- V3-057
- 0+464|CDLXIV
- Vailhé, LETTRES, vol.3, p.57
- 1 AMOUR DE LA SAINTE VIERGE A L'ASSOMPTION
1 AUTORITE RELIGIEUSE
1 CHAPITRE DES COULPES
1 NOVICES ASSOMPTIONNISTES
1 OFFICE DE NUIT
1 ORAISON
1 PATERNITE SPIRITUELLE
1 TIERS-ORDRE DE L'ASSOMPTION
1 TRISTESSE
1 VIE DE PRIERE
1 VOCATION RELIGIEUSE
2 ALZON, MADAME HENRI D'
2 BADICHE, M.-LEANDRE
2 CART, JEAN-FRANCOIS
2 CROY, MADAME DE
2 CUSSE, RENE
2 DESHAYES, PHILIPPE
2 GERMER-DURAND, EUGENE
2 HENRI, EUGENE-LOUIS
2 LAURENT, CHARLES
2 MONNIER, JULES
2 SURREL, FRANCOIS
3 PARIS, EGLISE NOTRE-DAME DES VICTOIRES - A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS (1).
- MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
- le 4 mai, sainte Monique, 1846.
- 4 may 1846
- Nîmes,
Je commence une lettre qui ne partira pourtant pas aujourd’hui, ma chère enfant, mais je veux vous dire quelque chose de mes faits et gestes, depuis ces derniers jours. Je poursuis la visite avec persévérance, et, à côté de beaucoup de bien chez les enfants, je découvre bien des misères chez les maîtres. Les enfants eux-mêmes n’en sont pas exempts, mais il y a eu sur eux une action si admirable, de la part de M. Monnier, que je ne puis dire à quel point quelques-uns ont été transformés. C’est aussi à lui, en grande partie, qu’il faut devoir ce qui ne s’est pas fait de mal parmi les maîtres, où certes il y a eu aussi de tristes choses. Les prêtres, se rangeant d’un côté, semblaient vouloir former camp à part. Il a fallu bien des efforts pour empêcher cette semence de désunion de donner les plus pitoyables fruits. J’aperçois tous les jours le résultat des paroles de Monseigneur à mes jeunes prêtres. Ceux qui branlent au manche sont l’abbé Surrel, l’abbé Henri et l’abbé Laurent. Je regretterais peu ou point l’abbé Surrel, assez l’abbé Laurent, mais je ne me serais pas attendu à la défection de l’abbé Henri. Maintenant, dois-je les laisser aller, au moins les deux derniers? car, pour le premier, cela ne fait pas question, je lui ouvrirai la porte à deux battants. Quelquefois, il me semble que je dois les retenir; quelquefois, il me paraît que je dois leur dire, comme Notre-Seigneur à ses apôtres: Et vos vultis abire(2)? En de pareils moments, la vue de la patience extrême de Jésus envers ses disciples est une grande leçon et un grand appui pour moi.
Hier matin, à la réunion du Chapitre de mes novices, je fis faire les coulpes et je donnai de sérieux avis sur l’esprit de charité, sur l’esprit de zèle, d’union, de mortification, d’exactitude; et puis, je leur dis que j’arrivais pour poursuivre l’oeuvre avec un triple sentiment de tristesse, de confiance et de force: de tristesse, à la vue des mécomptes auxquels je savais qu’il fallait m’attendre; de confiance, parce que j’avais la conviction de plus en plus inébranlable que Dieu voulait l’oeuvre; de force, parce que je me sentais, par la grâce de Dieu, assez d’énergie pour ne reculer devant aucun obstacle. Je développai ce thème avec assez de coeur et de sérieux, de façon que l’impression fût assez profonde.
A la réunion du Tiers-Ordre, je parlai à peu près dans le même sens. Je leur dis que j’avais une certaine joie du résultat de mon expérience; qu’en m’éloignant d’eux pour un temps, j’avais fait comme le peintre ou le sculpteur qui se placent à une certaine distance de leur toile ou de leur marbre pour mieux saisir les défauts de leur esquisse ou de leur ébauche; que j’avais, en effet, trouvé des défauts, mais pas aussi grands que je ne l’avais craint au premier moment; que je sentais, avec ma confiance dans l’oeuvre, une disposition de paternité à leur égard, c’est-à-dire un sentiment de charité et d’autorité, dont j’étais résolu à user, puisque je devais être pour eux l’organe de Dieu, de qui toute paternité découle(3). Ces paroles et ce que j’ajoutai dans le même sens ont paru fortes à quelques-uns, mais les membres de l’Ordre qui assistaient à la réunion me trouvaient singulièrement doux, en comparaison de ce que j’avais dit le matin.
Je tâche de prier beaucoup et de me tenir le plus près possible de Notre-Seigneur et de la Sainte Vierge, car il faut vous dire que je crois cueillir, sous ce rapport, le fruit de mes messes à Notre-Dame des Victoires. Je n’aurais jamais cru autant aimer la Sainte Vierge. L’esprit de recueillement me vient assez. J’ai des distractions, mais j’ai aussi dans mon oraison de certaines impétuosités (je ne sais de quel mot me servir), dans lesquelles il me semble que je me donne à Notre-Seigneur sans aucune limite possible. Mes messes sont mieux dites, et il me semble que Je m’élève doucement et fortement vers un monde où Notre-Seigneur m’attire pour vivre d’une vie nouvelle.
Que dans cette transformation que je ne puis me dissimuler, je vous sois quelquefois désagréable, il ne faut pas en être surprise. M. Durand me parlait hier avec bonheur de la manière dont il avait vu M. Monnier passer d’un état peu aimable pour ses amis, pendant le temps où il avait travaillé à se repétrir à quelque chose de charmant pour eux, par le développement qu’il avait acquis dans cet état de chrysalide, où il s’était réduit pour faire pousser ses ailes. Eh bien! chère Mère, vous aurez un peu de patience et de miséricorde pour moi, si je vous suis quelquefois maussade pendant que je filerai mon cocon. Je dis avec honte que je suis bien en retard de mon travail et que, même en me dépêchant bien, le papillon qui sortira sera probablement bien chétif.
Voyez donc! je ne voulais vous écrire que quelques lignes, et voilà que j’ai déjà rempli deux grandes pages. N’est-ce pas vous prêcher d’exemple? Je suspens ma lettre.
5 mai.
Je reçois votre lettre à l’instant, ma chère enfant; je me hâte d’y répondre deux mots, pour que celle-ci puisse partir.
1° J’écrirai à M. Philippe ou plutôt demain je vous adresserai une lettre pour lui, car je ne crois pas qu’il s’appelle Philippe, mais Deshayes, et je ne voudrais pas que ma lettre s’égarât(4). Je lui crois plus de bonne volonté que toute autre chose. Du reste, il faut l’encourager. Son artiste musicien est un domestique; au moins est-ce ce que j’ai cru deviner; mais vous pourrez le lui faire dire un peu mieux, un jour que l’artiste lui-même n’y sera pas.
2° Le bracelet que ma mère vous a envoyé appartient aux bijoux de Mme de Croy. Je ne sais comment je l’avais laissé au fond de mon sac de nuit.
3° Il me semble que si M. Badiche entrait un peu dans nos idées il n’y aurait pas un grand mal à lui dire que ce qu’il ne réalisera jamais se tente en ce moment. Mais il faudrait qu’il vint à nous, et non pas nous à lui. Ceci serait-il possible? Vous seule pouvez en juger(5).
4° J’admire votre enthousiasme pour les veilles; c’est prodigieux. Si vous voulez tenter quelque chose, vous pouvez attendre le mois des vacances; mais je vous avoue que les pavots de Morphée me font tout l’effet d’engourdir avant peu ces magnifiques dispositions(6).
Je ne veux pas finir sans vous dire que je crois commencer à retourner un peu mon monde. Mes manifestations d’autorité ont produit un bien meilleur effet que je ne le croyais. J’ai vu l’abbé Laurent en particulier, qui tient beaucoup plus ferme que les apparences semblaient l’indiquer; l’abbé Surrel, qu’il me faudra faire retirer par Monseigneur; -je voudrais bien un bon aumônier: notez que M. Surrel ne me paraît point prêt à partir;- enfin, M. Cusse, qui s’est pris d’un enthousiasme tout nouveau pour l’oeuvre et dont je suis, depuis mon retour, très content. Croiriez-vous que celui sur lequel, pour le quart d’heure, il y a le moins à compter, c’est M. Henri?
Adieu, ma chère enfant. Bon courage! Je vous dis un mot que je me répète souvent. J’ai dit aujourd’hui la messe pour nos filles. Tout à vous en Notre-Seigneur.
Je n’ai pas le temps de me relire.
4. Ce jeune homme que la Mère Marie-Eugénie de Jésus appelait capitaine recruteur de vocations était venu la trouver avec trois compagnons, cherchant des renseignements plus circonstanciés sur l'oeuvre de Nîmes.
5. L'abbé Badiche rêvait de fonder une oeuvre à la fois savante et monastique.
6. La Mère Marie-Eugénie de Jésus lui avait écrit le 1er mai: "Nos grandes récréations amènent des conversations si enthousiastes sur les traditions et la magnificence des grands usages religieux que nos Soeurs m'ont aujourd'hui demandé, dans cet enthousiasme, d'essayer de dire l'office à minuit en se couchant à 8 h. 1/2. Dois-je encourager cet essai?"2. *Ioan*, VI, 68.
3. *Eph*. III, 15.