Vailhé, LETTRES, vol.3, p.14

11 jan 1846 Nîmes, MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Ordre de ne plus songer à déposer le supériorat. -L’évêque n’ose autoriser son voyage à Paris. -Son incertitude au sujet du collège Stanislas. -Il hésite à accepter des Assomptiades pour son petit collège. -Demande de professeurs. -Nouvelles des religieux.

Informations générales
  • V3-014
  • 0+449|CDXLIX
  • Vailhé, LETTRES, vol.3, p.14
Informations détaillées
  • 1 COLLEGE DE NIMES
    1 FORMATION DES NOVICES
    1 MAITRES
    1 MALADIES
    1 PREDICATIONS DE CAREME
    1 REFUGE LE
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 SANTE
    1 SUPERIEURE GENERALE
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    1 VIE RELIGIEUSE
    1 VOYAGES
    2 CART, JEAN-FRANCOIS
    2 CROY, DE
    2 CROY, MADAME DE
    2 DESGENETTES, CHARLES-ELEONORE
    2 GOURAUD, HENRI
    2 GRATRY, ALPHONSE
    2 TESSAN, JEAN-CHARLES DE
    3 NIMES
    3 PARIS
    3 PARIS, COLLEGE STANISLAS
    3 PARIS, EGLISE NOTRE-DAME DES VICTOIRES
  • A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS (1).
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • le 11 janvier 1846.
  • 11 jan 1846
  • Nîmes,
La lettre

Et moi aussi, ma chère enfant, je veux vous écrire ce soir, quoique j’aie fait partir pour vous une lettre au moment où j’allais en recevoir une de vous. Je profiterai des avis que vous me donnez pour M. de Croy. Je plains beaucoup sa pauvre femme, qui ne se gêne pas pour dire qu’elle a une certaine répugnance pour son mari(2). Mais j’ai à vous parler d’autre chose.

1° De votre santé. Vous avez des maux de dents et vous n’en allez ni plus ni moins. Ce n’est pas bien. Car enfin ne craignez-vous pas que, tout pesant sur vous, vous ne finissiez par succomber?

2° De vos peines à l’égard de votre charge. Ma bonne fille, laissez-les donc. Ou dites-moi que vous ne me trouvez plus bon à rien, que je suis incapable de vous aider à les porter; ou laissez-m’en la responsabilité devant Dieu. N’est-ce pas moi qui veux que vous soyez là? L’obéissance ne peut-elle vous être en ceci bonne à quelque chose? Vous me disiez de vous faire beaucoup obéir. Eh bien, je vous ordonne de vous décharger sur moi de la responsabilité qui pourrait vous gêner en quelque chose. Je sais qu’il y a certaines peines intimes, dont on ne peut passer la piqûre à un autre. De celles-là je ne puis accepter la douleur; c’est votre affaire personnelle. Mais il me semble que, si vous voulez bien, vous pourrez très certainement obtenir un peu de soulagement de la pensée que c’est moi qui prends devant Dieu, sans trouble ni crainte, la charge de votre position. Je prierai Dieu, ma chère fille, de vous soutenir directement dans tout ce en quoi il ne voudra pas m’en confier le soin. Il peut vouloir que je vous sois en cette occasion un appui, mais aussi que vous remontiez à lui pour vous reposer sur son coeur.

Vous ai-je dit, dans ma lettre de ce matin, la réponse de mon évêque? Mais non, je ne vous en ai pas parlé. Sachez donc que, hier, à 9 heures, j’allai le voir; que, pendant une demi-heure, il discuta la question de savoir si j’irais à Paris; que, à 9 h. 1/2, rien n’était décidé; que je lui proposai de prendre l’avis de l’abbé de Tessan; que, à 10 h. 1/4, j’y retournai avec ce bon abbé et qu’à 11 heures il décida (avant de tourner la page, arrêtez-vous et devinez…), il décida qu’il ne déciderait rien. Il va écrire à M. Desgenettes(3) qu’il ne peut me dire d’aller à Paris, mais qu’il me laissera partir et qu’il s’en rapporte, à cet égard, entièrement à moi, mais qu’il m’engage à rester. Or, ses raisons, les voici:

1° On dira que je suis un inconstant, et j’en ai déjà la réputation assez établie.

2° La maison perdra beaucoup de sa réputation, si je n’y suis pas toute l’année.

3° Si surtout j’ai le malheur d’envoyer quelques filles à l’Assomption, je me perds de réputation à Nîmes.

4° Il veut faire une tournée après Pâques et ne sait qui prendre pour l’accompagner, si je n’y suis pas.

5° Il craint qu’on ne me fasse une suppression de traitement, si je fais de si longues absences.

Maintenant, ma chère fille, dois-je venir à Paris? Je crois que oui, et je le fais d’autant plus volontiers que presque tous les hommes un peu sérieux que je consulte m’y engagent et m’y engagent assez fortement. J’aurai, je l’avoue, une angoisse dans la pensée que quelques mécontents pourront troubler la bonne harmonie, mais cependant j’aime à me persuader que l’on peut absolument parer à cet inconvénient. Donc, à peu près sûrement, je viendrai à Paris. Je ne m’arrête pas au bonheur de vous retrouver; ce sont choses auxquelles il ne faut pas songer pour n’avoir pas à se dire qu’on n’a pas été assez impartial, en pesant le pour et le contre de la décision.

Mais reste toujours la question: que faire avec M. Gouraud? Franchement, je l’ignore. Me sacrifier sur-le-champ à Stanislas me paraît une impossibilité. Avoir à Stanislas la même influence que j’exerce ici, je ne l’espère pas. Aller là-bas pour continuer ce qui est, me semblerait temps perdu. Vouloir le changer à moi seul ou par un seul de mes hommes serait une prétention très vaine. Je n’ai qu’un parti à prendre, celui de gagner le plus de temps possible. Mais comment le gagner, si M. Gratry tient tant à prendre son sac et ses quilles? Tout ce que j’y vois, c’est qu’il faut bien prier, pour que Dieu nous fasse faire aux uns et aux autres ce qui entre le mieux dans les plans de sa gloire. Je vais faire faire une neuvaine aux Carmélites à cette intention.

Quelque chose, ma chère fille, m’est allé au coeur dans votre lettre, c’est la proposition de me donner de vos Soeurs pour un petit collège. Votre disposition à cet égard me fait un effet incroyable, mais je ne sais si je dois accepter une offre aussi gracieuse. Je crains que vous ne vous laissiez entraîner ici par votre coeur et que vous ne vous montriez en cette circonstance plus fille que mère. Or, cela, dois-je le vouloir? A qui au monde auriez-vous eu la pensée d’offrir des Assomptiades pour un pareil emploi? Vous me répondrez que c’est à moi et non pas à un autre. Oui, sans doute, mais le dois-je vouloir et ne dois-je pas, au contraire, y mettre obstacle? Le bien que vous feriez ici ne compromettrait-il pas le bien plus grand que vous pourriez faire ailleurs? Je vous avoue que ce que vous m’en dites, en me causant une grande dilatation de coeur, m’a un peu effrayé pour les conséquences, et, d’autre part, je suis convaincu que, si nous n’avons pas des religieuses, les choses iront tout de travers. Enfin, nous causerons de tout ceci quand je serai à Paris.

Vous ai-je dit que je voudrais quelques professeurs pour les classes inférieures, la huitième, la septième, la sixième? Je ne sais si, même, avant mon arrivée, on ne pourrait pas nous en préparer. Vous aviez eu la bonté de me le proposer dans le temps. Mais il me paraît impossible qu’avec un peu de bonne volonté on ne vienne pas à bout de trouver, parmi les gens qui assisteront au Carême de Notre-Dame des Victoires, des sujets pour notre oeuvre.

Notre petite communauté va bien. Elle prend peu à peu des habitudes religieuses, mais cela tout doucement et par la seule volonté des membres que je tâche d’y incliner, soit dans des entretiens que j’ai avec eux deux fois par semaine, soit dans quelques entretiens particuliers. Il me faut aller dire la messe au Refuge, et, comme je n’aurai pas le temps de vous écrire jusqu’à midi et que je ne compte pas sur la bonne fortune de trois lettres en trois jours, je vous quitte.

Adieu, chère fille. Je n’ai pas le temps de me relire. Tout à vous en Notre- Seigneur.

Notes et post-scriptum
1. D'après une copie. Voir *Les origines de l'Assomption*, t. II, p. 448, e *Notes et Documents*, t. III p. 119, 201 sq., 303.1. D'après une copie. Voir *Les origines de l'Assomption*, t. II, p. 448, e *Notes et Documents*, t. III p. 119, 201 sq., 303.
2. Celui-ci, qui s'appelait de son vrai nom Girathauld, était un banquier allemand qui avait pris le nom de sa femme à la suite de mauvaises affaires.
3. Curé de Notre-Dame des Victoires.