Vailhé, LETTRES, vol.2, p.160

24 jun 1844 Turin, MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

La rechute de son beau-frère empêche son voyage à Paris. -La stigmatisée de Lyon et la Soeur Thérèse-Emmanuel. -Autres extatiques ou stigmatisées. -Voeu qu’il vient de faire de refuser toute dignité ecclésiastique. -Son désir de consacrer sa vie à former une communauté religieuse. -Il retournera bientôt à Lyon. -L’extatique de Brescia.

Informations générales
  • V2-160
  • 0+340|CCCXL
  • Vailhé, LETTRES, vol.2, p.160
Informations détaillées
  • 1 ACTION DE DIEU
    1 AMBITION
    1 CONGREGATIONS D'HOMMES
    1 CONGREGATIONS DE FEMMES
    1 DEFAUTS
    1 DIGNITAIRES ECCLESIASTIQUES
    1 GENESE DE LA FONDATION DES ASSOMPTIONNISTES
    1 MALADIES
    1 RELIGIEUX
    1 RENONCEMENT
    1 SAINTE COMMUNION
    1 SANTE
    1 SOINS AUX MALADES
    1 TENTATION
    1 TRIOMPHE DE L'EGLISE
    1 VENDREDI SAINT
    1 VOEU DE TURIN
    1 VOLONTE DE DIEU
    1 VOYAGES
    2 HUGUENELL, MARIE-BERNARD
    2 MOERL, MARIA
    2 O'NEILL, THERESE-EMMANUEL
    2 PUYSEGUR, ANATOLE DE
    3 BRESCIA
    3 FRANCE
    3 LYON
    3 PARIS
    3 TURIN
  • A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS (1).
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • le 24 juin 1844.
  • 24 jun 1844
  • Turin,
La lettre

J’ai reçu aujourd’hui de Lyon la lettre que vous m’y aviez adressée et que j’ai fait venir, en voyant mon séjour à Turin se prolonger indéfiniment. La santé de mon beau-frère a, depuis que je vous ai écrit, subi une rechute qui me tient encore loin de la France pour huit ou quinze jours. Heureusement, il y a enfin un peu de mieux et, comme il se soutient depuis quelque temps, j’espère qu’il ne tardera pas à entrer en convalescence. Je ne puis vous dire quel sacrifice cette maladie me fait faire, car je vois bien qu’il me faut renoncer à aller à Paris, du moins pour quelques mois, et c’était au mois d’août que j’aurais eu le plus vif désir de m’y trouver. C’est une vive contrariété pour moi, je vous assure. Je tâche de l’offrir à Dieu du mieux qu’il m’est possible. Priez-le, de votre côté, afin que, si c’est sa volonté, les choses s’arrangent comme vous l’eussiez voulu.

Je vous remercie de ce que vous me dites sur Soeur Th[érèse]-Em[manuel]. Il y a là des choses qui m’ont beaucoup frappé. Vous me paraissez prendre beaucoup sur vous. D’autre part, je ne suis pas très déconcerté par la non-réalisation de la promesse du Vendredi-Saint, mais j’avoue qu’il y a là des choses qui me passent. J’aime mieux n’en rien dire, jusqu’à ce que j’aie des idées bien nettes, et je ne sais si je les aurai. Dans tous les cas, si je puis vous transmettre quelque chose de l’autre religieuse, je le ferai bien sûr. Celle-là est plus avancée, puisque le sang coule. Sa voie, autant que j’ai pu la connaître, a été plus simple, plus humble et plus égale que celle de Soeur Th[érèse]-Em[manuel](2).

J’ai vu, ici, un jeune religieux d’une Congrégation consacrée aux soins des malades, qui a habituellement des extases, ainsi qu’une religieuse d’une Congrégation nouvelle; car ce qui m’a frappé, c’est que, sauf Marie Moerl, de tous les extatiques ou stigmatisées que je connais, pas un n’est d’un Ordre ancien(3). J’y vois une raison dans l’approbation que la Providence semble donner aux efforts pour faire triompher l’Eglise. Je dois vous dire que la stigmatisée, dont je vous ai parlé d’abord, est en proie aux plus atroces tentations.

Mais c’est assez vous parler des autres. Puisque vous ne me parlez pas de vous dans votre lettre, je vais vous parler un peu de moi. Je vous avouerai d’abord avec une espèce de honte que j’ai fait ici un voeu, dont je ne sais que vous dire. Je fus extrêmement frappé, un soir, de l’état déplorable où l’ambition de certains menait l’Eglise, et aussi d’une autre chose dont j’ai perdu le souvenir. Je sais que le résultat qui me resta fut celui de renoncer à toute idée de dignité ecclésiastique, et le lendemain, à la messe, je fis le voeu de refuser toute charge dans le même sens que le font les Jésuites(4). Vous dire les impressions que j’ai eues après cela me serait difficile. Il y en a qui ne sont pas belles, tant s’en faut. Mais ce que je veux vous faire observer, c’est que, depuis lors, une idée que j’avais eue autrefois et qui n’était plus qu’à l’état de souvenir m’est revenue plus forte que jamais, c’est de me consacrer à me former une communauté religieuse. C’est vous dire assez combien je voudrais pouvoir causer avec vous; et pourtant, qu’est-ce que je suis capable de faire? Jamais je n’ai vu plus clairement ma lâcheté, ma nullité, mon inconstance, mon amour-propre. Quelquefois je me dis que tant de vilains défauts devraient m’ôter de pareilles idées de la tête, et quelquefois aussi je pense que Dieu, en me les faisant voir avec une telle évidence, veut seulement me prouver que si quelque chose s’opère, ce sera lui qui aura tout fait.

Vous me demanderez peut-être à quoi doit être bonne cette communauté. Hélas! ma chère enfant, si vous le demandez à ma raison, j’aurais un plan superbe à vous offrir; mais si vous le demandez à mon sens surnaturel, je vous dirai que je n’aperçois encore rien, et je me repose sur cette idée: Dieu le sait. Aussi (chose fort bizarre en un sens), il me semble que Dieu veut seulement que je me tienne prêt. Pourquoi? Je n’en sais rien, peut-être à partir pour l’éternité. Et cependant, il y a dans le fond de mon être une impulsion vers quelque chose, que je ne sais pas dans le détail, mais que je découvre cependant confusément. Il y a aussi le reproche de ne pas correspondre à la grâce. Priez pour moi, pour que je débrouille ce mystère. Je crois bien qu’aucun sacrifice ne me coûterait, si je voyais la volonté de Dieu bien manifeste.

Veuillez encore m’écrire à Lyon: j’y serai du 5 au 10 juillet, j’y passerai probablement à cette époque.

Adieu, ma chère enfant. Vous savez si je vous suis maintenant profondément dévoué.

J’oubliais de vous dire qu’on m’a parlé d’une bonne fille de Brescia, qui, plusieurs fois par jour, est prise d’un vif désir de la communion. On voit alors une hostie paraître dans le lieu où elle est et entrer dans sa poitrine. On garde encore la chose secrète.

Notes et post-scriptum
1. D'après une copie. Voir des extraits dans *Les origines de l'Assomption*, t. II, p. 240-242, et dans *Notes et Documents*, t. II, p. 556 sq., 562 sq.1. D'après une copie. Voir des extraits dans *Les origines de l'Assomption*, t. II, p. 240-242, et dans *Notes et Documents*, t. II, p. 556 sq., 562 sq.
2. La stigmatisée en question est Soeur Bernard [Sr M.-Bernard Huguenell (1820-1847) - précision communiquée par J.P. Périer-Muzet, ajoutée le 12.12.2000], religieuse de l'Institut de Marie-Thérèse, à Lyon, qui mourut en juillet 1847.
3. Maria Moerl, Franciscaine, célèbre extatique du Tyrol, vivait à Caldaro, dans le diocèse de Trente.
4. C'est au sanctuaire de la *Consolata*, à Turin, que l'abbé d'Alzon prononça ce voeu.