Vailhé, LETTRES, vol.2, p.228

10 feb 1845 Nîmes, MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Nouvelles diverses. -Il lit saint Thomas, la plume à la main. -Jugement sur Lacordaire. -Il ignore s’il aime encore à prêcher. -Qu’elle s’en tienne, pendant le Carême, aux pénitences de la règle. -Le dîner du 21 janvier. -Autres nouvelles.

Informations générales
  • V2-228
  • 0+369|CCCLXIX
  • Vailhé, LETTRES, vol.2, p.228
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DU CHRIST
    1 CAREME
    1 CRUCIFIX
    1 DEGOUTS
    1 EDIFICE DU CULTE
    1 EPOUSES DU CHRIST
    1 LACHETE
    1 LIVRES
    1 PORTEMENT DE LA CROIX PAR LE CHRETIEN
    1 PREDICATION
    1 REFUGE LE
    1 REPAS
    1 ROYALISTES
    1 THOMAS D'AQUIN
    1 VETURE RELIGIEUSE
    1 VIE DE SACRIFICE
    1 VOYAGES
    2 AFFRE, DENIS
    2 BEVIER, MARIE-AUGUSTINE
    2 CART, JEAN-FRANCOIS
    2 FRECHE, ABBE
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 GOUBIER, VITAL-GUSTAVE
    2 LACORDAIRE, HENRI
    2 LUCCA, MONSEIGNEUR
    2 MICHELET, JULES
    2 O'NEILL, THERESE-EMMANUEL
    2 RANCE, ABBE DE
    2 SEMENENKO, PIERRE
    2 VENTURA, GIOACCHINO
  • A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS (1).
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • le 10 février 1845.
  • 10 feb 1845
  • Nîmes,
La lettre

Nous devions avoir Conseil ce matin, mais Monseigneur a été obligé d’aller faire une cérémonie de réparation dans une église, qui a été profanée hier par l’effusion du sang. Je me trouve [avoir] une ou deux heures, sur lesquelles je ne comptais pas; je vous en donne avec bonheur une portion, ma chère enfant. Je suis assez aise que l’abbé Semenenko n’arrive pas tout de suite. J’attends un de mes amis; j’aime mieux les voir l’un après l’autre. La dame dont je vous ai parlé devait partir d’ici le 20, mais il paraît que les froids lui feront différer son voyage.

Je souhaite que vous ayez peu de rapports avec M. Fresch(2). M. Gabriel a été son grand ami; mais pour vous, vous n’avez à avoir avec lui que de la charité. A tout péché miséricorde, c’est évident. Mais comme avant ses sottises son genre me convenait fort peu je crois qu’à vous-même, en le supposant repentant, il ne peut vous être bon à rien.

Je me suis déjà procuré le livre de Michelet. Mais si vous l’avez, envoyez- le-moi toujours; je prierai M. Semenenko de le porter, de ma part, au P. Ventura.

Croyez-vous qu’il soit nécessaire d’apprendre par coeur les Conférences de M. Lacordaire? Du reste, pour entrer dans votre pensée, j’ai fait depuis quelque temps de nombreuses lectures de saint Thomas, la plume à la main. Etes-vous contente? Si j’avais la moindre envie d’exciter votre admiration, ce que vous me dites aujourd’hui de M. Lac[ordaire] me ravirait; car si, après l’avoir tant admiré, vous en venez sur son compte à penser ce que vous m’en dites, n’aurais-je pas quelque lieu d’espérer qu’en procédant en sens inverse, vous arriveriez à me croire un génie?

Je n’ai aucune envie de lire l’oeuvre de votre, archevêque. Que j’aie aimé de prêcher, cela est vrai; que je l’aime encore, je n’en sais rien. J’en suis au désenchantement. Du reste, dites-moi toujours mes vérités. Ce ne sera pas en cela que je vous trouverai impertinente.

Je persiste à vous refuser, pour le Carême, autre chose que la règle. Ce que vous me dites que vous n’avez que la volonté, mais non le sentiment de l’esprit de sacrifice, ne me surprend pas. Cependant, je ne veux pas vous décourager, et, sans entrer ici en explications inutiles, où votre heureuse habitude de discussion finirait par vous faire avoir raison, je dois vous dire que vous n’êtes pas si mauvaise que vous n’ayez cependant au moins quelques velléités d’avancer. Chère enfant, c’est là pourtant ce en quoi il faut absolument faire effort, et cela sans aucun ménagement. Toutefois, je vous le répète, je tiens beaucoup à ce que vous vous fassiez honte à vous-même de votre lâcheté, en présence de Notre-Seigneur. Croyez-le, mon enfant, vous l’aimez, et il a besoin de votre amour. Quelque chose m’oblige à vous donner cette assurance, afin que vous puissiez vous y appuyer un peu. La lâcheté de l’esclave, je crois, peut être combattue par l’affection et la tendresse de l’épouse. Soyez épouse et soyez honteuse de ne pas être assez fidèle épouse de sang(3).

Je m’inquiète fort peu de vos dispositions raides. Je suis convaincu qu’en joignant à cet état de pécheresse, dont nous avons parlé, un peu plus de dilatation de coeur, vous avancerez très vite, si vous le voulez. Pour moi, je fais peu, mais j’ai de bonnes dispositions. J’ai eu une petite croix; je ne l’ai pas entièrement bien portée, ou plutôt très mal. J’ai dit que les légitimistes étaient des imbéciles, parce que Monseigneur ayant donné par mégarde le 21 janvier un dîner où j’assistais, on avait dit que Monseigneur voulait être archevêque et moi évêque. J’aurais mieux fait de garder ma langue. Je vous avais dit que le prêtre, avec qui je travaille à l’Assomption, était juste milieu. Il prétend être, comme moi, jeune gauche. Je n’avais jamais eu l’idée de le lui demander, mais il tient à cette réhabilitation(4).

Adieu, chère enfant. Je travaille en ce moment avec dégoût, mais il est bon qu’il en soit ainsi. Si j’aime trop à prêcher, je suis puni par où j’ai péché. Je lis toujours M. de Rancé. Il y a de belles choses, mais tout ne me va pas. J’oubliais de remercier Soeur Th[érèse]-Em[manuel] de son crucifix et vous de votre statue. Je porte le crucifix sur moi. Nos madeleines ont enfin pris l’habit, au nombre de neuf: elles prient pour vous(5). J’ai envie de me rappeler aux prières de Soeur Marie-Augustine. Voulez-vous bien lui dire de faire usage à mon intention du cadeau de Soeur Augustin?

Notes et post-scriptum
3. *Ex*. IV, 25: "*Sponsus sanguinum tu mihi es*."1. D'après une copie.
2. Prêtre du diocèse de Montpellier semble-t-il.
3. *Ex*. IV, 25: "*Sponsus sanguinum tu mihi es*."
4. Il est question ici de l'abbé Goubier.
5. Les repenties du Refuge de Nîmes, qui le 2 février 1845, se vouèrent à la vie contemplative, au nombre de neuf, et reçurent de l'abbé d'Alzon l'habit du Tiers-Ordre franciscain.