Vailhé, LETTRES, vol.3, p.33

4 feb 1846 Nîmes, MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Etat surnaturel de la Soeur Thérèse-Emmanuel. -Des manifestations extérieures de cet état. -Commissions diverses. -De son état à elle.

Informations générales
  • V3-033
  • 0+454|CDLIV
  • Vailhé, LETTRES, vol.3, p.33
Informations détaillées
  • 1 ACTION DE DIEU DANS L'AME
    1 ALLEMANDS
    1 FIDELITE A LA GRACE
    1 IMAGINATION
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 MERCREDI DES CENDRES
    1 PREDICATION
    1 PREDICATION DE RETRAITES
    1 PREDICATIONS DE CAREME
    1 SOUFFRANCES DE JESUS-CHRIST
    1 SUBSIDES
    1 UNION A JESUS-CHRIST
    2 BEILING, ADOLPHE
    2 DECKER, FRANCOIS-JOSEPH
    2 DESGENETTES, CHARLES-ELEONORE
    2 GIRARD, GR.
    2 GOURAUD, HENRI
    2 GRATRY, ALPHONSE
    2 LACORDAIRE, HENRI
    2 O'NEILL, THERESE-EMMANUEL
    2 SAINT-JULIEN, MARIE-GONZAGUE
    3 PARIS
  • A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS (1).
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • le 4 février 1846.
  • 4 feb 1846
  • Nîmes,
La lettre

Je vais répondre bien vite à votre lettre d’hier, ma chère enfant, et, pour suivre ce que vous m’y dites:

1° Je vous ferai observer qu’il n’est pas nécessaire d’établir si ce qu’éprouve Soeur Th[érèse]-Em[manuel] vient de l’imagination ou d’ailleurs, pourvu que le principe qui met son imagination en jeu soit surnaturel. Or, je crois qu’il l’est. On croit avoir tout dit dans un certain monde, quand on a mis en avant le grand mot: imagination. On ne veut pas examiner si l’imagination reçoit son impression d’un bon ou d’un mauvais principe. Or, c’est là toute la question.

Etablissons: a) que les pensées de Soeur Th[érèse]-Em[manuel] sont bonnes; b) ses désirs, bons; c) que l’imagination n’est ni bonne ni mauvaise en soi; d) qu’on peut lui reconnaître un tel degré d’impressionnabilité que ce qui se passe de bien dans le fond de son âme se traduit extérieurement par le fait de son imagination. Qu’en conclurez-vous? Que, parce qu’il n’est pas parfaitement évident que les effets, comme la cause, dans son état, viennent immédiatement de Dieu, il faut l’arrêter dans la voie ou elle entre? Ceci me semblerait absurde. Peut-on dire que les effets aient gâté le principe, qui est indubitablement bon, puisque c’est une impression de ressemblance à Jésus souffrant? Quand ce principe ne serait développé que par la pure raison, à lui seul ne vient-il pas de Dieu? N’est-il pas de foi que tous les hommes doivent imiter Jésus-Christ? N’est-il pas certain que leurs efforts pour copier ce divin modèle leur attirent des grâces? A quel degré? Dieu seul en a le secret. Mais cependant, ne savons-nous pas que la fidélité à correspondre aux grâces en attire de plus grandes? Donc, en se tenant au premier principe de l’état de Soeur Th[érèse]-Em[manuel], elle doit imiter Jésus-Christ; elle doit l’imiter en tout. Si elle se sent portée à l’imiter dans ses douleurs, le peut-elle? Elle peut et doit avoir la certitude que, plus elle y entrera, plus elle recevra de grâces.

Maintenant, que doit-elle penser des résultats extérieurs? Je présume qu’il faut l’élever plus haut que ces résultats, la tenir unie le plus possible à Jésus souffrant, augmenter son attrait pour les dispositions d’épouse de sang et la tenir en grande liberté pour le reste. Que si elle est troublée et veut avoir une réponse sur les enlèvements, comme elle n’y est pas maîtresse d’elle-même, il me semble qu’il importe de la convaincre qu’elle ne doit se préoccuper en aucune manière du fait de l’enlèvement, le prendre quand il vient, le laisser quand il ne vient pas, mais l’attacher beaucoup au principe de l’impression qui est Jésus souffrant. Cette manière de la conduire me paraît la seule propre à lui donner le repos, la liberté et l’humilité. En vouloir savoir plus, c’est de la curiosité: danger très grand, je crois, pour les âmes comme la sienne.

Je suis très frappé, depuis quelque temps, de ces paroles de notre divin Maître: Vade et sicut credidisti fiat tibi(2). La grâce vient en proportion de la foi. Ceci aurait de très grandes applications à ce que vous me dites de vous; mais je n’ai pas le temps de vous en dire davantage.

2° J’ai écrit, il y a huit jours, à M. Desgenettes une lettre de fils. Je ne sais si je me suis trop livré, pour qu’il me fît prêcher comme il l’entendrait. J’arrive avec l’intention de faire de mon mieux. Peut-être le P. Lacordaire a-t-il raison? Nous verrons cela à Paris.

3° Je suis tout prêt à donner à M. Gratry tout le temps qu’il voudra; si même il désire une retraite de trois jours pour les premiers jours du Carême, je la commencerai le mercredi des Cendres au soir. A part ce temps, je ne vois pas trop la possibilité de prêcher une série d’instructions, car je me mets avant tout à mon Carême.

4° Quant à écrire au P. Girard, je vous remercie de votre idée; elle est très bonne, mais je vous demande la permission d’attendre mon arrivée à Paris pour en causer encore.

5° Beiling est parti depuis avant-hier; il vous arrivera probablement avant cette lettre. Nous le plaignons, nous le regrettons peu. Il m’a demandé de l’argent: je n’ai voulu lui donner que 100 francs, parce qu’après tout il eût pu garder un peu mieux l’argent qu’il a gagné et ne pas l’employer à aller boire de la bière.

6° Decker est venu me faire des excuses. Je les ai reçues, en lui faisant certaines observations. Nous verrons s’il en profitera. Il manque avant tout d’éducation, et ses préjugés allemands l’empêchent de se former.

7° Veuillez dire à Soeur Th[érèse]-Em[manuel] que je n’ai nullement pris ses observations sur vos Nîmoises comme elle le craint; je ne lui ai répondu que pour lui donner quelques explications.

Enfin, ma chère fille, que vous dirai-je de vous aussi et de vos questions? Rien, sinon que je crois que vous faites bien d’agir comme vous le faites, surtout si vous entrez de plus en plus, avec Notre-Seigneur, dans les dispositions que vous m’exprimiez dans votre dernière lettre. Il me semble qu’alors il vous sera bien plus facile d’avoir pour les autres, dans leurs peines, cette facilité à aller au-devant de leurs impressions que vous avez déjà, mais que vous vous appliquerez à surnaturaliser.

Adieu, chère enfant. Au mercredi des Cendres, je l’espère du moins ainsi. Je vais écrire à Gouraud. Je tâcherai d’écrire au plus tôt à Soeur Marie-Gonzague.

Notes et post-scriptum
1. D'après une copie.2. *Matth*. VIII, 13.