vous oubliiez cette lettre. Je dirai pour vous la messe le premier dimanche de mai.

E. d'Alzon.
Notes et post-scriptum
1. D'après une copie. Voir des extraits dans *Les origines de l'Assomption*, t. II, p. 192-194, et dans *Notes et Documents*, t. II, p. 552 sq.1. D'après une copie. Voir des extraits dans *Les origines de l'Assomption*, t. II, p. 192-194, et dans *Notes et Documents*, t. II, p. 552 sq.