Vailhé, LETTRES, vol.2, p.239

31 mar 1845 Uzès, MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

A son corps défendant, il accompagne son évêque en tournée pastorale. -Autorisation de se rendre à Paris. -Une classe sera confiée au jeune Allemand. -Des rapports mutuels de deux âmes qui ont des idées communes. -Toute influence sur lui, pour être durable, doit être acceptée dans sa volonté avec une réflexion soutenue. -Sur les mortifications au temps pascal. -Il lui répugne d’accepter son voeu d’obéissance. -L’oeuvre de l’Assomption de Paris est un peu la sienne.

Informations générales
  • V2-239
  • 0+375|CCCLXXV
  • Vailhé, LETTRES, vol.2, p.239
Informations détaillées
  • 1 ALLEMANDS
    1 AMITIE
    1 AMOUR-PROPRE
    1 CHAIRE
    1 CONFESSIONNAL
    1 CONFIRMATION
    1 DEFAUTS
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 EDIFICE DU CULTE
    1 FATIGUE
    1 MALADIES
    1 MISERES DE LA TERRE
    1 PAQUES
    1 PATERNITE SPIRITUELLE
    1 PENITENCES
    1 PREDICATION
    1 PREDICATIONS DE CAREME
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 REMEDES
    1 REPOS
    1 SACERDOCE
    1 SAINTE COMMUNION
    1 SANTE
    1 VOEU D'OBEISSANCE
    2 CART, JEAN-FRANCOIS
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 JEROME, SAINT
    2 NEPOTIEN
    2 O'NEILL, THERESE-EMMANUEL
    3 NIMES
    3 PARIS
  • A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS (1).
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • le 31 mars 1845.
  • 31 mar 1845
  • Uzès,
La lettre

Vous ne sauriez croire ma chère enfant le service que votre lettre vient de me rendre; aussi veux-je vous en remercier tout de suite, quoique avec une plume qui me rend un peu plus illisible que de coutume. Figurez-vous qu’après avoir prêché les derniers jours de Carême jusqu’à trois fois par jour, j’avais espéré un peu de repos après Pâques. Au lieu de cela, il m’a fallu partir le lundi de la fête, à 6 heures du matin, pour accompagner Monseigneur dans une tournée(2). Tout le monde me pressait de faire des observations. On ne pouvait comprendre que, fatigué comme je le devais être, on me choisit pour un travail si ennuyeux, surtout lorsqu’on savait, d’autre part, que j’avais hâte d’arriver à Paris. Mais moi, par un abominable amour-propre, je déclarais que je n’étais pas fatigué, et si les gens ne voyaient pas ce qui crevait les yeux, ils ne comprendraient pas plus ce dont on leur remplirait les oreilles.

Je partis donc avec un rhume épouvantable, faisant blanc de mon épée, tant que je pouvais, et fumant à part moi de la plus merveilleuse manière. J’ai été bon, posé, attentif, on ne peut plus, sauf une fois où on voulait me faire prêcher et où je décampai, pour qu’on ne m’y forçât pas. Comme il faisait un vent affreux et que les fenêtres de l’église étaient passablement brisées, l’évêque, forcé de monter en chaire, s’enrhuma à son tour; ce qui le mit de mauvaise humeur une heure ou deux, ce qui divertit prodigieusement mon amour-propre. Après quoi, ayant pris ainsi ma revanche, nous sommes redevenus les meilleurs amis du monde, lui me donnant de la gomme sucrée et moi lui offrant de la pâte de jujube. Pour cimenter le traité de paix tacite, j’acceptai hier de prêcher aujourd’hui, malgré les quintes de toux que je faisais venir avec à-propos; et lorsque, le soir, j’eus reçu votre lettre, je fus on ne peut plus ravi du passage ou vous me pressiez d’arriver. Ce matin donc, avant que toute impression mauvaise ne fût venue troubler la paix du coeur de mon saint seigneur, je lui ai lu les quelques lignes où vous me dites d’arriver au plus tôt. Il m’a donné mon congé. Je le quitte dans huit jours; j’en passerai trois ou quatre à Nîmes et, vers le 20 avril, je présume être à Paris.

En vous faisant le détail de toutes ces misères, j’ai quelques remords, car j’ai été plus vigoureusement méchant que je ne vous le fais voir; mais, d’autre part, je ne l’ai pas été tout à fait aussi persévéramment que vous pourriez le penser. Il me semble que j’ai tiré parti de quelque chose de tout cela pour l’offrir à Dieu. Je vous quitte pour aller mettre une mitre, et recommander aux jeunes garçons de relever leurs cheveux et aux filles leur voile, pendant la confirmation.

La mitre a été mise sans moi, je suis arrivé trop tard. J’oubliais de vous dire que votre jeune Allemand sera placé comme vous l’entendrez. Pensez-vous que je puisse le voir à Paris? Je pensais qu’il y était. Ce que vous dites dans votre lettre me ferait penser le contraire. A-t-il songé à faire obtenir la transmutation de grade dont je vous parlais aussi?

A notre tour, ma chère enfant. Ce que vous me dites de nos rapports réciproques et de l’embarras que vous éprouvez me surprend. Croyez-vous que, pour vous montrer mauvaise à moi, j’aurais moins confiance en vous? Vous auriez tort. Je pensais que l’habitude de la direction de vos religieuses vous avait donné la connaissance d’une impression que j’ai éprouvée par le confessionnal: c’est que la vue d’une âme qui veut être à Dieu est toujours double, et qu’il faut prendre son parti de la voir avec de grandes misères, sinon réelles, au moins possibles, comme aussi avec de grandes vertus réalisables, sinon réalisées. Ceci posé, du moment que Dieu permet que deux âmes se rencontrent dans une communion d’idées, l’opposition de leurs défauts à ces idées ne doit pas les empêcher de s’unir, car elles agissent l’une sur l’autre, non par les défauts qui peuvent rester personnels, mais par les idées qui leur deviennent de plus en plus communes.

Si cette manière de voir est la vôtre, il ne faut pas craindre que ce que vous êtes fasse diminuer mon estime pour ce que vous pensez. L’influence que je vous ai donnée sur moi est une espèce de sacerdoce, et le sacerdoce implique toujours un caractère indépendant de l’être qui en est revêtu. Et toutefois, j’ai besoin de vous le dire encore, pour ce qui est plus spécial dans nos rapports de vous à moi, c’est qu’autant que je puis me connaître, toute impulsion sur moi, pour être durable, doit être acceptée dans ma volonté avec une réflexion soutenue. Ce qui serait instinctif, comme le serait une influence résultant, par exemple, du sentiment de votre vertu, ne se prolongerait pas longtemps. J’accepte quelquefois, trop souvent, une influence involontaire, mais elle ne dure pas, et la réaction est souvent excessive dans le sens opposé. Il n’y a, je le crois du moins, de solide en fait d’influence que ce qui est le fruit d’une résolution calculée. Me fais-je bien comprendre? Je ne sais, mais j’en ai le plus grand désir. Ne soyez pas peinée, si, dans ce que je vous dis là, vous découvrez une écorce un peu rude; c’est ce qui fait la vigueur de mon être. Je veux cependant tâcher de l’adoucir autant que possible.

Je ne cherche point à savoir, ma chère enfant, ce qui vous avait rendu moins filiale pour moi, et que vous n’osez pas me dire. Jetons un voile sur toutes ces petites misères. Je les comprends, parce que j’en éprouve de semblables, et de beaucoup plus grandes. Mais ne pensez-vous pas que ce sont là seulement des misères commencées? Je ne pense pas que tout le mal qui effleure notre imagination s’arrête dans le coeur; nous serions trop à plaindre. Pour moi, je sens que mon affection pour vous peut être moins tendre, mais devient tous les jours plus forte. Si le Saint-Esprit ne maudissait pas ceux qui s’appuient sur un bras de chair(3), je vous dirais que je sens que vous pouvez compter sur moi, comme je sais que je compte sur vous.

Vous êtes entrée parfaitement dans ma pensée, dans ce qui a rapport aux mortifications. Et maintenant, vous voudrez bien vous soigner un peu et vous traiter avec miséricorde. Je ne veux point être votre bourreau, de tout le temps pascal. Je prierai de tout mon coeur pour Soeur Th[érèse]-Em[manuel].

Adieu, chère enfant. Devenez une sainte. Je le demandais pour vous, tout à l’heure, à Notre-Seigneur en faisant ma communion pour vous. Nous parlerons à Paris du voeu d’obéissance, que vous voulez me faire. Il me répugne de l’accepter de la part d’une religieuse. C’est, ce me semble, prendre quelque chose de ce qui ne lui appartient plus; mais nous en causerons plus longuement(4).

Une observation, que j’oublie toujours de vous soumettre. M. Gabriel ne sera-t-il pas fâché, s’il nous voit si bien ensemble? Fâché n’est pas le mot. Je m’en rapporte à votre sagesse, à cet égard(5).

Adieu, bien chère enfant. Priez bien pour moi. J’ai, en ce moment, le coeur singulièrement dilaté pour vous et pour toute votre oeuvre. Il me semble qu’elle est un peu mienne. C’est ce que saint Jérôme dit de Népotien: Nepotianus meus, tuus, noster, imo Christi, avec la différence que Népotien était mort et que Jésus-Christ, il faut l’espérer, fera vivre notre oeuvre.

Notes et post-scriptum
1. D'après une copie. Voir des extraits dans *Les origines de l'Assomption*, t. II, p. 305-309, et dans *Notes et Documents*, t. II, p. 614-616; t. III, p. 309 sq.1. D'après une copie. Voir des extraits dans *Les origines de l'Assomption*, t. II, p. 305-309, et dans *Notes et Documents*, t. II, p. 614-616; t. III, p. 309 sq.
2. C'est-à-dire le 24 mars, Pâques tombant le 23 mars cette année-là.
4. Ce voeu d'obéissance fut fait un peu plus tard, comme nous le dirons en son lieu.
5. L'abbé Gabriel était devenu l'aumônier des religieuses de l'Assomption. L'abbé d'Alzon pouvait craindre que les entretiens nombreux entre la fondatrice et lui qu'exigerait l'examen des Constitutions et de la Congrégation à fonder ne produisissent quelque froissement chez l'aumônier.3. *Jer*. XVII 5.