Vailhé, LETTRES, vol.2, p.148

12 may 1844 Alais, MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Réponses à diverses questions ou remarques de direction intérieure. -Nature de son oraison. -Ses indispositions. -Réponses à d’autres questions. -Le Tiers-Ordre de saint Dominique.

Informations générales
  • V2-148
  • 0+334|CCCXXXIV
  • Vailhé, LETTRES, vol.2, p.148
Informations détaillées
  • 1 ACTION DE DIEU DANS L'AME
    1 APOSTOLAT DE LA CHARITE
    1 CONFESSEUR
    1 LIVRES
    1 LUTTE CONTRE LE MONDE
    1 LUTTE CONTRE SOI-MEME
    1 MAITRES
    1 MEMOIRE
    1 NOTRE-SEIGNEUR
    1 ORAISON
    1 PARENTE
    1 PENSEE
    1 PENSIONNATS
    1 PIETE
    1 PREDICATION DE RETRAITES
    1 REGLES DES RELIGIEUX
    1 SIMPLICITE
    1 SYMPTOMES
    1 TIERS-ORDRE FEMININ
    2 BERULLE, PIERRE DE
    2 CARONDELET, MADEMOISELLE
    2 DOMINIQUE, SAINT
    2 MESNARD, MADAME DE
    3 ALES
    3 PARIS
  • A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS (1).
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • le 12 mai 1844.
  • 12 may 1844
  • Alais,
La lettre

Votre lettre ma chère enfant m’est arrivée hier à Alais, où je suis venu passer quelques jours encore pour aider à l’organisation de certaines oeuvres. Je vous remercie de tout ce que vous me dites. J’ai trouvé beaucoup de vrai dans vos paroles, mais je n’ai pas cru que vous m’ayez compris en tout. J’avais envie d’abord de profiter de vos avis et de ne vous rien dire sur les points où vous me sembliez vous méprendre. En y réfléchissant, j’aime mieux tout vous dire.

1° Je n’ai pas compris votre comparaison de l’homme qui va à travers champs. Je crois, en général, que je me fais une idée assez nette de ce que Dieu demande de moi pour mon intérieur. C’est bien plutôt de la direction de mon action extérieure que je suis embarrassé.

2° Peut-être trouvez-vous que je donne plus d’attention que je n’en donne réellement aux observations sur les personnes.

3° Vous avez parfaitement raison en m’engageant à chercher des remèdes convenables au caractère de ma grâce. Ceci m’a paru tout à fait bon et je vous assure que j’en profiterai.

4° Je crois que nous n’avons pas entendu le mépris, dont je me sers pour repousser certaines impressions, dans le même sens, mais qu’au fond nous sommes d’accord. Vous me dites que le mépris de soi, en Notre-Seigneur et dans les saints, vous paraît avoir été pénitence, oubli, souplesse, abaissement, douceur. Le mien me paraît surtout oubli et abaissement. Vous me parlez de sentiments inférieurs, que tout le monde éprouve et qu’il faut laisser au monde de leur être. J’appelle cela les mépriser. Cependant, j’avoue que vous avez pu être trompée par ce que je vous ai dit du mépris que m’inspiraient certaines personnes. Mais je ne vous ai point donné cette impression involontaire comme bonne ni comme moyen dont je voulusse me servir; c’est seulement le récit de ce qui se passe en moi et que j’ai tort de ne pas assez combattre.

Je vous remercie, du reste, de ce que vous me dites avec votre certitude féminine. Sur ce point, je suis tout à fait de votre avis et je tâcherai d’en profiter.

Vous trouvez que je ne parle pas assez de Notre-Seigneur. Je vous assure que vous m’étonnez, car ici on trouve que j’en parle sans cesse et que je fais toujours revenir sur ce sujet, mais je comprends très fort ce qui me manque. Ainsi, d’autre part, je vous donne encore complètement raison.

Vous avez raison de dire que mon oraison est pleine de distractions, et elle l’est en effet. Vous ne l’envisagez que comme un état de silence, et c’est bien ainsi que je l’envisage. Mais que vous dirai-je? Je n’y cherche aucune autre pensée qu’une impression d’abaissement, d’amour ou d’abandon, et pourtant je ne suis que bien peu maître de moi, tant je me suis vite abaissé, abandonné; je ne retire d’autre fruit qu’une grande conviction de ma misère et de mon impuissance.

Vous m’avez parfaitement prêché, et j’aime beaucoup que l’on me mène un peu tambour battant. Les observations que je vous fais n’empêchent en aucune façon les bons effets que votre lettre m’a apportés; aussi je vous prie de m’écrire quelquefois de la sorte. Pour répondre à ce que vous me dites de votre peu d’envie de me voir à une retraite, je vous dirai que j’aurais fort grand’peur de vous la donner, parce que vous me faites toutes l’effet d’avoir beaucoup trop d’esprit pour moi. Votre impression pour l’oraison me paraît admirable: c’est une grande grâce que Dieu vous accorde, vous donne ces vues.

Il faut qu’en passant je vous dise une chose qui, par moments, m’afflige et, en d’autres, m’est seulement le sujet d’un grand sacrifice, c’est que je perds la mémoire d’une manière étonnante. J’ai également un oeil devant lequel je vois souvent passer une mouche. Tout cela donne des avertissements qu’en effet je ne serai plus bon à rien, d’ici à quelque temps. La nature s’irrite d’avoir passé sans avoir rien fait; la grâce trouve là l’occasion d’accepter une mort anticipée. Il y a parfois des moments de tristesse; il y en a d’autres d’une joie souffrante et crucifiée.

Je n’ai rien à vous dire sur vos observations au sujet de la règle. Je suis en tout de votre avis, surtout pour la simplicité à inspirer à vos élèves.

Je vous remercie de l’envoi que vous me faites de M. de Bérulle. Pourquoi, je vous prie, l’esprit de piété, tel que vous le comprenez, ne se trouve-t-il que dans un livre si difficile à se procurer? Du reste, j’accepte bien volontiers le choix que vous voulez prendre la peine de faire pour mes lectures; je tâcherai d’en profiter de mon mieux et de laisser en attendant tous les modernes.

Je vous remercie encore de la peine que vous prenez pour mesjeunes professeurs. Vous me demandez des détails sur le pensionnat que je vous donnerai un autre jour, si vous voulez bien. Le temps commence à me manquer aujourd’hui. Mme de Mesnard(2), dont vous me parlez, ne serait-elle pas une demoiselle Carondelet? Parce que, dans ce cas, elle serait un peu de ma connaissance, ma famille serait alliée à la sienne, et je serais chagrin d’apprendre qu’elle a tourné ainsi.

Je ne vois absolument aucun inconvénient à ce que vous acceptiez chez vous le Tiers-Ordre de saint Dominique. J’ai des exemples de Tiers-Ordres établis ainsi dans des communautés d’un autre Ordre, sans qu’il en résultât autre chose qu’un avantage matériel pour la communauté. Quant aux confesseurs, je les approuve Dominicains, pourvu que vous vous sentiez toujours assez forte pour leur faire comprendre qu’ils ne sont que campés chez vous -Prenez garde autrement qu’ils ne finissent par vous absorber. Offrez-leur plutôt votre petite maison comme un moyen pour eux de pouvoir posséder un pied-à-terre, à Paris, que comme un droit que vous leur accordez d’être toujours vos directeurs. Il y aura sûrement, avant peu, des Dominicaines, et nécessairement alors ces bons Pères seront placés dans une fausse position vis-à-vis de vous, à moins que vous ne vous fissiez filles de saint Dominique.

Adieu, ma chère enfant. Priez pour moi, qui vous suis tout uni en Notre-Seigneur.

Notes et post-scriptum
1. D'après une copie. Voir des extraits dans *Notes et Documents*, t. II, p. 448.1. D'après une copie. Voir des extraits dans *Notes et Documents*, t. II, p. 448.
2. Cette dame de Mesnard dirigeait à Paris les Tertiaires dominicaines; il en est souvent fait mention dans la vie de *La Mère Marie de Jésus*, fondatrice des petites Soeurs de l'Assomption.