Vailhé, LETTRES, vol.3, p.172

3 jan 1847 [Lavagnac], MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Souhaits surnaturels pour l’année qui commence. -Son éducation surnaturelle n’est pas terminée, mais elle doit se développer par d’autres voies. -L’esprit de foi diminue dans la maison de Nîmes. -Il ne peut plus prier longtemps. -Pénurie de bonnes vocations.

Informations générales
  • V3-172
  • 0+502|DII
  • Vailhé, LETTRES, vol.3, p.172
Informations détaillées
  • 1 ABANDON A LA MISERICORDE DE DIEU
    1 BONTE
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 EDUCATION RELIGIEUSE
    1 EPREUVES SPIRITUELLES
    1 ESPRIT DE FOI A L'ASSOMPTION
    1 FRANCHISE
    1 FRERES CONVERS
    1 LACHETE
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 TRISTESSE
    1 VERTUS
    1 VIE DE PRIERE
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    2 BEVIER, MARIE-AUGUSTINE
    2 CARDENNE, VICTOR
    2 RUAS
    2 SEMENENKO, PIERRE
    3 MIDI
    3 PARIS
  • A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS (1).
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • le 3 janvier 1847.
  • 3 jan 1847
  • [Lavagnac],
La lettre

Je ne sais, ma chère fille, ce que vous penserez de la lettre ci-jointe(2). Faites-en ce que bon vous semblera. Donnez-la ou ne la donnez pas, libre à vous. Seulement, peut-être suis-je tombé un peu trop dans l’excès opposé à celui que vous reprochez à Soeur Marie-Aug[ustine], dans sa lettre à M. Cardenne; car je m’aperçois, en me relisant, qu’elle est d’une affreuse incorrection. Mais j’avoue que je préfère la supprimer que la recommencer. C’est à vous à en être juge.

Et maintenant, ma chère enfant, vous dirai-je bien tout ce que je vous souhaite pour cette nouvelle année, combien je vous désire humble, douce, calme, maîtresse de vous, comptant sur l’amitié de ceux qui vous aiment, y prenant tout le repos que Notre-Seigneur vous permet d’y prendre? Vraiment, ma fille, il me semble que je n’en finirais pas, si je vous disais tout ce que je vous veux de bien et qui se résume, après tout, en ces mots: « Soyez tout ce que Notre-Seigneur veut que vous soyez. « Il me semble qu’il y a, de sa part, de ces demandes silencieuses, au fond du coeur, qu’aucune voix humaine ne peut répéter. Ce que l’on peut faire seulement, c’est de prier beaucoup, afin que celui qui fait la demande accorde la force de donner. Pour moi, je demande de tout mon coeur à Notre-Seigneur qu’il vous demande beaucoup et qu’il augmente votre générosité, autant qu’un coeur humain peut en contenir. Il me semble qu’il n’y a plus que ce parti à prendre.

Dans votre dernière lettre et même votre avant-dernière, vous paraissez effrayée de ce que je ne vous ai peut-être pas tenue assez fortement sur l’épreuve; vous semblez désirer que je vous y replace. Ma chère enfant, je crois ce temps passé. Ce qui en reviendrait aurait peu d’utiles résultats. Il me semble qu’il vaut bien mieux se laisser guider par la bonté de Notre-Seigneur et revenir vers lui par une grande confiance, et aussi par une grande disposition à nous dilater sans cesse sous sa divine impression de miséricorde.

Vous me demandez, dans votre lettre du 17 déc[embre], si je crois votre éducation terminée. Non; mais je crois qu’il vous faut la développer par d’autres éléments, et que la charité doit vous aider à expulser de votre coeur les effets exagérés de vos craintes. La charité, en vous montrant l’amour de Jésus-Christ, vous rendra peut-être plus humble par la vue de tout ce qu’il veut vous donner. Par ce côté, la voie de l’amour me paraît préférable à toute autre, dans votre état actuel. La pensée du temps perdu et de la grande patience de Dieu vous rendra énergique, pour vous forcer à lui rendre beaucoup.

Je tiens à vous rassurer sur un point, auquel je n’ai pas encore répondu. Je ne crois pas que Dieu m’ait exaucé en me donnant vos peines, quoique, à vrai dire, j’en aie d’autres, mais d’une autre espèce. C’est une tristesse fort grande, à la vue de ce que devient la maison de Nîmes. Il est certain que l’esprit de foi y diminue. J’en ai beaucoup causé avec M. Cardenne, que j’ai amené avec moi à la campagne et qui fait tous les jours de nouveaux progrès en sainteté. Le P. Semenenko en a été frappé, comme moi, et me l’a donné à entendre en deux mots. Un jour que j’adressais un reproche à l’un des nôtres, je me tournai vers lui et je lui dis: « Au fait, j’ai remarqué que les désordres des communautés devaient être imputés aux supérieurs. Je me reproche tous les jours de manquer de fermeté. -Ce n’est pas vous, reprit-il devant quatre ou cinq des nôtres, qui manquez de fermeté; ce sont vos Messieurs qui manquent de sainteté. Ce que je dis tout haut, ajouta-t-il avec une certaine expression, depuis longtemps déjà je le dis en cachette. » L’auditoire eut l’air assez surpris de cette franchise, mais, vous pensez bien que je n’eus garde de le désapprouver.

Je vais, dès demain(3), mettre la main à l’oeuvre pour remonter cette machine; mais, je vous l’avoue, c’est là où sont mes grandes douleurs. Je dois ajouter que la difficulté que j’éprouve pour prier longtemps de suite est quelque chose d’atroce pour moi. A quoi cela tient-il? A bien des causes, sans doute, mais la plus grande, sûrement, c’est un fond de lâcheté, qui va me paralysant tous les jours un peu plus et dont je veux pourtant m’affranchir. Vous voyez, ma fille, quel besoin j’ai de vous. Peut-être Dieu m’envoie-t-il toutes ces misères, afin que pour vous en découle l’obligation de m’être bonne et que, dans le bien que vous me ferez, votre âme reprenne toute son élasticité à mon égard.

Ce que vous me dites de Ruas(4) m’a beaucoup fait réfléchir. Je crois que décidément, en effet, j’en ferai un Frère convers; en fait, c’est ce qui le mettra le plus a même de nous être utile. La pensée que vous me suggérez, comme conséquence des difficultés que j’éprouve à trouver des hommes dans le Midi, est très vraie. Il faudrait bien chercher ailleurs, et, pour cela, aller à Paris; mais, d’autre part, il faudrait arriver à Paris avec quelques traditions et quelques hommes. Or, c’est ce que je ne trouve pas assez autour de moi. Quoi qu’il en soit, cherchons toujours. Peut-être finirons-nous par trouver. Il s’en présente bien ici en assez grand nombre, mais ce sont tous des gens ignorants de ce que nous voulons et n’étant pas même capables de le comprendre.

Il faut que je réponde à un mot que je trouve encore dans une de vos lettres. Vous prétendez que je vaux mieux que vous. Ceci est très faux, mais il est bien vrai que j’ai le plus grand désir d’être pour vous aussi bon qu’une créature puisse l’être. C’est ce que je demande à Notre-Seigneur.

Adieu, ma chère fille. Je veux écrire quelques lignes à vos autres Soeurs, mais ce sera pour un autre courrier.

Notes et post-scriptum
1. D'après une copie. Voir *Notes et Documents*, t. III, p. 574 sq., t. IV, p. 101 sq.1. D'après une copie. Voir *Notes et Documents*, t. III, p. 574 sq., t. IV, p. 101 sq.
2. La lettre à la Soeur Marie-Augustine qui suit celle-ci.
3. Il rentra donc à Nîmes le 4 janvier, après quatre jours passés à Lavagnac.
4. Ancien frère ou instituteur, puis soldat, que l'on fut contraint de renvoyer peu après son arrivée.