Vailhé, LETTRES, vol.2, p.399

14 dec 1845 Nîmes, MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Il veut bien ce que Dieu veut, mais que veut-il de lui en ce moment? -Description de son état intérieur. -Le vrai remède à ses misères serait plus de générosité et plus de constance. -Le noviciat va commencer à six, mais pas un n’a l’intelligence surnaturelle de Monnier. -La plus jeune des soeurs Carbonnel ira se former à la vie religieuse à Paris. -Une autre dame se joindrait peut-être à elle. -Il n’est pas pressé de remplacer l’abbé Gratry. -Nouvelles diverses.

Informations générales
  • V2-399
  • 0+437|CDXXXVII
  • Vailhé, LETTRES, vol.2, p.399
Informations détaillées
  • 1 ACTION DE DIEU DANS L'AME
    1 AMOUR DU CHRIST
    1 CHANT DES VEPRES
    1 CHAPELLE
    1 COLERE
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 COMMANDEMENTS DE L'EGLISE
    1 CONFESSION SACRAMENTELLE
    1 DECADENCE
    1 DEVOTION A LA SAINTE VIERGE
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 DISTRACTION
    1 DOMESTIQUES
    1 EFFORT
    1 EGOISME
    1 GENEROSITE
    1 GENESE DE LA FONDATION DES ASSOMPTIONNISTES
    1 HONTE
    1 INSTITUTS RELIGIEUX
    1 LAICAT
    1 MALADIES
    1 NUTRITION
    1 ORAISON
    1 PERSEVERANCE
    1 PRIERES AU PIED DE LA CROIX
    1 REFORME DU CARACTERE
    1 RELATIONS DU PERE D'ALZON AVEC LES ASSOMPTIADES
    1 SCRUPULE
    1 SIMPLICITE
    1 SOEURS CONVERSES
    1 SOINS AUX MALADES
    1 SOLITUDE
    1 SURVEILLANCE DES ELEVES
    1 UNION DES COEURS
    1 VEUVES
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    1 VOLONTE DE DIEU
    2 ALZON, AUGUSTINE D'
    2 BEILING, ADOLPHE
    2 CABRIERES, ANATOLE DE
    2 CARBONNEL, ANTOINETTE
    2 CARBONNEL, ISAURE
    2 CARBONNEL, MARIE-VINCENT
    2 GERMER-DURAND, EUGENE
    2 GERMER-DURAND, MADAME EUGENE
    2 GOURAUD, HENRI
    2 GRATRY, ALPHONSE
    2 MONNIER, JULES
    2 PICARD, FRANCOIS
    2 RIGOT, MADAME
    3 PARIS
    3 PARIS, COLLEGE STANISLAS
  • A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS (1).
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • le 14 décembre 1845.
  • 14 dec 1845
  • Nîmes,
La lettre

C’est avec vous, ma chère enfant, que je sanctifierai mon dimanche, car pour vous écrire je suis obligé de laisser mes enfants chanter Vêpres sans moi, et je n’ai qu’une seule crainte, c’est de n’en avoir pas assez de scrupule. Mais enfin, je veux avoir un peu de temps à moi pour vous parler de moi. J’en suis bien fâché, je veux faire l’égoïste et vous entretenir de ma chère personne. Préparez donc toute votre patience.

Vous dirai-je d’abord que je trouve, comme me le disait hier un avocat de mes pénitents, la vie très difficile et que je voudrais beaucoup que l’on me fît voir la ligne bien droite dans laquelle je dois non seulement marcher, mais faire marcher les autres? Oh! que cette responsabilité pèse quelquefois, et qu’en dehors de la disposition générale, par laquelle on veut tout ce que Dieu veut, il y a à travailler pour découvrir ce qu’il peut vouloir dans chaque circonstance particulière! Ajoutez à cela cette espèce de nécessité où je me trouve d’être seul pour beaucoup de choses, et de discerner ce qu’il faut avoir l’air de ne pas trop vouloir pour le faire accepter; ce qu’il faut faire comprendre aux uns en un sens, aux autres dans un autre sens; pour que l’unité se trouve dans le résultat; ce qu’il faut supposer voulu sans discussion, afin que l’on ne discute pas; ce qu’il faut vouloir, malgré la discussion; le parti qu’il faut tirer des ressources de chacun des maîtres, l’appui qu’il faut leur accorder ou leur refuser, selon leur caractère personnel.

Mon Dieu, vous savez tout cela aussi bien que moi, mais vous le savez depuis plus longtemps peut-être. Moi, je l’apprends tous les jours, et ce m’est tous les jours un nouveau sujet de surprise que Dieu me veuille là avec tout ce qui me manque.

C’est que ce n’est pas tout. Je suis vis-à-vis de Dieu dans un profond état de ténèbres. Ce que sont mes oraisons, je ne le puis dire. J’éprouve seulement l’action de Notre-Seigneur, lorsque je suis à la chapelle, et j’ai surtout un peu de paix, lorsque, le soir, tout le monde étant couché, je viens passer un moment aux pieds de Notre-Seigneur. Il me semble aussi que ma dévotion à la Sainte Vierge s’augmente tous les jours et que vous pouvez vous vanter d’y avoir contribué pour quelque chose. Mais cela suffit-il? Je dis souvent la messe avec bien des distractions. Les domestiques m’impatientent quelquefois furieusement, et je le laisse assez apercevoir. J’ai l’intelligence du bien, mais je n’en ai pas cette pratique intime, dans laquelle on avance à pas lents, mais sûrs, quand on a réellement au coeur l’amour de Notre-Seigneur. Il me semble que, dans mes décisions les plus sérieuses par rapport aux autres, je suis mû quelquefois par un sentiment personnel et qu’il sera toujours a qui que ce soit impossible de m’aimer plus que je m’aime moi-même. Oh! la sotte passion!

Vous voyez à découvert, ma chère enfant, toutes les plaies de votre pauvre père, et, ce qui est triste, c’est que je n’ai aucune honte à vous les faire bien voir. Si j’en découvrais d’autres, je crois que je vous les montrerais également. Si vous avez quelque bon avis à me donner là-dessus, parlez donc en toute simplicité. A vrai dire, je crois bien connaître le remède. C’est une plus grande générosité et quelque chose de plus constant. C’est à quoi je m’applique beaucoup, comme aussi à une grande égalité de caractère qui m’a fait tant de bien chez vous. Me voyez-vous tel que je suis? Je serais peu charmé que mon coeur fût transparent pour le public et même pour mes amis, mais avec vous je le voudrais tout lumière, afin que votre affection servit à me rendre un peu plus aimable à Notre-Seigneur. Quand serons-nous donc, chère enfant, vous et moi, [ce que] nous devons être pour accomplir ce que Dieu demande de nous? Voyez, j’ai de bonnes résolutions; prenez-en, de votre côté, et que réellement nous puissions avancer vers Notre-Seigneur et faire avancer tous nos enfants.

Mais c’est assez vous parler de moi; j’ai à vous dire bien d’autres choses. Vous me demandez où j’en suis avec Durand. Au mieux. Mais Durand est marié et ne peut pas être religieux. Dois-je tomber dans l’inconvénient d’initier à nos affaires d’Ordre un laïque? Nous serons six à commencer, comme je vous l’ai déjà dit. Mais parmi ces six, il n’en est aucun qui ait la moitié ni le quart de l’intelligence de la chose, telle que l’a Monnier par exemple. Or, lorsque je parle d’intelligence, j’entends l’intelligence surnaturelle que l’on rencontre si rarement parmi les gens de beaucoup d’esprit, et remarquez qu’il s’en faut de beaucoup que j’aie affaire à des aigles. Mais j’ai une grande douceur, cependant, à penser qu’un jour j’aurai un sujet précieux dans l’un de nos élèves, qui n’est, à la vérité, qu’en seconde, mais qui a des moyens beaucoup plus qu’ordinaires, un coeur d’or et une grande piété. Je vous recommande de beaucoup prier pour lui(2).

Que vous dirai-je de l’ensemble de la maison? Hélas! j’y découvre bien des misères. Malgré une surveillance continuelle, je ne puis me dissimuler qu’il y ait une grande légèreté, pour ne rien dire de plus, parmi quelques-uns de nos enfants. Que faire contre tous ces désordres qui reparaissent à chaque moment et qui ne nous laissent pas un moment de repos?

Voici bien une autre affaire. Vous savez que les demoiselles Carbonnel sont trois. La première que vous connaissez le plus, Mlle Isaure, m’a fait de telles scènes que la patience a fini par m’échapper. Une fois seulement je lui ai parlé un peu vertement, mais je lui ai fait comprendre avec calme que je ne voulais pas supporter ses tons. Il s’en est suivi, de sa part, la résolution de quitter la maison(3). J’ai pris des moyens pour que, d’ici à la fin de l’année, elle ne fît pas de coups de tête. Mais il en est résulté que sa plus jeune soeur a pris la résolution de suivre sa vocation, qui, depuis de longues années déjà, l’appelle dans un couvent. Vous savez que je vous en ai parlé. Voici ce qu’elle fera, si cela vous va. Vous savez que vous m’avez proposé de me former des Soeurs converses pour soigner mes petits moutards. Elle ira vous trouver comme Soeur converse ou Tertiaire. Si elle ne vous convient pas, vous me la renverrez pour cette oeuvre; si elle vous va, vous la garderez comme religieuse, et alors, moi, je m’arrangerai comme je pourrai. Son caractère a été tellement éprouvé par les scènes furibondes de sa soeur que, de ce côté, vous n’aurez sûrement pas grand’chose à faire. C’est une fille d’oraison et qui, en dernière analyse, avec moins de moyens que sa soeur aînée, fait beaucoup mieux aller les choses dans la maison, à cause de son esprit calme, posé et doux, et de son jugement droit. Elle vous écrira quand vous le voudrez. Il faut seulement savoir qu’elle a quarante-trois ans et qu’elle a parfois des migraines qui lui durent vingt-quatre heures. Mais cela ne l’a pas empêchée de gouverner seule la maison, tandis que ses soeurs étaient à la campagne.

Peut-être à elle se joindrait une dame veuve, qui depuis longtemps est dans la maison pour soigner les malades. Sans être aussi aisée que les dames Carb[onnel], elle a encore quelque chose et aura un jour 80,000 francs. Elle a un fils en pension chez nous; elle nous le laisserait sans difficulté, d’autant plus qu’elle compte qu’il mourra. En effet, ce pauvre petit a une santé bien délicate, ce qui le rend merveilleusement maussade. Sa mère a une santé de fer. Figurez-vous que, pendant que j’étais à Paris, elle a fait voeu de ne plus manger que de la soupe, du lait, du pain et des fruits, et de se priver de toute espèce de viande et de ragoût. Elle ne s’en porte que mieux. Je n’eusse pas permis une pareille promesse, mais une fois faite, je n’ai pas pu trouver de raison suffisante pour l’empêcher de la tenir. Elle aussi, si vous la vouliez, quand vous l’auriez connue, resterait avec vos filles ou reviendrait ici. Mais pour elle comme pour Mlle Anaïs Carbonnel, il faudrait colorer leur départ par une espérance de retour.

Je voulais vous parler encore de M. Gratry. Franchement, je ne suis pas très pressé d’aller chez lui et de courir ainsi deux lièvres(4). Il me paraît donc que le cher homme doit calmer un peu son empressement et sa marotte; car pour moi, je veux avant tout que la volonté de Dieu se fasse en paix et non en empressement. J’ai reçu une lettre charmante de M. Gouraud, à qui je vous prie de dire que je lui répondrai au premier jour. Il veut que j’aille causer avec lui ct je ne demande pas mieux. Mais il faut aussi que nous puissions poser quelques idées dans l’ordre où je me place; sans quoi nous n’aurons rien à faire.

Voilà mon papier qui touche à sa fin, et que de choses n’aurais-je pas à ajouter? Mais une qu’il faut vous recommander, c’est de ne pas dire à mes soeurs que je vous écris aussi souvent et aussi longuement. Je ne les traite pas aussi largement, si écrire beaucoup est, de ma part, une largesse. Je voulais vous dire aussi que, si ma soeur aînée est incertaine d’aller vous voir, c’est que vous lui produisez, je crois, quelque chose de l’effet qu’elle vous produit. Il faut que vous vous soyez vues pour que tout cela disparaisse.

Adolphe(5) s’est un peu remis à l’oeuvre, mais il est boutonné avec moi depuis une semaine. Je n’ai pas eu le temps d’avoir l’air d’y faire attention. Je tâcherai d’apaiser ses petites colères et de calmer ses petites irritations, à mon loisir.

Mille choses à toutes vos filles. Je leur envoie quelques images. Adieu. Tout à vous et plus que jamais, puisque vous allez être tout à fait la mère de mes fils. Je n’ai pas le temps de me relire.

Notes et post-scriptum
1. D'après une copie. Voir des extraits dans *Les origines de l'Assomption*, t. II p. 389-391, et dans *Notes et Documents*, t. III, p. 145, 198.1. D'après une copie. Voir des extraits dans *Les origines de l'Assomption*, t. II p. 389-391, et dans *Notes et Documents*, t. III, p. 145, 198.
2. Il ne s'agit pas du futur Mgr de Cabrières, qui n'était encore qu'en troisième, ni du futur P. François Picard, encore moins avancé.
3. Les demoiselles Carbonnel habitaient ordinairement leur campagne de Largnier, près de Garons, sur la route de Nîmes à Arles; elles avaient aussi une maison en ville.
4. Le collège Stanislas à Paris et l'Assomption à Nîmes.
5. Adolphe Beiling qui ne tarda pas à se retirer.