Vailhé, LETTRES, vol.3, p.116

1 sep 1846 Lavagnac, MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Il regrette son évêque qui serait nommé à l’archevêché d’Aix. -Examen de son état intérieur. -Ses résolutions pour l’avenir. -Il doit se reprendre tout entier pour être jamais bon à quelque chose. -Il ne lui cache pas ses défauts, parce qu’il considère qu’entre eux tout est commun. -Nouvelles diverses. -Projet d’un Tiers-Ordre de femmes à Marseille. -Autres nouvelles.

Informations générales
  • V3-116
  • 0+481|CDLXXXI
  • Vailhé, LETTRES, vol.3, p.116
Informations détaillées
  • 1 ACTION DE DIEU DANS L'AME
    1 AMOUR-PROPRE
    1 BATIMENTS DES COLLEGES
    1 DILIGENCE
    1 EFFORT
    1 FOI BASE DE L'OBEISSANCE
    1 LACHETE
    1 LIVRES
    1 MAITRISE DE SOI
    1 MALADIES
    1 NOMINATIONS
    1 ORAISON
    1 PROVIDENCE
    1 TIERS-ORDRE FEMININ
    1 UNION DES COEURS
    2 BEILING, MARIE-LOUISE
    2 CART, JEAN-FRANCOIS
    2 ESGRIGNY, MADEMOISELLE D'
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 JEAN-BAPTISTE DE LA SALLE, SAINT
    2 MARTIN DE NOIRLIEU, NICOLAS
    2 MONNIER, JULES
    2 MONTAUDON, NATHALIE
    2 O'NEILL, THERESE-EMMANUEL
    2 OLIER, JEAN-JACQUES
    2 PRADEL, ABBE
    2 RANCE, ABBE DE
    2 RAVIGNAN, GUSTAVE DE
    3 AIX-EN-PROVENCE
    3 MARSEILLE
    3 MIDI
    3 NIMES
    3 PARIS
  • A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS (1).
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • le 1er septembre 1846.
  • 1 sep 1846
  • Lavagnac,
La lettre

J’ai appris, par une lettre d’hier, que notre évêque était décidément nommé à l’archevêché d’Aix(2). On pense que l’abbé Martin de Noirlieu pourrait bien être nommé à sa place. Je le désirerais beaucoup, pour ma part, mais je ne crois pas devoir faire la moindre démarche dans un sens ou dans un autre. Ma position est trop délicate et je tiens avant tout à conserver mon indépendance. On ne peut aujourd’hui se fier à personne, et c’est pourquoi il faut tout attendre de la main de la Providence, quand on n’a pas mission directe pour influer sur des choix aussi importants. Si, par l’abbé Gabriel, vous pouviez savoir quelque chose relative à l’abbé Martin, vous me rendriez un bien grand service. Après tout, je regrette notre évêque actuel. Nous savons que c’est un saint. Qui pourra nous dire ce que sera le nouveau pasteur d’un troupeau aussi difficile à mener que le nôtre? Du reste, quoi qu’il arrive, il me semble que pour le bien de l’oeuvre je n’ai rien de mieux à faire que [de] me tenir à l’écart, voir venir, poursuivre ce que j’ai commencé et m’en rapporter à la Providence.

Déjà je voulais vous écrire une longue lettre sur les réflexions que je fais, depuis mon arrivée ici. Je ne puis vous dissimuler que, profitant de mon repos, je me suis mis à me regarder un peu attentivement: je suis épouvanté. Ma lâcheté est quelque chose d’épouvantable et dont je ne puis me rendre compte, car il faut distinguer ce que fait faire l’activité naturelle de ce que fait faire l’esprit de Dieu. Cet esprit n’a, ce me semble, aucun empire sur moi, pour me faire effectuer les bons désirs qu’il me suggère. Mes progrès dans l’oraison sont nuls. Réellement, ma chère fille, j’empêche l’oeuvre de Dieu, et il me paraît que les pensées que nous avons ensemble ne servent qu’à augmenter le poids de ma responsabilité et de mon jugement.

Avant-hier, jour où j’accomplissais ma trente-sixième année, il m’a paru cependant que j’avais au moins des bonnes velléités, et voici à quoi il m’a paru que Dieu me demandait de m’appliquer surtout:

1° A une confiance sans bornes à sa bonté;

2° A un grand esprit de foi dans mes actions, surtout dans mes jugements et déterminations;

3° A une possession la plus grande possible de moi-même;

4° A une grande égalité d’âme, jointe à une grande douceur;

5° A une application plus soutenue à l’esprit d’oraison(3). Voilà, ce me semble, à quoi je dois me former, surtout en ce moment, si j’écoute ce que je crois être l’impulsion intérieure de Dieu. D’autre part, je ne vous dissimulerai pas que je suis très convaincu de la nécessité où je suis de me reprendre tout entier, si je dois jamais être bon à quelque chose, et qu’il est très avantageux pour l’oeuvre que ceci ait lieu à Nîmes, afin que je puisse arriver à Paris tout métamorphosé, si faire se peut. Sérieusement, je voudrais m’y mettre tout de bon. Mais que c’est effrayant à se porter à tout ce que je découvre! Cependant, croyez-le, chère enfant, je le veux de toute mon âme. Pourquoi, tous les jours, suis-je plus frappé de ces paroles: Spiritus promptus est, caro autem infirma(4)? Il est vrai que la pauvre chair trouve de bonnes excuses. Je souffre, par exemple, tous les matins de très fortes crampes d’estomac; je me persuade qu’il faut rester au lit un peu plus, quand, au contraire, quelque chose me dit intérieurement qu’il faut jeter l’affaire de la santé à croix ou à pile, et, par moment, j’en crois voir la nécessité. En effet, quand on lit des vies, comme celles de M. de Rancé, de l’abbé de la Salle, de M. Olier, on demeure glacé d’effroi par le contraste de tant d’énergie, d’une part, et de tant de mollesse, de l’autre.

Priez bien Notre-Seigneur pour votre pauvre père, ma fille. Il vous montre ses infirmités, afin que vous l’aidiez à les guérir. Car il me paraît que, en un sens, tout cela est un peu vôtre, au point où je sens que je vous appartiens. Si nous ne faisons pas communauté de maux, au moins devons-nous faire communauté d’efforts pour guérir. Ne m’en veuillez pas, chère fille, si je vous parle tant de moi; car jamais je ne sens combien je suis vôtre et combien mon âme est collée à votre âme, conglutinata(5), que lorsque je vous fais pénétrer dans toutes ces horreurs et mettre le doigt sur toutes ces plaies. L’amour-propre, dont vous dites que j’ai usé à votre égard et dont j’ai usé, en effet, puisque vous le dites, ne m’apparaît qu’au même degré où je l’ai quand je suis seul. En vous faisant considérer ce vilain spectacle, je n’ai pas plus honte que si je le voyais de mes yeux seuls. Que Dieu est bon, ma chère fille, de me donner cette sorte d’abandon avec vous, toutes les fois que je veux marcher devant lui in simplicitate cordis(6). Il faut pourtant que je vous fasse une confession. Une de vos dernières lettres où, tout en me disant d’excellentes choses, vous ne paraissiez pas avoir le coeur encore assez à l’aise, m’a un peu vexé, mais j’ai vite renvoyé cette impression. Du reste, ces jours-ci, en priant pour vous -ce que j’ai fait tout particulièrement,- Dieu m’a fait à votre égard un coeur si grand que je crois bien que c’est fini et que vous aurez beau vous débattre, vous n’en pourrez plus sortir.

J’ai reçu la nouvelle de l’arrivée à Nîmes d’un certain M. Pradel, qui m’avait été recommandé par le P. de Ravignan, pour venir professer chez moi. Il paraît qu’il est un peu effrayé de nos projets; mais, pour le remplacer, j’ai, je l’espère, quelqu’un et même on me fait diverses propositions, parmi lesquelles je crois pouvoir trouver des religieux. Mais je ne puis rien dire de positif qu’à mon retour à Nîmes. J’ai fait partir le plan de nos futurs bâtiments par la diligence; j’y ai ajouté quelques lettres pour M. Monnier.

L’idée du Tiers-Ordre à Marseille me paraît très bonne. La femme d’un des plus riches négociants de cette ville doit venir me parler à Nîmes, et je présume que nous pourrons l’y faire entrer. Ceci permettrait peut-être de recruter un peu plus haut que chez les personnes de la société de Mlle Montaudon, et je crois que ce n’est pas à laisser sans réflexion. A la vérité, Marseille est une ville où tout se mesure par les écus, mais encore faut-il en avoir assez pour exercer une certaine influence; sans quoi, le but du Tiers- Ordre, dans ses rapports avec ce que vous proposez d’obtenir, ne serait pas atteint.

J’ai appris indirectement que Mlle d’Esg[rigny] se tournait vers le Carmel encore une fois, mais je ne sais rien de positif. Elle ne m’a rien fait dire de son arrivée dans le Midi. Vous ne me dites plus rien de Soeur Th[érèse]-Em[manuel]. Va-t-elle mieux? Je prie toujours pour elle. Je répondrai ces jours-ci à Soeur Marie-Louise.

Adieu, ma chère enfant. Obtenez-moi donc de changer entièrement de peau. Je n’ai pas le temps de me relire.

Notes et post-scriptum
1. D'après une copie. Voir *Notes et Documents*, t. III, p. 563 sq.1. D'après une copie. Voir *Notes et Documents*, t. III, p. 563 sq.
2. La nouvelle n'était pas exacte.
3. Ces résolutions sont consignées sur une feuille détachée, datée du 30 août 1846.4. *Matth*. XXVI, 41.
5. *I Reg*. XVIII, 1.
6. *Sap.*, I, 1.