Vailhé, LETTRES, vol.2, p.342

26 oct 1845 Nîmes, GOURAUD_HENRI

Il ira à Paris prêcher le Carême. -L’abbé Gratry n’a pu former des hommes, parce qu’il entre en contact par l’intelligence et qu’il faudrait commencer par le coeur. -Lui en forme à Nîmes, parce qu’il vit en commun avec eux. -On ne peut détruire l’oeuvre de Nîmes pour soutenir celle de Paris. -Avec l’abbé Boussinet et l’abbé Henri, qui, dans un an, ira à Stanislas, ce collège peut attendre. -A qui appartiendra Stanislas, quand d’Alzon en aura pris la direction?

Informations générales
  • V2-342
  • 0+419|CDXIX
  • Vailhé, LETTRES, vol.2, p.342
Informations détaillées
  • 1 ACTES DE PROPRIETE
    1 CAREME
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 CONGREGATION DES AUGUSTINS DE L'ASSOMPTION
    1 CORPS ENSEIGNANT
    1 EMPLOI DU TEMPS
    1 ENSEIGNEMENT
    1 FORMATION A LA VIE RELIGIEUSE
    1 PREDICATION DE RETRAITES
    1 REPRESSION DES ABUS
    1 SEMINAIRES
    1 VIE RELIGIEUSE
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 BOUSSINET, ROCH-MARIE
    2 FORBIN-JANSON, CHARLES-AUGUSTE DE
    2 GOURAUD
    2 GOURAUD, MADAME HENRI
    2 GOURAUD, XAVIER
    2 GRATRY, ALPHONSE
    2 HENRI, EUGENE-LOUIS
    2 MILLERET, MARIE-EUGENIE
    3 MIDI
    3 PARIS
    3 PARIS, COLLEGE STANISLAS
  • A MONSIEUR HENRI GOURAUD.
  • GOURAUD_HENRI
  • le 26 octobre 1845.
  • 26 oct 1845
  • Nîmes,
La lettre

J’ai voulu attendre quelques jours, avant de répondre à votre bonne et excellente lettre(1). Ce que vous m’y disiez était en effet trop sérieux pour que je ne dusse pas réfléchi avant de vous dire toute ma pensée. Vous comprenez combien je désire que tout ce que nous avons projeté se réalise. Mais sur-le-champ cela se peut-il? Je n’ose dire ni oui ni non. Ne regardez pas, je vous en conjure, ce que je vais vous soumettre comme mon ultimatum. Je trouve que l’on peut, que l’on doit donner du temps à un pareil projet pour le mûrir et le réaliser, quand faire se pourra, avec la grâce de Dieu. Voici quelques observations que je vous prie de méditer:

1° Je vais m’arranger pour aller très positivement à Paris pendant le Carême. Je ne sais si je pourrai loger à Stanislas tout le temps, parce que ma mère se prépare à passer l’hiver là-bas; mais si vous voulez, je prêcherai une retraite au collège pendant la première semaine du Carême.

2° Veuillez remarquer que l’un des motifs de l’ennui de M. Gratry, c’est qu’il n’a pas su avoir des hommes; et cela n’est pas étonnant, puisqu’il ne veut pas, peut-être assez, se mettre en rapport avec eux. Cela vient peut-être de ce qu’il veut surtout avoir des points de contact par l’intelligence, lorsqu’il faudrait commencer par le coeur, et lui qui en a un si parfait pourrait tant par ce moyen, s’il voulait l’employer. Quoi qu’il en soit, il n’agit pas sur ses maîtres. Pour ma part, je cherche à mettre en pratique un système tout opposé. En ce moment, je vis avec mes professeurs et surveillants dans l’intimité la plus complète. Je suis en vous écrivant, au bout d’une grande table, ou je ne trouve pour le moment que quatre de mes jeunes gens, lisant, écrivant, étudiant; mais il y a des moments où ils sont dix et douze. Aux heures de récréation, on cause, on s’amuse, et avec un esprit d’union qui est charmant et que l’on reporte ensuite dans les affaires les plus sérieuses. Il y a, je l’avoue, de la perte de temps pour moi, si c’est perdre mon temps que de trouver le moyen d’avoir à ma disposition douze ou quinze hommes qui ne font qu’un et sont prêts à accepter toute ma pensée.

Eh bien! Je dis que l’on ne peut faire quelque chose sur ces hommes que par un peu de suite, que les quitter maintenant c’est vouloir détruire une oeuvre dont je ne pouvais prévoir les développements aussi rapides; mais enfin cette oeuvre va, elle grandira, elle sera un jour à votre disposition. Mais la translation peut-elle s’en faire maintenant? Je ne le pense pas. Il faut du temps; il en faut absolument.

Je vous entends me dire: « Mais c’est précisément le temps qui manque! » Vous avez parfaitement raison; mais je vous réponds: Il s’agit de savoir comment on peut le retrouver le plus tôt possible. Or, je dis que si j’arrive seul, j’apporterai sans doute toute la bonne volonté dont je suis capable, mais je n’apporterai que ma bonne volonté; que si j’arrive avec des collaborateurs, je puis espérer de faire un bien qui n’a pas encore été fait. Et j’en reviens toujours à ma première proposition: il faut que j’aie le temps de me préparer des aides.

Je vous entends encore, cher ami, me proposer d’arriver avec tout mon personnel. Je ne le puis guère. Il y a ici une maison qui commence, un bien qui se fait dans le Midi, un centre qui se crée; tout cela ne se peut détruire sans imprudence et sans légèreté. Quand même j’aurais obtenu de tous mes jeunes gens de venir à Paris, pourrons-nous tout d’abord les y tenir dans les mêmes rapports? Un jour, j’espère bien que oui; sur-le-champ, je ne le pense pas. Mais je puis peut-être les laisser ici, puisqu’ils vont si bien. Cela ne sera pas impossible dans quelque temps, à présent ce l’est très certainement. J’ai été obligé d’aller passer huit jours à la campagne; à mon retour, j’ai eu l’ennui d’apercevoir quelques abus naissants. Il faut absolument que le pli soit pris et l’habitude contractée depuis longtemps pour n’être pas sujette à se déformer.

Que faire donc? Voici ce que je vous propose. Si M. Gratry veut un troisième aide, je puis lui procurer un jeune homme qui est dans ma maison comme préfet de discipline. Il est chargé d’une partie de la comptabilité et de tout l’ensemble de la surveillance; il s’en acquitte à merveille. Il est levé dès 4 heures, se couche tard, court partout. Il a une assez bonne tournure pour recevoir les parents, et, quand même du premier coup il serait un peu surpris, il ne faudrait pas s’en étonner, parce qu’il a de l’esprit, de la facilité, du tact, et qu’il se ferait bien vite à la marche qu’on lui imprimerait. Ici, je vous le répète, il va parfaitement. Si M. Gratry le veut comme gage de mon désir d’aller moi-même à Stanislas, je puis le lui offrir l’année prochaine, à la rentrée. M. l’abbé Henri a de la facilité pour parler, il [a] toujours très bien réussi comme vicaire et comme curé; mais comme son instruction n’est pas très grande, il ne serait peut-être pas en état de faire un cours de religion. Il ne faudrait pas compter sur lui pour cela, à moins qu’on ne lui donnât du temps. Mais je pense que vous préféreriez l’employer autrement pour décharger M. Gratry, soit des confessions, soit des autres rapports de direction avec les élèves; en quoi je crois M. Henri parfaitement capable.

Vous avez encore comme préfet des clercs M. l’abbé Boussinet, qui est mon ami intime et dont vous pouvez, je n’en doute pas, tirer un grand parti. Pour cela, il faut le forcer à se montrer. Au Séminaire, M. Boussinet avait, séminariste encore, tous les emplois de confiance, et je sais qu’estimé ainsi de ses supérieurs il ne leur en résistait pas moins, lorsqu’il croyait devoir le faire pour le bien. M. Boussinet a ce qui s’appelle un noble caractère. Fils d’un paysan, sa première éducation a été négligée, mais il s’est formé lui-même en observant. Il a été longtemps auprès de M. Janson qui l’estimait beaucoup. M. Boussinet a fait des études aussi bonnes qu’on peut en faire dans un Petit Séminaire; il est un peu froid en prêchant, mais solide. Il a l’esprit de Dieu. Avant que M. Gratry ne me priât de lui écrire pour lui proposer d’être préfet des clercs, je l’avais engagé à venir à l’Assomption, et je crois bien que si j’avais un peu insisté, je l’aurais eu. Ma mère qui le connaît, me parlant de lui, me témoignait son désir que j’eusse pu me l’attacher à cause de la sûreté de ses conseils.

Voilà deux hommes sur lesquels vous pouvez compter, avec qui M. Gratry peut très bien s’entendre et avec qui vous et moi nous nous entendrons à merveille. J’ajouterais que, si vous vouliez bien avoir la bonté de me procurer quelques jeunes gens laïques ou prêtres, mais qui eussent un peu de dévouement, je m’en chargerais pendant quelque temps. Vous avez, il est vrai, la maison des clercs qui préoccupe l’abbé Gratry, mais dans cette maison il n’y a encore que les jeunes gens qui doivent être rendus à leurs évêques. Or, ce n’est pas de ceux-là qu’il nous faut pour une oeuvre permanente.

Autre question un peu sérieuse aussi. Stanislas vous appartient. Je désire qu’il soit à vous longtemps encore et que vous puissiez un jour y retrouver des dédommagements aux avances que vous avez faites, vous et vos associés. Mais je dois prévoir que si une Congrégation s’y forme, il faudra qu’un jour elle soit propriétaire. Quand? Aussi tard qu’il vous plaira. A quelles conditions? A celles que vous aurez fixées vous-même. Il ne s’agit pas en ceci d’une affaire d’argent, mais pour une Congrégation, d’une affaire d’existence. Ainsi, remarquez bien, je ne désire autre chose que la certitude que, dans cinquante ans, plus tôt ou plus tard, une Congrégation qui viendrait à Stanislas serait assurée d’être chez elle. Après cela, je vous dirai que je redoute trop les richesses pour les communautés, pour faire avec vous jamais d’autre traité que celui qui vous sera le plus avantageux.

Que de choses à vous dire encore! Mais en voilà assez pour aujourd’hui. Adieu, mon cher Henri. Vous savez si tout ce qui peut me rapprocher de vous me rend heureux. J’ai beaucoup pensé à votre frère pendant ces derniers jours. Qu’eussiez-vous éprouvé, si Dieu eût voulu attendre quelques mois pour vous le prendre, au milieu de la guerre qui vient de recommencer? Vous êtes parfaitement libre de parler de moi et de mes idées à M. Gratry et à Mme Milleret.

Adieu. Je vous écrirai encore sous peu. Tout à vous, comme vous savez.

E. d’Alzon.

Mille respects à Mme Gouraud et mille baisers à mon petit Xavier.

E. D'ALZON
Notes et post-scriptum
1. La lettre du 21 octobre, publiée en Appendice.