Vailhé, LETTRES, vol.2, p.356

8 nov 1845 Nîmes, MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Il a été longtemps sans nouvelles d’elle. -Chagrin que lui cause Beiling. -Trois maîtres se feront religieux, trois autres promettent de le faire. -Il n’a personne sur qui s’appuyer, sûr ainsi de ne compter que sur Dieu. -Doit-il commencer le noviciat à Noël? -Doit-il demander à Dieu un appui, après l’aide qu’il lui fait trouver en elle? -Postulantes pour l’Assomption de Paris. -Projet financier.

Informations générales
  • V2-356
  • 0+422|CDXXII
  • Vailhé, LETTRES, vol.2, p.356
Informations détaillées
  • 1 ARGENT DU PERE D'ALZON
    1 BAVARDAGES
    1 BILLET A ORDRE
    1 COLERE
    1 CONGREGATION DES AUGUSTINS DE L'ASSOMPTION
    1 COUCHER
    1 DONS EN ARGENT
    1 EMPLOI DU TEMPS
    1 FATIGUE
    1 GENESE DE LA FONDATION DES ASSOMPTIONNISTES
    1 LEVER
    1 MAITRES
    1 MALADES
    1 MATIERES SCOLAIRES
    1 NOEL
    1 POSTULANT
    1 RELATIONS DU PERE D'ALZON AVEC LES ASSOMPTIADES
    1 TIERS-ORDRE DE L'ASSOMPTION
    1 TRAITEMENTS
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    2 ACHARD, MARIE-MADELEINE
    2 BEILING, ADOLPHE
    2 CARDENNE, VICTOR
    2 CUSSE, RENE
    2 DECKER, FRANCOIS-JOSEPH
    2 DUBOSC, MADEMOISELLE
    2 EVERLANGE, HENRI D'
    2 EVERLANGE, JEAN-LEOPOLD-DIEUDONNE D'
    2 EVERLANGE, LEON D'
    2 EVERLANGE, MADAME JEAN-LEOPOLD D'
    2 EVERLANGE, MARIE-EMMANUEL D'
    2 EVERLANGE, PIERRE-EMILE-LEON D'
    2 GOUBIER, VITAL-GUSTAVE
    2 GOURNAND, MADEMOISELLE
    2 HENRI, EUGENE-LOUIS
    2 LAURENT, CHARLES
    2 O'NEILL
    2 O'NEILL, THERESE-EMMANUEL
    2 TESSAN, JEAN-CHARLES DE
    2 TISSOT, PAUL-ELPHEGE
  • A LA R. MERE-MARIE-EUGENIE DE JESUS (1).
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • le 8 novembre 1845.
  • 8 nov 1845
  • Nîmes,
La lettre

N’y a-t-il pas un siècle, ma chère enfant, que je n’ai reçu de vos nouvelles? Il me semble qu’il y a bien longtemps. Aujourd’hui, il me semble que vous devez être malade, et je n’en serais pas surpris, à toute la fatigue qu’a dû vous occasionner votre changement, surtout si vous avez éprouvé quelques fortes contrariétés, comme il ne manque pas d’arriver en pareille circonstance. Pour moi, je ne sais quelquefois comment j’y tiens, et notez que je vais à merveille. Mais je suis si irritable que toutes les victoires (sans compter les défaites) que j’ai à remporter, me vont droit au creux de l’estomac, et je crois que je finirai par avoir une gastrite.

Mais en attendant la gastrite, il faut que je vous conte un de mes chagrins passés. Dimanche dernier, ayant su que Beiling avait encore bavardé sur ses appointements et que cela avait découragé M. Decker, je lui donnai un petit avis et lui fis observer qu’il devait se taire d’autant plus que, n devant donner cette année-ci que quelques leçons d’allemand, il serait impossible que les maîtres ne fissent pas une différence entre lui et leur position. Il me répondit qu’il était disposé à travailler tout comme les autres. Je lui fis observer que cela était impossible, qu’il ne savait pas assez de français pour cela. Nous nous séparâmes bons amis. Le soir, je le priai de conduire à la promenade une division de nos élèves. Il accepta, mais, au retour, il alla se coucher sans souper. Les autres professeurs ou surveillants prétendirent que c’était la contrariété qui lui avait donné mal de tête. Je tâchai de le faire soigner, mais je fus on ne peut plus contrarié de voir la tournure que prenait notre petit jeune homme. Car enfin, si n’ayant du travail qu’une heure par jour, on ne peut pas lui proposer d’aller conduire les élèves en promenade, je ne sais plus ce qu’il en faut faire. J’ai tâché de le voir tous ces jours-ci, en lui parlant le plus amicalement possible. J’espère bien en venir à bout, mais je crois qu’il a sa petite tête et qu’il faut y aller avec des gants. Croiriez-vous que ce petit ennui et quelques autres de la même espèce m’eussent presque complètement démoralisé, l’autre jour? Enfin, je me suis remonté au bout de vingt-quatre heures. Que pensez-vous de la pauvre tête de votre père? Je dois ajouter que j’espère que cela sera utile à bien des choses.

Vous parlerai-je de notre Congrégation? Le Tiers-Ordre va assez bien, sauf que, comme les réunions ont lieu le dimanche soir et que la plupart des membres se sont levés de grand matin, ils s’endorment assez généralement pendant que je parle(2). On a proposé de mettre la réunion au matin; il y a eu très vive opposition, et je n’ai manifesté aucune opinion, parce que je pense pouvoir avant peu réunir, le dimanche matin, nos jeunes gens pour autre chose; je veux parler de ceux qui formeront l’Ordre définitif. Jusqu’à présent, je n’en ai que trois qui viendront positivement: M. Henri(3), jeune prêtre, qui fait les fonctions d’économe et de préfet de discipline. M. Laurent(4), qui va être ordonné prêtre à Noël, actuellement professeur de quatrième, et M. Cusse(5), professeur de français. Ce jeune homme ne sait pas le latin, mais il a un zèle tel pour la classe qu’il fait à l’Ecole de commerce que je suis convaincu qu’il fera un excellent religieux. Cardenne nous viendra, mais je ne sais s’il prendra sa décision sur-le-champ. M. Tissot fera aussi un excellent moine, mais il faut lui passer bien des choses du désordre, et je doute qu’à son âge on puisse s’en corriger. Notre aumônier est aussi bien bon; il le serait davantage, s’il ne fallait pas toujours lui être sur les épaules pour le faire agir.

Ici, je n’ai qu’un homme sur qui je puisse compter, et encore! Les autres sont bons, pieux, dévoués, mais n’ont pas encore l’intelligence du dévouement. Je demande toujours à Dieu quelqu’un sur qui je puisse me reposer, je ne vois personne. L’abbé de Tessan reste chez lui, et puis nous sommes, non pas trop opposés, mais trop divers. M. Goubier s’occupe très bien des détails, mais ne m’est d’aucune utilité pour l’action. Et puis, ce sont des idées de dévouement, sans doute, mais qui ne vont en aucune façon avec les miennes pour certaines choses. Il faut donc que je sache me servir de ces hommes, sans cependant m’appuyer sur aucun deux. Situation pénible et pourtant, après tout, peut-être fort utile, puisque, par ce moyen, on est sûr de ne compter que sur Dieu. Enfin, vous voyez où j’en suis.

Reste à poser cette question: « Que dois-je faire? Faut-il former à Noël un noyau de Congrégation, ou bien commencer sur-le-champ avec des éléments tels que ceux que je viens de vous indiquer? » Donnez-moi votre avis là-dessus. J’ai grand besoin que l’on m’éclaircisse ma position, à laquelle par moment je ne comprends pas trop grand’chose moi-même. Ce matin, en disant la messe pour le frère de Soeur Th[érèse]-Em[manuel], je me suis mis à prier Dieu de tout mon coeur de m’envoyer un appui auprès de moi. Hélas! ma fille, n’étais-je pas bien ingrat, après ce qu’il m’a fait trouver en vous? Et, sous ce rapport, je vous avoue qu’en y réfléchissant il me semble qu’il ne m’est pas bon de chercher d’autre appui extérieur que vous, mon enfant. Et voici pourquoi. Je serais bien fâché de faire souffrir à quelqu’un ce que Soeur Th[érèse]-Em[manuel] a souffert à mon occasion. Or, il est bien sûr que ce serait toujours avec vous que je m’entendrais le mieux. Un tiers, à qui je m’ouvrirais, n’en serait-il pas mécontent? Vraiment, je suis bien maussade, n’est-ce pas? Allons, c’est à vous aujourd’hui à me donner un peu de courage.

Voici une proposition pour une jeune personne. Mlle Elisa d’Everlange, qui vient de terminer ses études chez les Dames de Saint-Maur, où elle a eu l’année dernière le prix de sagesse décerné par les élèves, demande à être admise parmi vos filles. Elle a dix-huit ans. Son père, ancien chef d’escadron, n’a pas trop de fortune, et sa mère pas l’ombre de sens commun. Elle a deux frères, l’un prêtre, l’autre diacre et surveillant dans ma maison, plus un petit frère de dix ans. Elle aura un jour de 20,000 à 30,000 francs. Je crois qu’à présent on ferait pour elle une petite pension. Elle vient, la semaine dernière, de refuser un parti de 100 000 francs, parce qu’elle croyait que Dieu l’appelle à la vie religieuse. Son caractère est très doux, un peu faible. Ses moyens ne sont pas transcendants, mais ils sont plus que médiocres. Il y a chez elle une excessive délicatesse de coeur. Je lui ai proposé d’aller chez les Dames de Saint-Maur, où elle avait été élevée. Elle a refusé, parce qu’on n’y fait pas de voeux. Je crois que, si les commencements eussent été bien pris avec elle, c’eût été une personne distinguée. Il me semble qu’on y est encore à temps. Je vous l’enverrai par la première occasion(6).

J’attends votre réponse au sujet de la jeune personne dont je vous ai parlé. Le Conseil veut-il l’admettre? Les deux, Mlle d’Everlange et Mlle Achard(7), partiraient ensemble.

Mlle Dubosc ne veut pas vous répondre au sujet de Mlle Gournand; mais, d’après ce qu’elle m’a dit, ce serait un sujet dangereux, sans être mauvais, qui a essayé de trois communautés, sans être bien nulle part. Je ne crois pas qu’il faille y songer. Si vous voulez des détails, je les ai à vos ordres. Mais tout se résume en ces deux mots: mauvaise tête et coureuse. Elle ne resterait pas six mois.

Que vous dirai-je encore? J’ai vu, il y a trois jours, un Monsieur qui met à ma disposition 60 000 francs fin janvier, sur un simple billet, avec l’assurance que, si je ne réussis pas, je ne lui rendrai rien. Je crois que j’aurai à vous écrire demain; je ne me relis pas.

Adieu, ma chère fille. Tout à vous en Notre-Seigneur. Voulez-vous, et combien voulez-vous, de mon argent? Je n’ai pas le temps de regarder votre bilan. A demain ou après-demain.

Notes et post-scriptum
1. D'après une copie. Voir des extraits dans *Les origines de l'Assomption*, t. II, p. 378-380, 384 sq., et dans *Notes et Documents*, t. III, p. 123, 132-134.1. D'après une copie. Voir des extraits dans *Les origines de l'Assomption*, t. II, p. 378-380, 384 sq., et dans *Notes et Documents*, t. III, p. 123, 132-134.
2. Dans la séance du 2 novembre 1845, cahier 26, p. 2, on décida que les réunions auraient lieu dorénavant le dimanche soir à 8 h. 1/2. En fait, elles ne commençaient jamais avant 9 heures et l'on dut les mettre plus tôt.
3. Il entra comme novice dans la Congrégation, ne tarda pas à en sortir et mourut curé doyen de Remoulins, dans le Gard.
4. Né à Uzès, le 5 décembre 1821, entra comme novice dans la Congrégation, prononça ses premiers voeux le 25 mars 1851 et ses voeux perpétuels en 1852, mourut à Paris en 1895, assistant général de la Congrégation.
5. Né dans le Gard en 1821, entra comme novice dans la Congrégation, se retira, revint et prononça ses voeux perpétuels en 1857, alla fonder la mission d'Australie en 1860, fut relevé de ses voeux en 1862 et mourut prêtre séculier, en Australie, le 6 septembre 1866. 6. Elle entra, peu de temps après, à l'Assomption sous le nom de Soeur Marie-Emmanuel, prit l'habit le 10 juin 1846, fonda la maison de Londres en 1857, et, après avoir été supérieure de plusieurs maisons, adoucit par sa présence les dernières années de la fondatrice.
7. Entra à l'Assomption en décembre 1845, en même temps que la Soeur Marie-Emmanuel, mais dut quitter pour cause de maladie et mourut dans sa famille, en juillet 1849, après avoir supporté courageusement ses souffrances. Elle s'appelait Soeur Marie-Madeleine.