Vailhé, LETTRES, vol.2, p.364

14 nov 1845 Nîmes, MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Nouvelles diverses -Projets financiers. -Il n’a pas inspiré l’article de l’*Univers* sur son entretien avec Salvandy. -Demande de nouvelles sur un surveillant promis. -L’affaire du collège Stanislas: on veut se servir de lui et puis le remercier. -Il ne peut accepter pareille situation pour sa Congrégation. -En attendant, il forme des hommes et se forme lui-même.

Informations générales
  • V2-364
  • 0+424|CDXXIV
  • Vailhé, LETTRES, vol.2, p.364
Informations détaillées
  • 1 ARGENT DU PERE D'ALZON
    1 CAPITAUX EMPRUNTES
    1 CELLULE
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 COMMUNAUTE RELIGIEUSE
    1 CORPS ENSEIGNANT
    1 EPREUVES
    1 FORMATION A LA VIE RELIGIEUSE
    1 INSTITUTS RELIGIEUX
    1 MAITRES
    1 NOVICIAT
    1 PARESSE
    1 PRESSE
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 PRUDENCE
    1 REPAS
    1 REPOS
    1 SACRIFICE DE LA CROIX
    1 SURVEILLANCE DES ELEVES
    1 UNIVERSITES D'ETAT
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    2 BEVIER, MARIE-AUGUSTINE
    2 BOUSSINET, ROCH-MARIE
    2 CATTOIS, FRANCOIS-PAUL
    2 DU LAC, JEAN MELCHIOR
    2 FOURNERY, LOUIS
    2 GOURAUD, HENRI
    2 GRATRY, ALPHONSE
    2 HENNINGSEN, EMILE DE
    2 HENNINGSEN, MARIE-GERTRUDE DE
    2 HENRI, EUGENE-LOUIS
    2 JEHAN DE SOLESMES
    2 MICHEL, ERNEST
    2 O'NEILL, THERESE-EMMANUEL
    2 SAINT-JULIEN, MARIE-GONZAGUE
    2 SALVANDY, NARCISSE DE
    2 SIBOUR, LEON-FRANCOIS
    2 VERDILHANT, JACQUES
    3 NIMES
    3 PARIS
    3 RUSSIE
  • A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS (1).
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • le 14 novembre 1845.
  • 14 nov 1845
  • Nîmes,
La lettre

Ma chère enfant,

J’ai à vous répondre deux fois: 1° pour votre lettre d’avant-hier; 2° pour celle d’aujourd’hui. Je vais vite répondre à vos menues questions, afin de passer ensuite aux plus importantes.

1° Vous pouvez m’expédier deux statues du P. Jean(2). Peut-être pourrai-je lui en prendre trois, mais pour le moment j’en retiens deux tout de suite.

2° Ce qu’il me faudrait, ce serait un bon professeur de sixième. J’ai tout ce qu’il me faut pour la huitième et la septième: un homme admirable, s’il n’était pas si humble et si scrupuleux. Mais les enfants qui passent par ses mains sont ferrés à glace sur les principes. Lorsqu’il donnait des leçons en ville les inspecteurs de l’Université engageaient les parents à placer, pour les commencements, les enfants chez lui plutôt qu’au collège(3).

Je n’ai personne à envoyer à M. Michel, à qui je vous prie de dire les choses les plus aimables pour moi. S’il trouvait quelqu’un qui pût me convenir, je l’accepterais très volontiers. Mais il faudrait que ce quelqu’un pût un jour être religieux, car au point où nous en sommes, je ne veux plus que des gens de cette espèce.

3° Si M. Emile arrive, nous le prendrons; mais il y a huit jours, j’aurais été bien plus à mon aise. Hier soir, est entré en fonctions un surveillant que nous n’eussions pas pris, si j’avais su que notre bon Anglais fût à notre disposition.

Vendredi (= 14 novembre).

Moi aussi, je fais le paresseux. Voilà je ne sais combien de temps que je n’avais pu prendre deux ou trois heures de repos complet; je les ai prises aujourd’hui dans mon lit et je ne sais pourquoi je n’en ai pas un grand scrupule. Il faut pourtant que je me dépêche de vous répondre, car je suis en retard. Mais je viens de m’enfermer sous clé, bien résolu à n’ouvrir que quand j’aurai fini avec vous.

4° Si je puis, je vous enverrai 15,000 francs pour le 15 décembre, au 4 o/o, mais payables à Nîmes. Toutefois, je crois qu’il nous sera facile de nous entendre à cet égard. Peut-être vous faudrait-il prendre 17,000 francs, mais au o/o. Vous vous en arrangeriez, je présume. Ce serait aux Carmélites que je ferais cet emprunt; elles ont des fonds placés chez le receveur général. Je tâcherai de négocier cette affaire aujourd’hui même. Toutefois, il faudrait pour cela que je fusse sûr des 10,000 francs que l’on doit me prêter; mais la chose serait encore faisable au moins pour 10,000 francs que je vous enverrais sur-le-champ. Demain, je vous donnerai une réponse définitive.

5° Ce que M. Sibour(4) vous a dit de M. de Salvandy ne me surprend pas, mais il faut s’attendre à des mésaventures de cette espèce. M. de Salvandy a dû être très mécontent. Si l’on m’eût lu l’article, avant de le publier, je n’en eusse pas accepté la responsabilité. Maintenant qu’il est fait, je n’en suis pas fâché. Il est cruel pour certaines gens de s’apercevoir qu’ils sont connus. Du reste, l’article n’a rien trahi des conversations particulières. Je lui porte le défi de le prouver. Ce qu’il m’a dit était répété à Nîmes sur tous les tons par les protestants, avant et après notre conversation. Est-il étonnant que quelqu’un se soit fait l’adversaire de leurs objections, comme M. de Salv[andy] s’en était fait l’écho? Si pourtant vous avez l’occasion par M. Cattois de lui faire savoir que je fus sur le point de réclamer contre l’article de l’Univers, vous me feriez plaisir. Je ne réclamai point, parce qu’il me parut meilleur de ne pas relever ce qui pouvait passer inaperçu.

6° Je vous plains du fardeau que Soeur Marie-Aug[ustine] met sur vos épaules. Je sais quelque chose des fatigues que causent ces espèces de poids, mais je ne veux pas trop vous plaindre, parce que je me plaindrais moi-même de certaines misères qui m’entourent, et je suis résolu aujourd’hui à être plein de patience et de miséricorde. Tant pis pour vous, ma chère fille, si je ne compatis pis à vos maux! C’est que j’y compatirais beaucoup trop par égoïsme.

7° Je reviens à Emile(5). Où en sont ses affaires? Veut-il positivement être religieux? Se fait-il une idée de ce que c’est qu’être religieux? Accepterait- il la surveillance de quelques morveux qui le feront enrager du matin au soir? -Il faut vous dire que nous sommes, cette année, peu contents des surveillants, non qu’ils manquent de bonne volonté, mais ils sont très maladroits.- Où en sont ses affaires de famille? Que pourrait-il avoir un jour? Ou bien aura-t-il quelque chose? Veuillez me camper là-dessus. Pour moi, je ne puis lui offrir qu’un lit dans un dortoir, la moitié de ma cellule, quand elle sera habitable. La nourriture, je le présume, sera plus appétissante que dans les prisons de Russie, mais encore il ne faut pas qu’il s’attende à des merveilles. Que sait-il en fait de peinture? S’il pouvait se fortifier un peu sur cet article, supposé qu’il y eût seulement des dispositions, il pourrait nous être fort utile. On m’accuse de dépenser beaucoup à l’avance, sans quoi je vous aurais dit: « Gardez-le cette année à Paris; faites-le travailler, et je le prendrai l’année prochaine. Bien entendu que je me chargerais, dès aujourd’hui, de son entretien. » Qu’en pensez-vous? Veuillez dire à Soeur Marie-Gertrude que, pourvu qu’il y ait moyen de tout arranger, je ferai à cause d’elle tout ce qu’il me sera possible. Et vous, ma fille, chargez-vous des arrangements. Toutefois, il est bon que vous sachiez qu’au mois de janvier un jeune homme, que la vocation de se faire Capucin(6) poursuit, doit probablement nous quitter, et qu’à cette époque Emile pourra probablement trouver une place moins mauvaise.

8° J’arrive à notre grande affaire. J’ai reçu simultanément une lettre de Gouraud, une de M. Gratry et une de vous. -Celle de M. Gratry avait précédé d’un jour ou deux.- J’en conclus qu’il serait très urgent d’être prêt pour remplacer M. Gratry, à la première fugue qu’il lui plaira d’opérer. Mais j’ai vu avec grand plaisir que M. Boussinet plaisait beaucoup à Gouraud. M. Boussinet peut très bien faire, si l’on veut. Maintenant, il faudrait que l’on pût trouver quelques aides. Je vais m’occuper de cela, mais il faut du temps. M. Henri est tout décidé à partir, si je [le] lui ordonne. Il y va par dévouement pour notre oeuvre, mais c’est pour moi une raison de plus de le garder cette année. Dieu aidant, je trouverai bien, s’il le faut absolument, encore quelqu’un. L’observation que vous avez faite à M. Gouraud au sujet des sujets, que l’on peut préparer avec plus de liberté ici qu’à Paris, est excellente. Seulement, il faudrait pouvoir faire comprendre la chose à M. Gratry.

M. Gouraud, me dites-vous dans votre avant-dernière lettre, me trouve d’une réserve et d’une prudence peut-être extrêmes. Mais pour quelqu’un si souvent accusé, comme je le suis, d’aller trop vite, ai-je si grand tort? Puis, suis- je bien sûr du terrain sur lequel je vais poser le pied? On veut, en dernière analyse, se servir de moi et puis me remercier, quand on n’en voudra plus. Ce n’est pas la pensée de Gouraud, mais avec son refus d’accepter, l’instinct de propriété des autres le conduit là. Suis-je obligé de vouloir cette position précaire? Pour moi, peu importerait. Pour un Ordre, c’est autre chose. Maintenant, je sais bien qu’il faut risquer quelque chose. Je sais aussi que, si nous formons une communauté et que si les propriétaires ne veulent pas traiter, à un moment donné tout le personnel se retirant, la brèche faite à l’établissement sera considérable.

Du reste, je trouve très justes toutes vos observations. Gouraud comprend la nécessité de former des hommes. Mais savez-vous bien qu’il faut que je me forme moi-même? Il est une foule de choses d’expérience que mon amour-propre me fait espérer pouvoir acquérir, précisément parce que je sens très bien qu’elles me manquent. Or, moi aussi, je fais ici une espèce de noviciat du commandement. Je m’aperçois de fausses mesures que l’on croyait utiles, d’exagérations dans la discipline qui amènent des désordres plus grands, de facilités à prendre certains caractères, de difficultés à en pénétrer d’autres; je vois que j’ai été souvent trop sévère, souvent trop indulgent; tout cela peu à peu se coordonne, mais encore un coup le temps à moi m’est aussi fort nécessaire.

Adieu, ma bien chère enfant. Aidons-nous toujours à porter nos fatigues. Je voudrais bien avoir toute votre croix sur mes épaules. La pensée de vous en soulager me donnerait des forces. Il me semble pourtant qu’il ne doit pas en être ainsi, parce que vous n’auriez pas alors cette ressemblance avec Notre-Seigneur que je vous souhaite par dessus toutes choses. Mille choses à Soeur Marie-Gonzague. J’attends sa lettre avec une double impatience. J’ai bien prié, aujourd’hui vendredi, pour Soeur Th[érèse]-Em[manuel]. Avez-vous remis ma lettre à Soeur Marie-Aug[ustine]?

Notes et post-scriptum
1. D'après une copie. Voir des extraits dans *Les origines de l'Assomption*, t., II, p. 364, 444 et dans *Notes et Documents*, t. III, p. 98 sq., 194, 197 sq., 286. La lettre, qui porte la date du 14 novembre, fut certainement commencée le jeudi 13 novembre.
4. L'abbé Sibour, cousin de l'évêque de Digne, avait transmis le mécontentement du ministre contre un article de l'*Univers*, qui parlait de son entrevue avec l'abbé d'Alzon. (Voir en Appendice le texte de cet article.)1. D'après une copie. Voir des extraits dans *Les origines de l'Assomption*, t., II, p. 364, 444 et dans *Notes et Documents*, t. III, p. 98 sq., 194, 197 sq., 286. La lettre, qui porte la date du 14 novembre, fut certainement commencée le jeudi 13 novembre.
2. C'était un sculpteur Bénédictin, religieux au prieuré de Paris; il en est question dans les lettres de du Lac à l'abbé d'Alzon.
3. Il s'agit de Verdilhant.
4. L'abbé Sibour, cousin de l'évêque de Digne, avait transmis le mécontentement du ministre contre un article de l'*Univers*, qui parlait de son entrevue avec l'abbé d'Alzon. (Voir en Appendice le texte de cet article.)
5. Emile de Henningsen.
6. L'abbé Fournéry, mort subitement le 26 juillet 1846.