Vailhé, LETTRES, vol.2, p.253

31 may 1845 [Paris, GERMER_DURAND_EUGENE

Quelle que soit l’attitude de ses amis, il ne reculera pas devant l’oeuvre à entreprendre. -Son étoile a reparu, il faut que l’oeuvre se fasse. -Il a besoin de son amitié. -Si jusqu’ici il a parfois accompli avec dégoût des oeuvres bonnes en elles-mêmes, c’est qu’il était angarié et non attiré. -Justification de sa conduite dans les oeuvres entreprises. -Malgré tous les obstacles humains, il essayera. -Nouvelles diverses.

Informations générales
  • V2-253
  • 0+383|CCCLXXXIII
  • Vailhé, LETTRES, vol.2, p.253
Informations détaillées
  • 1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 AMITIE
    1 APOSTOLAT
    1 GENESE DE LA FONDATION DES ASSOMPTIONNISTES
    1 POLONAIS
    1 PREDICATION DE RETRAITES
    1 REFUGE LE
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 RESPONSABILITE
    1 SOLITUDE
    1 VOLONTE DE DIEU
    2 CART, JEAN-FRANCOIS
    2 FERRAND de MISSOL, AMEDEE
    2 GAREISO, JOSEPH
    2 GOUBIER, VITAL-GUSTAVE
    2 MONNIER, JULES
    2 TESSAN, JEAN-CHARLES DE
  • A MONSIEUR EUGENE GERMER-DURAND (1).
  • GERMER_DURAND_EUGENE
  • le 31 mai 1845.]
  • 31 may 1845
  • [Paris,
La lettre

Mon cher ami,

Il faut que vous soyez la bonté même pour m’écrire une lettre comme celle que j’ai reçue de vous, il y a deux jours. Mais, vous le dirai-je, se votre lettre augmente mon courage pour poursuivre mon idée, elle ne l’eût pas ébranlé, supposé que vous eussiez été de l’avis de M. de Tessan. Il faut bien que l’on soit convaincu que je romprai, mais que je ne plierai pas. Je sais à quoi je m’expose; je sais que je serai seul ou que je pourrai me trouver seul. Les réflexions que je fais ici me font considérer l’avenir que je me prépare à un point de vue fort triste. Je ne reculerai pas. Heureux ceux qui n’ont qu’à obéir. L’oeuvre telle que je l’envisage veut plus que de l’obéissance, elle veut la solitude, l’isolement de ma volonté en face de volontés contraires que je dois plier ou briser. Si Dieu le veut, qu’importe?

Je me sens la même résolution pour me faire traiter d’insensé, de tête légère, d’inconséquent et d’inconstant, que j’en ai eu pour commencer à vous faire mes propositions. J’en ai même beaucoup plus, parce que, dès que j’ai eu adopté l’oeuvre mon étoile m’est apparue de nouveau. Depuis dix ans, je ne savais plus où j’allais; aujourd’hui, je crois le savoir. Je vais à beaucoup de peines, de chagrins, d’ennuis, et je suis très calme. Dieu me maintiendra-t-il toujours dans ce sentiment?

D’autre part, si Dieu veut que j’accomplisse ma mission, ce sera à moi, et non pas à un autre, d’en accepter la responsabilité. Je devrai prendre des conseils, mais ce sera à moi à décider. Mais les conseils que je prendrai et que je ne suivrai pas toujours m’attireront le blâme de ceux que j’aime le plus, et cela encore il faudra que je le veuille. Je laisse donc l’abbé de Tessan dire ce qu’il veut. Je suis triste de n’avoir pas son approbation, parce que je l’aime beaucoup, mais je n’en irai pas moins en avant. Il faut que l’oeuvre se fasse.

Maintenant, mon cher ami, comprenez-vous comment j’ai besoin de votre amitié, dans toute la force du mot? Il y a dans votre éducation et dans la mienne ce que j’appellerai une couche d’idées instinctives qui font que, simple chrétien, vous comprenez de sentiment ce que je voudrais faire, bien mieux que d’autres avec tous les raisonnements de la terre. Vous comprenez aussi pourquoi une série d’oeuvres bonnes a pu être accomplie par moi avec dégoût, et pourquoi l’entreprise à laquelle je me dévoue peut absorber, pour ma vie, mon être tout entier. Je pourrais, moi aussi, discuter une à une les oeuvres que j’ai entreprises, et peut-être pourrais-je me justifier. Mais j’aime mieux admettre un fait vrai, c’est que toujours je ne m’y suis pas porté avec le sentiment d’intérêt que j’aurais dû. Mais pourquoi ce sentiment m’a-t-il manqué, sinon parce que j’étais angarié et non attiré.

Et après tout, les Dames de [la] Miséricorde vont-elles plus mal, depuis que je m’en occupe? Le Refuge a-t-il subi des retards dans son développement par ma faute ou par celle de l’évêque et d’autres personnes? L’avenir des Carmélites n’est-il pas assuré? La Conférence de Saint-Vincent de Paul, qui s’est formée malgré l’évêque, a-t-elle encore besoin que je l’aide contre lui, puisqu’il fait tout sans me consulter? J’en dirai autant de la Caisse diocésaine, où l’on prend des décisions sur mon compte, quoique j’en sois le président, sans que je le sache; autant de la Bibliothèque populaire, où Monseigneur traite tout avec M. Gareiso sans moi. Je ne m’en plains pas. Je dis seulement que je puis sans grand inconvénient me retirer de tant d’oeuvres commencées et que l’on sait fort bien faire, sans que je m’en occupe. J’y ferai peu défaut par mon éloignement, et, pour les autres, je les continuerai jusqu’à ce qu’un autre veuille me remplacer; ce qui sera facile, pour peu qu’on s’y prête.

En résumé, qu’on le veuille ou non, j’essayerai. Je réussirai, si Dieu le veut; j’échouerai, si Dieu le veut. Peu m’importe! L’idée est dans ma tête et dans mon coeur; il faut que je la produise, malgré tous les obstacles humains qui ne m’inspirent aucune crainte réelle.

J’ai déjà donné une réponse pour le Polonais: j’ai dit qu’il fallait attendre. Ferrand(2), depuis qu’il voit que je ne suis pas très ou tout Jésuite, n’a plus de sujets à m’offrir. J’ai terminé aujourd’hui une retraite aux Assomptiades(3), ce qui m’a un peu absorbé. Ces femmes font honte à bien des hommes par le développement de leur intelligence et la largeur de leurs idées.

Adieu. Mille choses à M. Goubier, à qui vous pouvez lire ma lettre; lui me comprendra, je l’espère, et m’approuvera. Adieu, adieu.

E. d’Alz.

J’embrasse Monnier.

E.D'ALZON
Notes et post-scriptum
1. Reproduite dans *Notes et Documents*, t. II, p. 659-661. La date donnée est celle du cachet de la poste, à Paris.1. Reproduite dans *Notes et Documents*, t. II, p. 659-661. La date donnée est celle du cachet de la poste, à Paris.
2. Le docteur Ferrand de Missol.
3. C'est le 31 mai que se termina cette retraite.