Vailhé, LETTRES, vol.2, p.264

13 jul 1845 Paris, CART Mgr

Si l’harmonie absolue ne règne pas entre leurs idées, du moins leurs sentiments sont à un complet unisson. -Détails sur l’affaire des Jésuites. -Désormais, on s’occupera surtout de la liberté d’enseignement et de la liberté de l’Eglise. -Conduite de Montalembert et de l’*Univers* Louis-Philippe aurait promis le plein exercice. -Il va essayer d’obtenir une audience du roi. -Il ne renoncerait pas à son oeuvre, même s’il savait qu’après avoir échoué il serait contraint de demander l’aumône. -Nouvelles diverses.

Informations générales
  • V2-264
  • 0+389|CCCLXXXIX
  • Vailhé, LETTRES, vol.2, p.264
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 AUMONE
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 DEGOUTS
    1 ELECTION
    1 EVEQUE
    1 LIBERTE DE L'ENSEIGNEMENT
    1 NONCE
    1 PARLEMENT
    1 PARTI CATHOLIQUE
    1 PATERNITE SPIRITUELLE
    1 PLEIN EXERCICE
    1 PRESSE
    1 RESSOURCES MATERIELLES
    1 UNITE CATHOLIQUE
    2 BEUGNOT, AUGUSTE-ARTHUR
    2 BOUCARUT, JEAN-LOUIS
    2 COUSIN, VICTOR
    2 DROSTE-VISCHERING, CLEMENS
    2 DU LAC, JEAN-MELCHIOR
    2 DUPANLOUP, FELIX
    2 FORNARI, RAFFAELE
    2 GREGOIRE XVI
    2 GUERANGER, PROSPER
    2 GUIZOT, FRANCOIS
    2 LACORDAIRE, HENRI
    2 LAMBRUSCHINI, LUIGI
    2 LECANUET, EDOUARD
    2 LOUIS-PHILIPPE Ier
    2 MONTALEMBERT, CHARLES DE
    2 O'CONNELL, DANIEL
    2 PARISIS, PIERRE-LOUIS
    2 REDIER, EUGENE-ANTOINE
    2 ROOTHAAN, JEAN-PHILIPPE
    2 ROSSI, PELLEGRINO
    3 COLOGNE
    3 DIGNE
    3 NIMES
    3 POLOGNE
  • A MONSEIGNEUR CART, EVEQUE DE NIMES(1).
  • CART Mgr
  • le 13 juillet 1845.
  • 13 jul 1845
  • Paris,
La lettre

Monseigneur,

Permettez-moi de commencer par répondre à la fin de votre lettre, en vous disant combien, à mon tour, je suis heureux que mes paroles ne vous aient point peiné, et combien je désire que vous puissiez toujours lire au fond de mon âme. Mon éloignement de Nîmes aura eu au moins pour moi le précieux résultat de me donner une mesure plus précise de toute mon affection pour vous. Réellement, Monseigneur (pardonnez-moi cette naïveté), je ne croyais pas Vous aimer autant. Et il y a du bonheur à être convaincu que si, quelquefois, toutes les idées ne sont pas à un complet unisson, il y a au moins harmonie absolue entre les sentiments du fils et du père.

Vous voulez des détails. Vraiment, vous avez bien tort d’en demander: je n’en ai que de déplorables à vous donner. Lorsque je dis déplorables, c’est en me plaçant au point de vue de l’Univers. Le nonce lui-même a été mal renseigné. C’est au moins ce qui résulte d’une foule de détails qui arrivent de tous côtés. M. Guizot affirme que la note publiée par le Messager a été rédigée par M. Rossi et soumise à l’approbation du card[inal] Lambruschini qui l’a eue six heures entre les mains(2). Du reste, voici un historique qui pourra vous en apprendre autant que j’en sais moi-même.

Après que je vous eus écrit, j’allai voir du Lac pour le presser d’établir pour l’Univers un plan de conduite. Je lui fis observer que l’Univers n’avait rien de mieux à faire que d’avouer que le Pape, en ne donnant pas une réponse officielle et en faisant traiter la question par le Général des Jésuites, avait voulu montrer qu’elle était d’un rang secondaire, et que le meilleur parti à prendre était d’accepter la leçon et de ne plus parler des Jésuites; qu’il fallait avouer qu’on était sorti du véritable terrain, la liberté d’enseignement et la liberté de l’Eglise, qu’on allait y revenir.

Le bon du Lac ne voulait pas mordre d’abord à cette idée. Cependant, les affirmations réitérées du Journal des Débats l’ont un peu démonté. Enfin, ce matin, il n’y a plus eu de doute, et le seul parti à prendre s’est trouvé être celui que j’avais proposé. Du Lac, l’ayant adopté, vient de le proposer à la réunion des principaux rédacteurs de l’Uni- vers. Il a été convenu:

1° que l’on ne parlerait plus des Jésuites;

2° qu’on ne discuterait plus sur les faits contestés;

3° qu’on se rabattrait sur la liberté d’enseignement;

4° qu’on attaquerait Cousin et autres;

5° qu’on engagerait les catholiques à s’unir pour donner des mandats aux députés dans les futures élections. Ces mandats seraient la demande: 1° de la liberté d’enseignement; 2° de la liberté d’association, ou d’association religieuse -on n’est pas encore fixé sur ce qu’il faut demander de général ou de particulier sur ce point.

Pour chauffer la question, on a désiré que Montalembert fît une interpellation à la Chambre des pairs. Et comme, pour le quart d’heure, Montalembert boude l’Univers, j’ai été chargé de lui porter des paroles de paix. Je lui ai exposé le plan de campagne du journal. Il a commencé par hurler de ce qu’on avait annoncé des choses fausses. Je lui ai répondu que c’était le nonce qui avait fait donner les nouvelles. J’avais envie de lui dire que c’était de son écriture qu’était la note envoyée à l’Univers, note combinée entre lui, le nonce, Dom Guéranger, le supérieur des Jésuites, l’abbé Dupanloup et M. Beugnot. Enfin, le plan lui a paru bon; il l’a adopté, à la condition qu’on ne parlerait plus de Rome, parce que Rome lâchera toujours le pied, comme elle l’a lâché pour les évêques de Pologne, pour l’archevêque de Cologne, pour O’Connell, comme elle vient de le lâcher pour les Jésuites. Je lui ai fait observer que ce devait être pour les catholiques un motif de plus de s’unir à mesure qu’on semblait les délaisser davantage. Montalembert ne voulait point parler, parce qu’il faudrait qu’il montât à la tribune demain lundi, et il se sent tellement bouleversé qu’il ne croit pas avoir le courage de dire quelque chose de bien. Je l’ai pressé de faire un effort, parce que, dans certaines circonstances, il faut savoir profiter de l’occasion. Il m’a promis d’y réfléchir. Les journaux d’après-demain vous apprendront quel a été le résultat de ses réflexions(3).

Le pauvre nonce n’en peut plus, et franchement, il est cruel d’être mystifié à ce point. Du reste, Montalembert m’a assuré que Louis-Philippe venait de promettre d’accorder le plein exercice à tous les évêques qui le demanderaient.

Voilà, Monseigneur, tout ce que je puis vous apprendre. Vous en savez à présent autant que moi. Si d’ici à quelques jours j’apprends quelque chose de plus, soyez sûr que je vous l’écrirai.

Lundi matin (= 14 juillet).

Rien de nouveau, que je sache du moins. Je m’aperçois qu’au commencement de ma lettre j’ai eu l’air de donner comme de moi les conseils que j’ai donnés à du Lac. J’ai eu tort. Je n’ai fait qu’exprimer la manière de voir de bien des gens(4).

Je vous remercie, Monseigneur, de ce que vous avez fait pour cette pauvre maison de l’Assomption. Si ce que Montalembert m’a dit des promesses de Louis-Philippe est vrai, je vais tâcher d’avoir une audience du roi, quelque peu de plaisir que j’en attende. Mais je vous avoue que, rebuté par tous, je ne reculerai pas. Est-ce conviction de désespoir qui s’empare quelquefois de ceux qui ont enfilé une mauvaise affaire? Est-ce une impression de grâce qui me pousse, malgré moi et malgré mon caractère moins constant ordinairement? Je ne sais; mais je vais toujours calculant avec calme les ennuis, les dégoûts, les rebuts, les jugements des hommes, et, ce qui est plus cruel encore, les appréhensions de l’amitié; et, malgré cela, je suis calme. Suis-je fou? Vraiment oui, et il faut bien l’être: nos stulti propter Christum. Je me suis demandé cent fois si, en mettant les choses au pire et comparant le bien qui peut résulter d’une oeuvre telle que je la conçois, si elle réussit, et l’impossibilité où je serai peut-être de faire un autre bien, si elle échoue et si je m’y ruine, je me suis demandé si je devais courir la chance d’en être réduit à demander l’aumône, et il m’a semblé que même une pareille extrémité ne me ferait pas reculer. Et ceci, je vous le dis sans exaltation, sans enthousiasme, peut-être avec un peu d’amertume et de tristesse de me sentir poussé si fort vers une oeuvre, pour laquelle après tout je sens bien mon incapacité.

J’espère être à Nîmes dans les premiers jours d’août. La retraite de Digne commencera le 2 septembre; je m’en suis assuré ce matin.

Voilà une longue lettre, Monseigneur; mais je vous donne ce que vous me demandez. Les continuateurs du bien social n’ont pas quitté la ligne de leurs devanciers; ils sont plus prudents, voilà tout.

A Dieu, Monseigneur. Ai-je besoin de vous redire avec quels sentiments?

Mille choses à MM. Boucarut et Rédier.

Notes et post-scriptum
1. Voir des extraits dans *Notes et Documents*, t. II, p. 694-699, 707. En réponse à la lettre du 10 juillet, de Mgr Cart, que nous publions en Appendice.
3. Montalembert prononça un très beau discours à la Chambre des pairs, le 16 juillet 1845, et séculier plaça surlie terrain même que l'abbé d'Alzon lui avait indiqué. (Lecanuet,*Montalembert*, t. II, p. 268 sq.) Le Pape en fut ravi.
4. D'après Eugène Veuillot, *Louis Veuillot*, t. II, p. 61, cette manière d'envisager le désastre survenu aux Jésuites fut surtout le fait du P. Lacordaire, de Mgr Parisis, etc.1. Voir des extraits dans *Notes et Documents*, t. II, p. 694-699, 707. En réponse à la lettre du 10 juillet, de Mgr Cart, que nous publions en Appendice.
2. La note du 5 juillet annonçant la dissolution de le Compagnie de Jésus. Lambruschini était alors secrétaire d'Etat.
3. Montalembert prononça un très beau discours à la Chambre des pairs, le 16 juillet 1845, et séculier plaça surlie terrain même que l'abbé d'Alzon lui avait indiqué. (Lecanuet,*Montalembert*, t. II, p. 268 sq.) Le Pape en fut ravi.
4. D'après Eugène Veuillot, *Louis Veuillot*, t. II, p. 61, cette manière d'envisager le désastre survenu aux Jésuites fut surtout le fait du P. Lacordaire, de Mgr Parisis, etc.