Vailhé, LETTRES, vol.3, p.24

21 jan 1846 Nîmes, O_NEILL_THERESE Emmanuel ra

Les faits extraordinaires qui se passent en elle ont un principe divin. -Raisons de cette décision. -Il faut donc accepter les souffrances qui lui sont envoyées de Dieu. -Mais l’une des causes de ses souffrances étant son incrédulité à l’égard des impressions reçues, elle doit s’établir dans la volonté générale et absolue de s’en remettre à la volonté de Dieu et à l’autorité de son directeur et de ses supérieurs. -La cause de l’état de fatigue qui suit peut être naturelle et doit être sanctifiée par son acceptation. -Remerciements pour ses prières.

Informations générales
  • V3-024
  • 0+451|CDLI
  • Vailhé, LETTRES, vol.3, p.24
Informations détaillées
  • 1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 ACTION DE DIEU DANS L'AME
    1 CELEBRATION DE LA MESSE PAR LE PRETRE
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 DOUTE
    1 EPREUVES SPIRITUELLES
    1 FIDELITE
    1 PAIX DE L'AME
    1 PATERNITE SPIRITUELLE
    1 RECONNAISSANCE
    1 RESISTANCE A LA GRACE
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 VIE DE PRIERE
    1 VIE SPIRITUELLE
    2 JONAS, BIBLE
  • A LA SOEUR THERESE-EMMANUEL O'NEILL (1).
  • O_NEILL_THERESE Emmanuel ra
  • le 21 janvier 1846.
  • 21 jan 1846
  • Nîmes,
  • Madame
    Madame Thérèse-Emmanuel au couvent de l'Assomption
    n°76, rue de Chaillot. Paris.
La lettre

J’ai reçu votre lettre hier soir, ma chère fille, et j’ai voulu dire la messe à votre intention avant d’y répondre, afin de trouver auprès de Notre-Seigneur les lumières dont j’ai besoin pour vous parler d’une manière qui satisfasse votre âme. Je crois entrer entièrement dans votre pensée, lorsque vous me demandez une sanction d’Eglise. Aussi, laissant à part la question d’affection toute paternelle, dont vous ne doutez pas, je vais vous parler avec toute l’autorité que vous m’avez donnée et que j’ai consenti à prendre à votre égard.

Laissez-moi vous dire, ma chère enfant, que je ne sais si, moi aussi, je m’abuse, mais rien ne me semble plus clair que votre position et votre état. J’y vois deux éléments. bien distincts et dont la lutte, par moments, établit précisément la souffrance, ou plutôt une partie des souffrances que vous éprouvez, car il faut distinguer à cet égard. Que Dieu agisse en vous, cela m’est évident, car ce n’est pas votre imagination. Si vos enlèvements devaient être attribués à votre exaltation personnelle vous aimeriez vous en entretenir, et les souffrances, les répugnances, les dégoûts que vous éprouvez en ce moment me paraissent prouver qu’ils ne peuvent venir de votre propre fond, puisque vous m’avouez que, quand l’enlèvement vient, vous n’en êtes pas maîtresse, et que, par votre disposition naturelle, vous êtes tentée d’incrédulité par rapport à la cause et détournée ensuite d’en accepter les conséquences pratiques. Ce n’est pas, non plus, le démon qui produit ces effets, par une foule de raisons qu’il est inutile d’énumérer. Dès lors, il ne reste plus que Dieu, dont j’aperçois, ce me semble, l’action bien distincte à divers caractères.

1° L’enlèvement vous prend, que vous le vouliez ou non;

2° Pendant l’enlèvement, vous allez où l’on vous pousse, sans que votre volonté y soit pour rien;

3° Les impressions sont toutes bonnes et très dignes de Dieu;

4° Vous distinguez à merveille ce qui vous est demandé de ce à quoi vous vous sentiriez portée, si vous agissiez naturellement.

D’où je conclus, du fait même de l’enlèvement et des caractères qu’il présente, à son principe divin. Ai-je eu raison de vous donner tous ces détails? Et n’eussé-je pas mieux fait de vous dire, avec tout le calme d’une certitude très arrêtée et par l’effet d’une conviction intime: « Oui, ma chère fille, Dieu agit en vous? » C’est la réponse qu’il m’a donnée sans cesse pour vous, toutes les fois que je me suis occupé de votre état et surtout pendant la messe. Au moment de la Consécration, un oui si positif me paraissait sortir du calice que je ne puis résister à vous dire: « Tout votre mal ou plutôt une partie de votre mal vient de votre incrédulité. »

Mais une fois que nous avons établi que le principe de vos enlèvements est divin, le reste coule de soi. Vous devez accepter les souffrances qui vous sont envoyées, toutefois en distinguant bien, comme je viens de le faire, ce que Dieu vous imprime de douleur et ce que vous y mettez par votre faute. Ce qui est le résultat de votre incrédulité, de vos doutes ou de votre lâcheté à vous porter à ce que Dieu demande de vous, est de vous. Ces souffrances sont sans mérite. Me pardonnerez-vous de vous dire qu’elles sont coupables? Ce sont les angoisses de Jonas jeté au fond de la mer pour avoir refusé d’aller où Dieu le voulait envoyer. Sur cette partie de votre état je crois devoir me montrer sévère, parce que je crois que c’est le point par lequel vous résistez au Saint-Esprit. Mais tout dans vos souffrances a-t-il ce caractère de péché? Evidemment non. Puisque Notre-Seigneur vous attire à ses mystères douloureux, il est certain que vous devez souffrir et beaucoup souffrir; mais les douleurs qui résultent de l’impression divine ont un très grand mérite, si vous le voulez, mérite qui se compose et de ce que Notre-Seigneur met en vous et de votre adhésion à cette action divine.

Maintenant, vous me demanderez si l’une des causes de votre souffrance étant l’incrédulité même à l’égard des impressions que vous recevez, vous avez quelque chose à faire pour bannir cette incrédulité de votre âme. A cet égard, ma chère fille, je suis assez embarrassé. Car, si Notre-Seigneur veut vous éprouver par l’incrédulité même, ce qui se comprend très bien, vous n’avez que deux partis à prendre ou plutôt un seul qui implique deux conditions: la première, de vous établir dans une volonté très générale et très absolue de vous perdre dans la volonté de Dieu, acceptant tout ce qu’il lui plaira de vous envoyer et vous offrant de vous-même, avec toute la générosité possible, à ses coups pour être fille de douleurs avec Jésus-Christ; la seconde, de vous en rapporter filialement, pour le cas particulier de votre état présent, à la direction et à l’autorité de votre père et de votre mère. Or, si ces dispositions sont en vous et si vous êtes résolue à être généreuse pour tout envers Dieu et à accepter ma décision, je vous forcerai, autant que j’en suis capable:

1° à accepter vos enlèvements comme venant de Dieu;

2° à vivre conformément à ces enlèvements;

3° à bannir, autant qu’il dépendra de vous, toute incrédulité;

4° à sortir de la vie naturelle pour vous constituer dans la vie surnaturelle de souffrances où vous appelle Notre-Seigneur;

5° à examiner si, dans cet état d’agonie, il n’y a pas un point par lequel vous avez comme une paix imperceptible. C’est le seul point sur lequel je ne trouve pas de renseignements assez positifs dans votre lettre. Il me semble que, par moments, la paix doit être entièrement bannie de votre âme et que cependant quelque chose de vous, qui n’est pas vous, doit vous dire qu’il faut qu’il en soit ainsi. Quand vous n’auriez cette impression qu’au moment de l’enlèvement, dût-elle ensuite disparaître, cela ne ferait rien.

Enfin, ma chère fille, cet état de fatigue, d’accablement, dont vous me parlez, ne m’inquiète en aucune façon. La cause peut par quelque côté en être naturelle, comme aussi il peut être une suite immédiate de l’action de Notre-Seigneur sur vous. Je crois qu’il est peu utile de chercher à le connaître, pourvu que nous sachions: 1° que la cause n’en est pas mauvaise; 2° que, soit que cela vienne de vous ou de Dieu, vous pouvez le sanctifier en l’élevant par une disposition de générosité à cet état supérieur que Dieu demande de vous dans vos enlèvements.

Voilà, ma chère fille, ce que je voulais vous dire et ce que je puis vous dire, car il me serait impossible de vous tenir un autre langage. Je vous le tiens avec toute l’autorité et toute la paternité que vous m’avez donnée sur vous, et je n’ai plus qu’à vous dire: soyez fidèle à Notre-Seigneur et ne le forcez pas, par votre lâcheté, à vous punir dans sa jalousie. Mais j’espère bien mieux de vous, et, tout en vous aidant, au moins par mes pauvres prières, à vous soutenir sur la croix, je suis sûr que le repos que vous donneront mes paroles vous encouragera à être victime et à vous placer vous-même sur l’autel, où je vous ai immolée ce matin avec Notre-Seigneur.

Me laisserez-vous, chère fille, vous remercier de ce que vous me dites pour moi? Ma reconnaissance est un peu cruelle, puisqu’elle ne va pas sans le désir que vous continuiez à souffrir pour notre oeuvre et pour son misérable fondateur. Vous avez bien besoin de prier, croyez-le. Hélas! Pourquoi faut-il que je pense que votre charité vous a chargée d’un fardeau bien lourd, et que si vous souffrez tant, j’en suis bien un peu la cause? C’est vous dire par quel genre d’égoïsme je tiens tant à votre perfection. Il me semble pourtant que je ne la désirerais pas avec moins d’ardeur, quand même je n’y trouverais pas mon compte(2).

Ce que vous me dites de vos quatre nouvelles filles ne me surprend pas. Veuillez vous rappeler qu’en quittant Paris je ne vous en avais point promis de particulièrement désignée. J’ai cru bien faire de vous envoyer les deux plus jeunes, qui n’avaient pas eu le temps de se déformer, si elles n’avaient pas pris de bonnes habitudes. Soeur Marie-Marguerite était dans un milieu bon, mais très borné, où il m’a été impossible de faire pénétrer depuis cinq ou six ans autre chose que des dispositions très naturellement bonnes. Je crois qu’en l’y arrachant je lui ai rendu un très grand sevice, parce que si vous profitez pour le bien de sa sensibilité, vous en ferez, je crois, une très bonne religieuse. Je dois vous dire, pour votre manière de la diriger, que sa mère a un caractère affreux et qu’il y avait des scènes d’une violence incroyable dans son intérieur. Elle avait pour amie la fille d’une maîtresse de pension, véritable enfant gâtée, bonne nature, mais la mollesse incarnée. La tante de cette amie, maîtresse de pension elle-même, a l’esprit raisonnable, mais pas ouvert surtout à l’égard de la vie religieuse. Je suis à me demander comment l’idée a pu lui en venir dans une pareille sphère autrement que par les fatigues de son intérieur de famille. Elle y songeait depuis quelque temps déjà, et j’ai toujours été frappé de la raison et de la sagesse avec laquelle elle m’en parlait. Je l’avais confessée très rapidement, la connaissant d’ailleurs comme une fille d’un assez bon caractère, qui a pu s’aigrir par des excitations extérieures continuelles mais qu’il doit être très aisé de ramener à sa douceur originelle. Soeur Marie-Madeleine, m’avait été signalée, il y a dix ans, par un prêtre assez habile (M. de Tessan) comme une fille très capable de faire un jour une bonne religieuse. Il l’avait rencontrée plusieurs fois chez des dames, parentes de notre novice, très pieuses, mais quintessenciées dans ce que j’appelle la dévotion méridionale. Depuis son retour à Dieu, cette pauvre enfant a eu de cruelles épreuves à souffrir de la part de sa tante, et il n’est guère étonnant qu’ele n’ait pu s’affermir dans une grande égalité de caractère; et, quant à la vraie notion de la piété, elle avait trente mille et une occasions de la déformer chez ses saintes cousines.

Pour la notion de Jésus-Christ que vous vous êtes étonnée de si peu trouver en elles, peut-être verrez-vous plus tard que pour faire connaître Notre-Seigneur il ne suffit pas d’en parler, qu’il faut que lui-même frappe au fond des âmes et s’y présente. C’est là une des grandes difficultés de la confession et de la direction.

Mais le papier va me manquer. Je m’arrête en vous disant que suis on ne peut plus vôtre en Notre Seigneur.

E.D’ALZON.

Le mot confession me fait penser à ce que vous dites de vôtres. A moins de question de la part de votre confesseur, je prends la responsabilité de tout pourvu que vous vous borniez à ces mots : « Je m’accuse, autant que Dieu m’en reconnaît coupable, d’infidélités à la grâce ». Quant au découragement, je le vois bien chez vous comme tentation, mais il ne m’est pas évident (et au contraire) que vous vous y laissiez aller d’une manière coupable.

E.D'ALZON
Notes et post-scriptum
1. D'après une copie. Voir cette lettre dans *Les origines de l'Assomption*, t. II, p. 331-335. Elle fut écrite en réponse à celle de la Soeur Thérèse-Emmanuel, du 16 janvier, que nous avons encore.1. D'après une copie. Voir cette lettre dans *Les origines de l'Assomption*, t. II, p. 331-335. Elle fut écrite en réponse à celle de la Soeur Thérèse-Emmanuel, du 16 janvier, que nous avons encore.
2. Nous supprimons la fin de la lettre relative aux quatre postulantes nîmoises. [Cette fin de lettre - tout ce qui suit - a été réintroduite d'après T.D.19, p.53. - Avril 1996].