Vailhé, LETTRES, vol.3, p.18

12 jan 1846 Nîmes, MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Plaintes des maîtres au sujet de la nourriture. -Réunion des religieux et des associés à ce sujet: la question matérielle et la question morale. -Au sujet des dames économes du collège. -Consultation sur son voyage de Paris.

Informations générales
  • V3-018
  • 0+450|CDL
  • Vailhé, LETTRES, vol.3, p.18
Informations détaillées
  • 1 ASSOMPTIONNISTES
    1 CLERGE FRANCAIS
    1 CONFESSION SACRAMENTELLE
    1 ECONOME DU COLLEGE
    1 EMBARRAS FINANCIERS
    1 GOURMANDISE
    1 MAITRES
    1 MAITRES TERTIAIRES
    1 NUTRITION
    1 PENITENCES
    1 PENSIONNAIRES
    1 REGIME ALIMENTAIRE
    1 REPAS DES RELIGIEUX
    1 SANTE
    1 TIERS-ORDRE DE L'ASSOMPTION
    1 VOYAGES
    2 BOURDOISE, ADRIEN
    2 CARBONNEL, ISAURE
    2 CARBONNEL, MESDEMOISELLES
    2 CARDENNE, VICTOR
    2 CUSSE, RENE
    2 DECKER, FRANCOIS-JOSEPH
    2 GOUBIER, VITAL-GUSTAVE
    2 MONNIER, JULES
    2 OLIER, JEAN-JACQUES
    2 SAUVAGE, EUGENE-LOUIS
    3 FRANCE
    3 PARIS
    3 PARIS, SEMINAIRE SAINT-SULPICE
  • A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS (1).
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • le 12 janvier 1846.
  • 12 jan 1846
  • Nîmes,
La lettre

Si vous pensez, ma chère fille, que je n’aurai pas recours à vous toutes les fois que je le croirai nécessaire, dussé-je vous écrire trois jours de suite, vous êtes dans l’erreur et je tiens à vous détromper. C’est pour cela que je n’hésite pas à vous adresser cette lettre, qui sera longue, si l’on ne me dérange pas pendant l’heure et demie que j’ai à vous consacrer.

Vous avais-je dit, hier, que nos professeurs de la maison s’étaient tous plaints que la nourriture des élèves et la leur étaient insuffisantes? Hier, à la réunion du Tiers-Ordre, je pris la parole, et, après avoir chargé le secrétaire de tenir note de mes paroles, je parlai à peu près ainsi(2). Je commençai par leur faire observer que j’avais à m’applaudir d’avoir chargé un des leurs de me remettre, tous les soirs, les observations de chacun d’entre eux qui aurait à en présenter; que je voyais avec peine que, depuis quinze jours, tous les maîtres eussent des observations à me faire et que l’on n’eût pas osé me parler; que je tenais à donner un exemple contraire et que, pour moi, j’allais tout dire.

Je leur ai lu la note dont la substance était que les enfants étaient mal servis, que les maîtres ne l’étaient pas suffisamment, que j’aurais tort d’arguer de mon exemple -attendu que l’on ne concevait pas comment je ne périssais pas d’inanition au peu dont je me contentais. Je repris et je fis observer qu’il y avait deux questions dans l’observation qui était faite, au nom de tous les maîtres internes; que j’y voyais l’occasion, pour moi, de leur adresser des paroles sévères et que je le ferais avec toute l’autorité que me donnaient l’assentiment libre de leur volonté, le sentiment de la vérité et la conviction que j’avais acquise, en priant Dieu à la messe et dans ma méditation, que je devais leur parler avec une certaine énergie.

Les deux questions que je voulais traiter étaient l’une matérielle, l’autre morale. La question matérielle était l’insuffisance de la nourriture pour les maîtres et les élèves. Je parlai d’abord des maîtres. Je distinguai ceux qui étaient religieux de ceux qui ne l’étaient pas, et je dis que ceux qui doivent être religieux m’étonnaient beaucoup, car ils devaient s’attendre à n’avoir jamais plus; que je m’en contentais, qu’ils s’en contenteraient, qu’aller au delà ne se verrait jamais; que, dès lors, c’était à eux de voir si leur santé s’accommodait du régime, parce qu’il serait toujours le même. L’objection du peu que je mangeais n’en était pas une, vu que si je laissais une partie de mes repas, les autres n’y étaient pas obligés; que, sauf un rhume, je me portais très bien; que je ne déjeunais ni ne goûtais, et qu’en déjeunant et goûtant, en mangeant de tous les plats à dîner et à souper, ils avaient plus qu’il ne leur en fallait.

Quant aux maîtres non religieux, je distinguai les ecclésiastiques des laïques. Je reconnus qu’il fallait être indulgent envers eux, à cause de leur âge, et ne pas trop leur reprocher les sucriers vidés dans leurs poches; que, toutefois, M. Olier se préparant à fonder Saint-Sulpice se contentait d’un potage et d’un morceau de mouton, et que M. Bourdoise trouvait que c’était trop pour le régime d’une maison destinée à fournir des curés dans les campagnes: que ces Messieurs pourraient me répondre qu’ils n’étaient ni des Bourdoise ni des Olier; que je m’en étais douté, mais que le régime auquel ils étaient soumis était un peu meilleur que celui de ces hommes, qui avaient renouvelé le clergé de France. Quant aux autres, j’étais assez embarrassé; que MM. Sauvage et Cardenne m’avaient répété à plusieurs reprises qu’ils étaient très satisfaits et que, dès lors, je ne comprenais pas leurs réclamations; que je savais qu’il y avait des estomacs peu faits à la cuisine française, que ceux-là pouvaient être mécontents, mais que j’en étais bien fâché, puisqu’ils ne m’avaient jamais rien dit directement; ce qui eût pu amener des explications que j’avais voulu attendre. Voilà pour les maîtres(3).

Quant aux élèves, j’étais bien aise d’avertir que, le jour même où l’on prétendait que les élèves étaient mécontents, j’avais vu la mère d’un élève; que l’ayant questionnée sur ce qu’elle savait par son fils, elle m’avait dit qu’il était très satisfait et qu’elle me conjurait de ne rien changer; que j’en avais vu d’autres avant et après, que toutes m’avaient tenu le même langage; que c’étaient des dames qui certainement pouvaient offrir à leurs fils un meilleur ordinaire chez elles, qu’elles étaient satisfaites de celui de la maison, que, dès lors, je ne voyais pas à quoi bon le changer; que j’avais remarqué qu’en général c’étaient les enfants, qui, par leur position, avaient le moins le droit de se plaindre qui se plaignaient le plus, et qu’également en général ceux qui avaient le droit de se plaindre se plaignaient le moins.

On disait que les portions étaient insuffisantes; que l’on savait fort bien que les ordres étaient donnés, pour que l’on fit droit, à la cuisine, à toutes les réclamations de ce genre. On me signalait un certain plat d’herbes, dont une table n’avait pas voulu; qu’il était bien malheureux qu’une autre table, le même jour, eût réclamé de ces herbes et que le plat de la table des maîtres eût été fort bien mangé; qu’il était malheureux qu’une table d’élèves eût le goût plus délicat que les maîtres et certains de leurs camarades, mais qu’il serait ridicule de s’arrêter à de pareilles objections; que le soir même du jour où j’avais vu la dame, à qui j’avais demandé l’opinion de son fils sur notre cuisine, cet enfant était venu m’assurer qu’il était très content, qu’il n’avait jamais murmuré, et que, s’il avait paru approuver quelques murmures, c’était faiblesse de caractère de sa part, mais qu’il n’y avait pas sujet légitime de plainte. Après de pareils renseignements, je pouvais parfaitement rester tranquille.

La question matérielle traitée, venait la question morale; que je l’envisageais de deux manières: d’abord, [que] je demandais pardon de parler de moi, mais que j’allais déposer mon bilan; qu’avec les ressources qui me permettaient de couvrir des déficits assez considérables, j’avais pourtant besoin d’économiser; que j’avais cru m’adresser à des hommes de dévouement et non d’arrangements; que cependant il y aurait moyen de tout arranger; que deux professeurs étaient nourris, logés, chauffés, éclairés et blanchis, lesquels avaient demandé à venir dans la maison. quand ils auraient dû loger dehors; que je les avais pris pour 600 francs, – je demandai si c’était trop cher, mais aussi que si quelqu’un des maîtres internes n’était pas content, je lui offrais 600 francs et qu’il s’arrangerait comme il l’entendrait. J’ajoutai un peu sérieusement qu’il me paraissait qu’il devraient être honteux de ne pas comprendre la position que j’avais voulu leur faire, honteux surtout d’exciter le mécontentement des élèves et de voir les mères des enfants les envoyer me faire des excuses à ce sujet, quand c’eût été à elles à parler comme les maîtres et aux maîtres à parler comme les mères.

Mais, poursuivis-je, je ne suis pas remonté à la source véritable, et je veux l’indiquer. Vous êtes mécontents, parce que vous vous trouvez sous la tutelle, croyez-vous, des dames économes. Il faut que vous sachiez que lorsque, l’année passée, elles se décidèrent à venir, elles consultèrent. Monseigneur les prévint que leurs ennuis ne viendraient pas des élèves, mais des maîtres. M. Goubier, à qui ses souvenirs de professeur du Petit Séminaire rappelaient ses luttes contre l’économe, leur tint le même langage et les avertit que, pour opérer certaines réformes nécessaires, il leur fallait un peu de fermeté. Je les soutins dans ce sens, et, l’année passée, il y eut du mécontentement, car, quoiqu’on regrette le régime de l’année passée, il y avait des plaintes et de graves plaintes. Cette année, les dames avaient une autre position à tenir; elle ne demandaient pas mieux que d’adoucir leurs rapports, mais il y avait un vieux levain; il a fermenté.

La question, maintenant, est celle-ci: êtes-vous des hommes raisonnables, qui sachiez qu’il faut, après tout, être toujours polis avec des femmes? Avez-vous toujours été convenables? Comprenez-vous que c’est à vous à faire les premières avances? Pour moi, je promets qu’en maintenant le régime de la maison tel qu’il est, j’aurai l’oeil à ce que les détails soient convenables; mais c’est à vous à descendre dans vos âmes pour voir si la charité y a bien prise, si une triste question de gourmandise ne vous a pas trop émus. Enfin, je m’applaudis de cette communication qui m’a fourni l’occasion de vous faire connaître ma résolution bien positive et qui m’a fourni la preuve que, quand je croirais devoir vous parler avec autorité et énergie, je pourrai toujours le faire, dussé-je vous faire de la peine.

Pour bien finir, je dis que je n’autorisais pas les observations; qu’on me les ferait au Conseil du lendemain, s’il y avait lieu; et, pour leur donner une preuve de confiance, je leur dis que j’allais les consulter sur une affaire personnelle, celle de mon voyage à Paris. Je leur demandai ce qu’ils en pensaient. Ils furent d’avis que j’y allasse. Monnier fit une proposition sur des prières à faire et des mortifications à s’imposer pour les enfants, dont on était mécontent. La chose fut acceptée. M. Sauvage promit de rester trois soirées sans fumer, pour obtenir l’amendement d’un de nos mauvais sujets, et l’on se sépara.

Le soir même, l’un de ceux que je soupçonnais le plus, me demanda à se confesser. Plusieurs autres vinrent m’assurer qu’ils étaient très contents et qu’ils n’avaient donné leur adhésion que pour faire comme les autres. On prétend que c’est Decker qui a poussé; mais je crois, moi, qu’on n’a pas poussé et que la cause véritable, comme je le leur ai dit, est un petit froissement vis-à-vis des dames Carbonnel. Ce soir, il y aura ou il n’y aura pas d’explications. Je me reproche d’avoir parlé, en commençant, avec un accent un peu ému, quoique je n’aie dit que ce que je voulais. J’ai tenu à vous conter cet incident, parce que je crois qu’il fera époque parmi nos gens et leur prouvera que je sais changer de ton quand je le veux. Mais ne suis-je pas interminable?

Adieu, ma chère fille. A revoir dans cinq ou six semaines. Tout à vous en Notre-Seigneur. Je ne me relis pas.

Notes et post-scriptum
1. D'après une copie. Voir *Notes et Documents*, t. III, p. 251-256.1. D'après une copie. Voir *Notes et Documents*, t. III, p. 251-256.
2. Le procès-verbal du Tiers-Ordre, du 11 janvier, rédigé par Monnier, parle ainsi de notre sujet: "Le président croit devoir rappeler chacun de nous à l'esprit de charité et de dévouement (Voir le procès-verbal du Conseil.) et use du droit que nous lui avons donné de nous dire, dans les occasions pénibles, toute la vérité, fût elle un peu dure à entendre. Ces observations n'ont pas dû être mentionnées au procès-verbal." Or, le procès-verbal du Conseil, auquel on nous renvoie et qui fut rédigé par le Fr. Cusse, ne contient pas la moindre allusion à notre affaire.
3. Des maîtres laïques tertiaires, deux, mariés, Monnier et Germer-Durand ne mangeaient pas au collège; deux autres, Sauvage et Cardenne, étaient hors de cause; il ne restait donc que les deux Allemands et le Polonais. Il y avait, en plus, d'autres maîtres laïques qui n'assistaient pas aux réunions du Tiers-Ordre.