Vailhé, LETTRES, vol.2, p.347

28 oct 1845 Nîmes, MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Négligence des uns et des autres qui l’oblige à s’occuper de tout. -Il couche en dortoir avec trois maîtres. -Portrait de Beiling. -La dernière réunion du Tiers-Ordre. -La Mère Eugénie est comme l’écho de sa conscience. -Divers projets financiers. -Les billets Bailly. -Il a écrit à Gouraud dans le sens indiqué. -Encore Beiling.

Informations générales
  • V2-347
  • 0+420|CDXX
  • Vailhé, LETTRES, vol.2, p.347
Informations détaillées
  • 1 AMOUR-PROPRE
    1 ARGENT DU PERE D'ALZON
    1 BILLET A ORDRE
    1 CAPITAUX EMPRUNTES
    1 CELLULE
    1 CHAPELLE
    1 CLOCHER
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 CREANCES A PAYER
    1 DOMESTIQUES
    1 EMBARRAS FINANCIERS
    1 EMPRUNTS HYPOTHEQUAIRES
    1 INTERETS
    1 NEGLIGENCE
    1 ORAISON
    1 ORGUES
    1 OUVRIER
    1 PATERNITE SPIRITUELLE
    1 REPOS
    1 SOUFFRANCE
    1 TIERS-ORDRE DE L'ASSOMPTION
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 VANITE
    2 BAILLY, EMMANUEL SENIOR
    2 BEILING, ADOLPHE
    2 BLANCHET, ELZEAR-FERDINAND
    2 BOURDALOUE, LOUIS
    2 BOUSSINET, ROCH-MARIE
    2 BOYER, EDOUARD
    2 BOYER, MADAME EDOUARD
    2 CARDENNE, VICTOR
    2 COMMARQUE, MARIE-THERESE DE
    2 DECKER, FRANCOIS-JOSEPH
    2 GAUME, JEAN-ALEXIS
    2 GOURAUD, HENRI
    2 GOURAUD, MARIE-XAVIER
    2 LAURENT, CHARLES
    2 SAINT-JULIEN, MARIE-GONZAGUE
    2 SAUVAGE, EUGENE-LOUIS
    3 ALLEMAGNE
    3 PARIS, COLLEGE STANISLAS
    3 ROME, COLLEGE GERMANIQUE
  • A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS (1).
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • le 28 octobre 1845.
  • 28 oct 1845
  • Nîmes,
La lettre

A qui parlez-vous, ma chère enfant, des ennuis de commander et de n’être pas obéi? Il y a longtemps que j’en suis là, je vous assure. Pour vous écrire et trouver moyen que d’autres y vissent, il m’a fallu arranger moi-même deux lampes. Je ne demande pas mieux, mais je crois que dans ce moment j’ai autre chose à faire. La chapelle, qui a un aumônier, un grand sacristain, deux sacristains et quatre sacristines, est sale à faire mal au coeur, si elle n’est visitée par moi deux ou trois fois par jour. Aujourd’hui, l’aumônier a eu le courage de laisser peindre l’autel par un ouvrier, qui y est monté dessus je ne sais combien de temps, et de ne pas enlever la Réserve. Que faire? Prendre patience. C’est ce que je ne fais pas assez malheureusement. Quand j’ai dit à satiété la même chose, je finis par trouver qu’on aurait bien pu la faire la quarantième ou la cinquantième fois. Je n’ai pas le bonheur d’en venir toujours là. Mais, grâce au ciel, tout ceci porte sur des domestiques, des ouvriers et un peu de distraction de notre cher aumônier, qui après tout est un saint prêtre. O Soeur Marie-Thérèse, où êtes-vous donc?(2)

Depuis quelques jours, je suis à observer mes nouveaux venus; j’en suis très content. Decker est parfait. Seulement, dans quatre ans, il veut retourner en Allemagne. Il coulera bien de l’eau sous le pont d’ici là. M. Sauvage est ébahi, mais il fait ses prières avec une étonnante ferveur. Beiling est venu ce matin, pour la première fois, à la méditation. Ce pauvre enfant dort comme une soupe. Quand le matin on vient me réveiller, il n’entend rien. Je m’habille, je fais ma toilette; le pauvre garçon reste marmotte. Cependant, il s’est levé dès que je l’ai secoué. Figurez-vous que nous couchons quatre dans la même chambre: Beiling, Sauvage, Decker et moi? Ils se font à mon costume; il le faut bien. M. Cardenne est un homme précieux. Au moment où je vous écris, neuf de nos jeunes gens sont à étudier avec moi, qui fais le dixième. Un comité est réuni pour les études; les autres sont à l’étude des élèves ou à donner des leçons. N’est-ce pas joli? N’y a-t-il pas là de quoi dédommager des petits ennuis que causent les lampes mal mouchées?

J’en reviens à Beiling, qui me paraît très apte à se laisser mener par le bout du nez avec son charmant petit amour-propre. Je trouve sa vanité délicieuse, car il n’a pas la conscience que c’est un péché. Pauvre enfant! Je lui ai donné à lire, en guise de méditation, un sermon de Bourdaloue, mais il a préféré lire la Vie du Jésuite. Il m’assure que, pourvu que je lui laisse faire sa méditation en allemand et non pas en français, il s’en tirera aussi bien qu’un autre. Vous comprenez que je ne me querellerai pas avec lui sur ce point.

Dimanche, c’est-à-dire avant-hier, nous eûmes réunion du Tiers-Ordre. Je les y fis venir; ils furent ravis. Sauvage surtout prit à merveille la chose, quoiqu’il fût d’abord un peu ébahi. J’espère réellement beaucoup(3). Vous voyez, chère enfant, que je ne perds pas l’habitude de vous parler de moi et de mes affaires. Voyez-vous, je crois que vous voudriez me la faire perdre que vous n’en viendriez peut-être pas si facilement à bout. Sur certains points, je suis plus têtu que vous ne croyez.

Mais passons un peu à ce qui vous regarde. D’abord, ma chère enfant, il faut que vous sachiez que je vous mets tellement de la partie, dans tout ce que je fais, que je vous prends quelquefois comme l’écho de ma conscience. Si la conscience a la voix trop faible, l’écho vient la doubler et me faire peur. Car il y a des moments où vous me faites peur, tant j’ai le désir d’être pour vous tout ce que je dois être; et lorsque je m’aperçois que je me suis laissé aller à ce qui n’est pas bien, il me semble que je vois ma fille semble lever pour me dire que j’ai tort. Or, je vous assure que cela me fait beaucoup de peine. Je ne dis pas que, quelquefois, je ne croie vous voir un peu contente de moi; mais c’est rare, parce qu’après tout, moi aussi, je me laisse bien dessécher le coeur.

Ce que vous me dites de Mme Boyer me cause une vive peine. Je crains que cette pauvre femme ne fasse pas de vieux os. Quand à son argent, j’approuverais très fort que vous lui parlassiez pour vous. Je crois qu’elle y serait extrêmement portée et que son mari y serait fort disposé. Quand vous ne prendriez pas toute la somme, vous pourriez en avoir une partie. Du reste, je pense que, moi aussi, sous très peu de temps, je pourrai vous offrir quelque chose. Je connais un Monsieur qui ne sait que faire de 300 000 à 400,000 francs, et qui m’a fait dire qu’il serait enchanté de me venir en aide. Dans quelques mois, vers Pâques, un Monsieur de mes amis aura à faire un placement d’une soixantaine de mille francs. Je crois que, sur première hypothèque, il vous donnera sûrement 20,000 francs, supposé que vous en eussiez besoin. Quant à M. Gaume, il me semble que vous pourriez l’employer, si la personne qu’il devait engager à vous emprunter consentait à être remboursée avant trois ans; autrement, il ne faudrait, ce me semble, s’adresser à lui qu’à la dernière extrémité.

Si les billets de M. Bailly ne me forcent pas à me saigner de nouveau, vous pourrez, je pense, garder tant que vous voudrez mes 9000 francs. Vous ne savez donc pas le bonheur que j’ai à penser que vous me devez au moins de l’argent? M. Bailly m’a écrit une belle épître pour me dire que je n’eusse pas à m’inquiéter de mes billets, qu’ils seraient payés. Je lui avais refusé ma signature, et puis il m’obséda tant qu’il fallut bien en prendre mon parti ou me brouiller avec lui; mais à la première rencontre je serai plus prudent. J’ai été, par exemple, brisé par une conversation avec un pauvre prêtre, qui est venu, ce soir, me demander de l’argent pour payer un billet qui sera protesté après-demain. J’ai refusé, mais j’ai été plus fatigué que si l’on m’eût donné vingt coups de bâton.

Je pense: 1° Que vous ne devez emprunter sur hypothèque qu’à la dernière extrémité, à moins que les intérêts ne soient à un taux très bas;

2° Que vous ne devez vous adresser à M. Gaume qu’autant que vous serez libre de rembourser avant peu;

3° Que ce que vous avez de mieux à faire est de vous adresser à Mme Boyer. Si vous avez de la peine à lui faire vous-même la demande, veuillez me le dire et je vous éviterai cet ennui. Je n’ai d’embarras que pour quelques mois, car d’ici à peu j’aurai, je l’espère, 250,000 francs dont je pourrai disposer, et au moins 150,000 qui, comme je vous le disais l’autre jour, seront tout à fait miens. Si vous pouviez cependant emprunter à Mme Boyer, je crois qu’il y aurait utilité pour moi à payer ici toutes mes dettes. Mais vous savez que mes intérêts et les vôtres ne faisant qu’un, toute la question est de savoir ce qui est le plus avantageux à l’ensemble de nos affaires.

J’ai écrit à M. Gouraud une longue lettre, dans le sens que je vous ai indiqué. Probablement, il vous la lira. Le jeune homme que je lui propose eût été parfait, s’il eût eu une bonne première éducation. Vous ai-je engagée à voir M. Boussinet, le préfet des clercs de Stanislas? Au moins l’ai-je fortement pressé d’aller vous voir. C’est un de mes amis de Séminaire. Il pourra vous donner de très bons renseignements sur le collège où il semble trouve. Il pourrait aussi y faire beaucoup de bien. Il ne s’agirait que de le mettre un peu en train.

J’attends avec empressement la lettre de Soeur Marie-Gonzague. Je vous remercie d’avoir songé à moi pour parrain de votre cloche. Malheureusement, je ne puis pas vouloir; je vous dirai plus tard pourquoi. Vous voulez savoir comment vous y prendre à l’égard de M. Gouraud pour ses visites à Soeur Marie-Gonzague? Il est évident que sa soeur à lui y est pour quelque chose. Mais vous m’embarrassez bien. Est-ce qu’une fille de ressource comme vous doit aller tourmenter un pauvre provincial de mon espèce? Il me semble que vous devez lui faire une question, au moins indirecte, à cet égard, puis peut-être ne pas insister, s’il refuse. Mais cela semble retrouvera avec Soeur Marie-Xavier(4).

Mercredi matin (= 29 octobre).

Notre jeune Allemand est délicieux. Ce matin, je le réveille avant 5 heures; je ne le vois descendre à la méditation qu’à 5h. 1/2. Je lui demande s’il est malade. « Non, me dit-il, c’est que la lampe s’est éteinte; mais j’ai fait bien des réflexions dans mon lit. » Je n’ai pas encore abordé la question directement avec M. Decker, mais il me disait hier qu’il désirerait aller au Collège germanique, à Rome. Nous verrons si je ne pourrai pas l’arrêter au passage.

J’avais encore mille choses à vous dire, mais j’ai fait déjà une demi-douzaine de lettres. Ma main est un peu fatiguée et mon papier est au bout. Pourriez-vous me donner quelques renseignements sur les meilleures orgues-harmonium? Nous voudrions nous en procurer un pour notre chapelle.

Adieu, ma chère enfant. Votre supérieur et plus que jamais votre père.

Je mets sous ce pli une lettre de Mme Boyer. Je serais fâché, si elle est malade, qu’elle tombât en d’autres mains.

Notes et post-scriptum
1. D'après une copie. Voir des Extraits dans *Les origines de l'Assomption*, t. II, p. 374-377, et dans *Notes et Documents*, t. III, p. 112 sq.
3. Le procès-verbal de la séance du 26 octobre mentionne, en effet, outre les 9 membres déjà signalés 5 autres qui furent admis à la probation, c'est-à-dire comme postulants. C'étaient les abbés Blanchet et Laurent, puis Sauvage, Decker et Beiling. Cahier 26, p. 2.1. D'après une copie. Voir des Extraits dans *Les origines de l'Assomption*, t. II, p. 374-377, et dans *Notes et Documents*, t. III, p. 112 sq.
2. Elle était la sacristine des religieuses de l'Assomption. Originaire de La Bourlie, près de Sarlat, Joséphine de Commarque entra à l'Assomption le 5 octobre 1839 et mourut, à Auteuil, le 18 avril 1882.
3. Le procès-verbal de la séance du 26 octobre mentionne, en effet, outre les 9 membres déjà signalés 5 autres qui furent admis à la probation, c'est-à-dire comme postulants. C'étaient les abbés Blanchet et Laurent, puis Sauvage, Decker et Beiling. Cahier 26, p. 2.
4. La soeur de Gouraud, qui était alors novice ou postulante chez les religieuses de l'Assomption.