Vailhé, LETTRES, vol.2, p.271

27 jul 1845 Paris, CARBONNEL Marie-Vincent ra

Le mérite consiste à marcher avec confiance, même au milieu de l’obscurité. -Conseils de direction. -Autrefois, il n’avait pas une moindre charité, son coeur n’a pas changé. -Son voyage de Paris servira beaucoup à la réussite de son oeuvre. -Il faut laisser les hommes penser et parler à leur gré.

Informations générales
  • V2-271
  • 0+391|CCCXCI
  • Vailhé, LETTRES, vol.2, p.271
Informations détaillées
  • 1 ACTION DE DIEU DANS L'AME
    1 ANGOISSE
    1 DEFAUTS
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 GENESE DE LA FONDATION DES ASSOMPTIONNISTES
    1 LUTTE CONTRE SOI-MEME
    1 MALADIES
    1 OPINION PUBLIQUE
    1 RECONNAISSANCE
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    1 VIE DE SACRIFICE
    1 VOLONTE DE DIEU
    2 ANNE, SAINTE
    2 CARBONNEL, ANTOINETTE
    2 CARBONNEL, ISAURE
    3 NIMES
    3 PARIS
  • A MADEMOISELLE ANAIS CARBONNEL(1).
  • CARBONNEL Marie-Vincent ra
  • le 27 juillet 1845.
  • 27 jul 1845
  • Paris,
La lettre

Je reçois votre lettre aujourd’hui. Une réponse à Mlle Antoinette(2) est partie aujourd’hui; celle-ci pour vous ne partira que demain. Je comprends, ma chère enfant, toutes vos anxiétés par rapport à Dieu. Il n’y a rien d’étonnant dans tous vos troubles. La foi n’est-elle pas ténébreuse? Le mérite consiste à savoir marcher avec confiance, même au milieu de l’obscurité, et c’est là, je crois, ce que Dieu, sur toutes choses, demande de vous. Il est sûr que vous avez beaucoup à faire pour correspondre aux touches intérieures de cette grâce silencieuse, qui veut vous conduire par la mort de votre nature à tout ce qu’il y a de plus intime dans l’amour de Dieu. A cet égard, vous avez beaucoup, énormément à faire. Mais qui peut vous dire ce que vous avez à faire, sinon cette voix du dedans, par laquelle Dieu se manifeste quand il veut et comme il le veut? L’obéissance vous est excellente pour vous faire connaître où serait l’illusion dans ce qui vous est demandé, mais je verrai un grand inconvénient à faire aller trop vite l’oeuvre de votre sanctification. Ce que je dis là doit être pris dans un certain sens; car il en est un autre, dans lequel vous ne sauriez trop vous hâter, et cet autre sens est celui où vous comprenez la nécessité d’offrir toutes choses à Dieu de la manière la plus parfaite. Tout ce que je puis vous répondre se réduit donc à ceci:

1° Laissez tomber pour le moment l’idée de vous ouvrir à d’autres, non que je veuille m’y opposer d’une manière absolue, mais parce qu’il me paraît que l’occasion ne serait pas bien choisie. Ceci, toutefois, n’est qu’un conseil. Si, malgré mon observation, vous jugiez nécessaire à votre paix intérieure de faire quelques ouvertures et de solliciter d’autres avis que les miens, je ne le trouverais pas mauvais. Ainsi, sur ce point-là allez avec une grande liberté de coeur et d’esprit.

2° Ce que je demande surtout de vous, c’est la disposition absolue à ne refuser rien à Dieu de tout ce qu’il pourra exiger de sacrifices pour votre perfection. C’est là la grande épreuve qu’il faut affronter. Je souhaite que vous en sortiez avec avantage. Vous comprenez qu’il ne s’agit pas ici de finocher avec Dieu et que, puisqu’il voit le fond de la pensée, c’est dans le plus profond de cette pensée qu’il faut établir la disposition absolue à s’immoler à lui, comme il l’entendra.

J’aurais envie de vous gronder sur l’étonnement que vous cause ma grande charité. Est-ce que je ne suis pas toujours le même? Ou bien êtes-vous encore tellement faible que, lorsque je suis un peu sévère, vous me croyez entièrement changé? Peut-être aussi avez-vous raison en un sens et voyez[-vous] très bien quelques-uns de mes défauts? Je vais faire ce qui dépendra de moi pour m’en corriger, et, quand je retournerai à Nîmes, vous verrez de l’amélioration. Mon voyage à Paris m’aura été bon au moins à cela.

Je vous remercie des observations que vous me faites sur ce que l’on dit de mon séjour prolongé. Une des dispositions, dans lesquelles je me fortifie tous les jours le plus, c’est de laisser parler. Il y a quelque temps, j’étais ainsi par mépris; aujourd’hui, il y a en moi un sentiment plus chrétien et plus calme, mais le résultat est toujours le même. Laissez donc faire. Si, en restant à Paris, je laisse tomber de soi une foule d’obstacles à mon oeuvre; si je prépare ici des jeunes gens; si j’établis des relations précieuses pour l’avenir de ce que je veux faire; si je me prépare moi-même, qu’importe ce que pourront dire les gens qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas? Est-ce qu’en cédant à des jugements hasardés je ne leur donne pas le droit d’en porter d’autres? Est-ce que je ne reconnais pas leur compétence? Quelque effrayante que soit la place que je crois devoir me faire, tout en acceptant les avis que l’on me donne, il faut que je sois seul à en juger. L’on y verra l’inutilité de m’en transmettre, lorsqu’ils ne seront pas dictés par un véritable intérêt, et ceux qui partiront comme les vôtres, ma chère enfant, d’un coeur dévoué m’arriveront bien plus libres, puisqu’ils seront dégagés de toute responsabilité. La crainte de m’influencer, quand vous n’en avez pas mission, ne vous empêchera pas de m’éclairer sur des vérités ou des faits que vous croirez devoir m’être utiles.

La pensée de ce qui m’attend de la part des jugements des hommes m’effrayerait, si je ne me rendais compte et du but que je me propose et de l’intention que j’y apporte. Laissez donc, ma chère enfant, les hommes penser et parler. Couper leur langue est impossible, et cette opération fût-elle facile, je ne la tenterais pas. Leur langue enlevée, leurs dents resteraient encore. J’aime mieux leurs bavardages que leurs morsures. Les hommes sont des enfants; il leur faut des jouets. Si Dieu veut que je sois, pour le quart d’heure, celui des bons Nîmois et même des étrangers, pourquoi pas? Si j’en retire un degré de plus d’humilité, tout le profit aura été pour moi, et je leur devrai encore de la reconnaissance. Je la leur témoignerai en leur faisant du bien malgré eux.

Adieu, ma chère enfant. Mille choses à vos soeurs. Vous ne me dites rien de Mlle Isaure(3), qui cependant a des crampes d’estomac, à ce que m’écrivait Mlle Antoinette. J’ai fait, hier, une petite instruction sur sainte Anne, votre patronne. Je parlai de ces saints, dont les noms seuls sont connus. On sait seulement qu’ils étaient saints. Dieu seul connaissait leurs vertus. N’est-ce pas là votre vocation?

E. d'Alzon.
Notes et post-scriptum
1. D'après une copie. Voir des extraits dans *Notes et Documents*, t. IV, p. 89, 411 sq.1. D'après une copie. Voir des extraits dans *Notes et Documents*, t. IV, p. 89, 411 sq.
2. Soeur de Mlle Anaïs.
3. Autre soeur de Mlle Anaïs.