Vailhé, LETTRES, vol.3, p.76

12 jul 1846 Nîmes, CART Mgr

Regret de ne pas l’avoir vu à son départ. -Consultation au sujet du Conseil diocésain. -But de l’Institut religieux qu’il veut fonder: avant tout retremper l’esprit chrétien en fortifiant la foi dans les âmes de la jeunesse. -Motifs pour lesquels les prêtres du diocèse ne viendront pas à lui. -L’Eglise s’est toujours appuyée sur les religieux, et les fondateurs d’Ordre ont toujours été gênés par leurs évêques. -Il demande qu’on lui laisse commencer un noviciat de plusieurs années. -Les départs sont compensés par les arrivées. -Est-il apte à fonder? Oui, comme manoeuvre. -Les Constitutions seront rédigés plus tard.

Informations générales
  • V3-076
  • 0+470|CDLXX
  • Vailhé, LETTRES, vol.3, p.76
Informations détaillées
  • 1 BREVIAIRE ROMAIN
    1 BUT DES AUGUSTINS DE L'ASSOMPTION
    1 CLERGE NIMOIS
    1 CLERGE REGULIER
    1 CLERGE SECULIER
    1 CONSTITUTIONS
    1 ESPRIT CHRETIEN
    1 ESPRIT CHRETIEN DE L'ENSEIGNEMENT
    1 FOLIE DE LA CROIX
    1 FONDATION DES ASSOMPTIONNISTES
    1 FORMATION DES JEUNES AUX VERTUS
    1 FORMES MONASTIQUES DES ASSOMPTIONNISTES
    1 HISTOIRE DE L'EGLISE
    1 INSTITUTS RELIGIEUX
    1 NOVICES ASSOMPTIONNISTES
    1 OEUVRES DE PIETE
    1 REGLE DE SAINT AUGUSTIN A L'ASSOMPTION
    1 SYMPTOMES
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    1 VOYAGES
    2 AFFRE, DENIS
    2 AMBROISE, SAINT
    2 BASTIEN, CLAUDE-HIPPOLYTE
    2 BERULLE, PIERRE DE
    2 BLANCHET, ELZEAR-FERDINAND
    2 BOUCARUT, JEAN-LOUIS
    2 CARDENNE, VICTOR
    2 CONDREN, CHARLES DE
    2 GUYHOMAT, ABBE
    2 HENRI, ISIDORE
    2 JEAN-BAPTISTE DE LA SALLE, SAINT
    2 LE TELLIER, CHARLES-MAURICE
    2 OLIER, JEAN-JACQUES
    2 PAUL, SAINT
    2 PIERRE FOURIER, SAINT
    2 RANCE, ABBE DE
    2 REDIER, EUGENE-ANTOINE
    2 SAUGRAIN, HIPPOLYTE
    2 VINCENT DE PAUL, SAINT
    3 CAUTERETS
    3 FONTAINEBLEAU
    3 FRANCE
    3 FRANCHE-COMTE
    3 MONTPELLIER
    3 NIMES
    3 PARIS
    3 PYRENEES
    3 REIMS
    3 SOMMIERES
    3 TOURS
    3 VERETZ
  • A MONSEIGNEUR CART, EVEQUE DE NIMES (1).
  • CART Mgr
  • le 12 juillet 1846.
  • 12 jul 1846
  • Nîmes,
La lettre

J’ai vivement regretté qu’un peu de fatigue m’ait empêché d’aller vous dire adieu, au moment de votre départ, et de profiter des derniers instants que vous avez passés à Nîmes. Le temps, qui va vite, vous a peut-être déjà conduit dans vos montagnes, et vous êtes enfin en repos à l’ombre de vos sapins franc-comtois. Ici, grâce à quelques orages, la température paraît se rafraîchir un peu et nous permet de respirer moins péniblement que nous ne le faisions depuis un mois. Dieu veuille que ce ne soit pas un simple répit!

L’abbé Rédier a dû vous faire part de la dernière réunion du Conseil, mais comme il va partir pour les eaux et que M. Boucarut part demain ou après-demain pour Sommières, je vais être à peu près seul responsable de ce qui sera présenté aux délibérations de ces Messieurs. Veuillez, Monseigneur, me dire positivement ce que vous voulez qu’on y traite et qu’on y décide. Le Conseil devra-t-il parler seulement sur ce qui sera proposé ou devra-t-il donner quelquefois un avis décisif? En quelles circonstances devra-t-il décider? On ne veut pas faire plus que vous ne voulez, mais on veut savoir quelle est votre intention. M. Boucarut a paru croire, un moment, que ce Conseil était purement pour la forme et qu’il n’était pas dès lors bien nécessaire de le convoquer; d’autres ont pensé que vous aviez pris la chose au sérieux et qu’en vous renvoyant tout ce qui était important et qui pouvait attendre une réponse de votre part, on devait décider ce qui voulait une solution prompte ou sur quoi on connaissait d’une manière positive votre manière habituelle de répondre. Veuillez me dire, Monseigneur, à quoi je dois m’en tenir.

Vous m’avez demandé, Monseigneur, de vous dire par écrit ce que je me propose dans mon oeuvre(2). Il me semble que je puis le résumer en deux mots: avant tout, la gloire de Dieu et notre sanctification par le salut des âmes procuré par l’éducation. Mais comme déjà d’autres oeuvres sont fondées dans ce but, j’ai, pour autoriser cette entreprise, besoin d’un motif particulier. Ici, j’en ai deux: le premier qui découle des préventions à peu près invincibles, selon moi, qu’ont rencontrées d’autres corps religieux et qu’il faut faire disparaître, pour faire le bien, selon la parole de saint Paul: omnia omnibus factus sum(3); le second, c’est le besoin de se retremper, s’il est possible, dans ce que j’appelle l’esprit chrétien, lequel me paraît s’effacer tous les jours, comme un glaçon dans l’eau tiède, au milieu d’une piété à l’eau de rose, et qui pourtant se retrouve avec les caractères les plus visibles chez les derniers hommes qui se sont occupés d’association d’hommes et même de femmes, comme le card[inal] de Bérulle, le P. de Condren, M. Olier, le bienheureux Fourrier ainsi Vincent de Paul, l’abbé de Rancé et l’abbé de la Salle. Quand on lit la vie de ces hommes et qu’on compare la manière dont ils entendaient la piété dans leur direction avec la manière dont on l’entend aujourd’hui, on ne peut s’empêcher de réfléchir. Communiquer leur doctrine toute nue à des enfants serait absurde, mais on peut écarte de leurs jeunes têtes une foule de préventions théoriques, auxquelles s’accoutument beaucoup trop dans le monde les personnes de piété et qui font que la doctrine de la croix est un scandale et une folie, même pour des chrétiens qui fréquentent les sacrements.

Un des faits qui me frappent le plus, c’est cet affaiblissement de la foi pratique chez les gens pieux, ct qui est à l’édifice de la religion ce qu’est à un monument la dégradation de l’enduit de ses murs: bientôt l’humidité le pénètre sans difficulté et va détruire la force de cohésion du ciment. Parmi les maux qui affligent l’Eglise de Jésus Christ, en voilà un que l’éducation peut et doit réparer. Mais pour cela il faut un grand esprit d’unité, il faut une association chez les éducateurs. Je dirai de même pour l’égoïsme, auquel il faut opposer un plus grand esprit de sacrifice et de dépouillement.

Vous paraissez craindre, Monseigneur, que je ne vous prenne vos prêtres. Hélas! les connaissez-vous assez peu, pour ne pas savoir qu’avec des vertus très grandes il y a dans leur éducation, dans leurs habitudes de Séminaire, dans leur isolement s’ils ont été curés, dans leur usage de commander à l’église, dans les chocs qu’ils ont subis avec leurs maires, et dans une foule d’autres circonstances que vous connaissez mieux que moi, je ne sais quel germe de vanité cléricale, d’esprit propre, d’inflexibilité d’opinion qui ne discute pas, parce qu’elle ne le veut et peut-être ne le sait [pas], mais qui va grandissant toute seule au fond de son presbytère, se préoccupant moins des périls de l’Eglise que [de] l’acquittement du casuel, et des développements de la discussion religieuse que de l’agrandissement de la maison curiale et des charmes d’une vie douce, paresseuse, amusante et commode? Non, Monseigneur. Outre qu’un grand nombre de saints prêtres n’ont pas la vocation pour l’état religieux, il faut dire que les tendances que je viens d’exagérer, parce que la tendance seule est un obstacle, suffisent pour écarter de l’Assomption bien des hommes que j’aurais peut-être été heureux d’y voir.

Mais, me direz-vous alors, c’est qu’en écartant ceux que vous venez de peindre, vous me prendriez mes meilleurs sujets? Monseigneur, les meilleurs sujets de votre diocèse prouveraient par leur instinct que l’oeuvre est bonne, et, quand même vous les refuseriez, leur attrait serait une approbation qui certainement vous frapperait beaucoup. Or, cette approbation, je l’aurais eue, si j’eusse voulu agir sans craindre de vous faire de la peine. Mais vous n’avez pas voulu, vous avez défendu à l’abbé Bastien, par exemple, de songer à venir à moi, et aussitôt je me suis arrêté. Seulement, Monseigneur, me serait-il permis de vous demander s’il faut désormais supprimer les deux grandes divisions qui, dès le commencement, ont été approuvées, encouragées dans l’Eglise, le clergé séculier et le clergé régulier? Si vous en exceptez saint Ambroise, les huit grands docteurs de l’Eglise ont été religieux ou fondateurs d’Ordre. Le secours que l’Eglise a retiré de ces associations doit-il lui être refusé? L’association repose sur la charité; et faut-il confesser que la charité se refroidit, selon la prophétie du Sauveur(4), refrigescente charitate? C’est un aveu triste, mais contre lequel je crois que Jésus-Christ aime que l’on proteste.

Maintenant, vient la question d’opportunité. Monseigneur, je suis bien embarrassé ici. Seulement, je trouve que M. Olier ne put fonder Saint-Sulpice que sur un terrain qui ne dépendait pas de l’archevêque de Paris; que l’abbé de Rancé quitta Véret, malgré l’archevêque de Tours qui voulait en faire son grand vicaire; et que, tout le temps que l’abbé de la Salle fut à Reims, il fut l’objet constant des rebuts et des moqueries de l’archevêque, M. Le Tellier. Je cite les trois derniers essais de fondation que je connaisse en France.

On voit, dans la vie de l’abbé de la Salle, qu’il fit faire des voeux de trois ans aux douze premiers religieux, sans demander de permission à personne, au bout d’une retraite de dix-huit jours. Pour moi, je ne fais rien de semblable, puisqu’au bout d’un an je demande seulement qu’on me laisse commencer sérieusement un noviciat de plusieurs années. Quelques-uns me quittent, d’autres arrivent; c’est ce qui se voit dans tous les commencements. Un jeune homme de Fontainebleau, que j’ai depuis un an ici, me dit qu’il se donne à l’oeuvre(5). Deux de vos diocésains non prêtres veulent essayer(6); j’ai reçu déjà un jeune Breton; j’attends au premier jour un jeune homme de Paris, dont le confesseur qui est son ami depuis plusieurs années me fait un éloge très grand(7); un jeune homme de Montpellier n’attend qu’un appel de ma part pour venir aussi. Tous ces nouveaux venus me feront une nécessité de prendre le romain(8), surtout si je vous rends vos prêtres, comme vous paraissez le désirer.

Reste toujours la question personnelle: suis-je apte à cette oeuvre? En général, Monseigneur, quand une oeuvre est voulue de Dieu, il y a des pionniers qui déblayent le terrain; ce n’est pas l’architecte, mais un simple manoeuvre qui creuse les fondements sur lesquels doit reposer l’édifice. Si l’architecte est Dieu, les maçons viendront plus tard; laissez-moi faire mon travail de manoeuvre.

En résumé, Monseigneur, je voudrais faire sans bruit une association d’hommes qui se dévoueraient à l’éducation dans le sens le plus étendu du mot, qui relèveraient l’esprit chrétien par une éducation chrétienne, en opposition à l’éducation que j’appellerai païenne même de bien des maisons religieuses, où l’on ne comprend pas assez comment il faut prêcher la foi par tous les moyens. Je voudrais que cette association eût quelque chose de plus franc et de plus monacal à la fois que les Jésuites, et quelque chose aussi de moins universel dans les buts et tout aussi catholique dans les pensées.

Vous voudrez bien, Monseigneur, réfléchir sur tout ceci. Si vous désirez d’autres explications, je suis prêt à vous les fournir. Vous me demanderez peut-être mes règlements. A cela je n’ai qu’une réponse: je me suis attaché à la règle de saint Augustin, mais pour les dispositions particulières, je ne prends encore que des notes. J’étudie, autant que j’en ai le temps, les Constitutions des Ordres religieux, et puis je les combine avec les faits que me fournit l’expérience. Saint Vincent de Paul ne donna sa règle qu’à quatre-vingts ans; M. de la Salle ne la donna que fort tard, l’abbé de Rancé n’allait que pas à pas, et c’est, je crois, ce qu’il y a de mieux. Je consulte, en général, pour tout ce que j’établis, et je n’adopte rien qui n’ait eu l’approbation unanime, de façon qu’ensuite je sois en droit de tenir ferme, quand une fois la chose a été approuvée.

L’archevêque de Paris est dans les Pyrénées, aux eaux de Cauterets. Son projet est de voir le plus d’évêques possible, pour s’entendre avec eux au sujet de ses luttes contre le gouvernement.

Adieu, Monseigneur. Je fais des voeux pour que les vacances vous soient bonnes. Veuillez me rappeler au souvenir de votre compagnon de voyage. Je vais porter ma lettre à l’évêché, pour vous l’adresser où vous êtes; s’il y a quelque chose de nouveau, je l’ajouterai.

Veuillez agréer, Monseigneur, l’hommage de mon respectueux et tendre dévouement.

E. d'Alzon.
Notes et post-scriptum
1. Reproduite presque intégralement dans *Notes et Documents*, t. III, p. 472-476.1. Reproduite presque intégralement dans *Notes et Documents*, t. III, p. 472-476.
2. Voir la lettre du 2 juillet à la Mère Marie-Eugénie de Jésus.
5. Victor Cardenne.
6. L'abbé Blanchet et Isidore Henri.
7. Le jeune Breton était l'abbé Guyhomat clerc minoré. le jeune homme de Paris, Hippolyte Saugrain, notre futur P. Hippolyte.
8. Le bréviaire romain au lieu du nîmois qu'il suivait.3. *I Cor*. IX, 22.
4. *Matth.* XXIV, 12.