Vailhé, LETTRES, vol.3, p.232

23 apr 1847 Nîmes, MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Sa maladie s’est aggravée. -Difficultés avec les dames Carbonnel. -Il ne sait comment les remplacer. -Il ne peut trouver de terrain pour le transfert du collège. -Autres nouvelles. -Son accablement moral. -Les abbés Goubier et Henri.

Informations générales
  • V3-232
  • 0+520|DXX
  • Vailhé, LETTRES, vol.3, p.232
Informations détaillées
  • 1 ACHAT DE TERRAINS
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 DOMESTIQUES
    1 EPREUVES SPIRITUELLES
    1 JEUNE CORPOREL
    1 MALADIES
    1 PAQUES
    1 PREDICATION
    1 REMEDES
    1 VOYAGES
    2 CARBONNEL, MARIE-VINCENT
    2 CARBONNEL, MESDEMOISELLES
    2 GOUBIER, VITAL-GUSTAVE
    2 HENRI, EUGENE-LOUIS
    2 RANCE, ABBE DE
    2 SAUGRAIN, HIPPOLYTE
    2 SEMENENKO, PIERRE
    2 VALFONS, MADAME DE
    3 LYON
    3 PARIS
  • A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS (1).
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • le 23 avril 1847.
  • 23 apr 1847
  • Nîmes,
La lettre

Décidément, je suis coupable d’avoir une bronchite et condamné par suite, à prendre le lait d’ânesse indéfiniment. On me fait les plus grandes menaces. Je ne sais ce qui en résultera. Cependant, j’espère bien avec la grâce de Dieu m’en tirer sans toutes les conséquences dont on m’effraye. Quoi qu’il en soit, on veut que je me soigne. On voudrait que je ne prêchasse plus. Le moyen? Cependant, remarquez qu’excepté le jour de Pâques, où j’ai passé dix minutes dans une chaire, je n’y suis pas monté de tout le Carême. On prétend que c’est le maigre, que j’ai fait tout le temps, qui en est cause. Quoi qu’il en soit, je suis un peu honteux de voir les avis que donne M. de Rancé dans ses lettres aux gens qui lui demandent conseil. Sa réponse constante est que, si l’on s’écoute trop, on finit par n’être plus capable de rien; et je suis, dans le fond, de son avis, quoique je m’écoute beaucoup.

Mais ne voilà-t-il pas un immense bulletin? Il faut que je réponde à votre lettre, ma chère enfant, et que je vous remercie de toutes les bonnes choses que vous m’y dites. Aucune ne peut m’en faire  » plus que la conviction que vous semblez enfin avoir de ma bonne volonté pour vous et de mon dévouement complet à tout ce qui vous touche. Je suis, pour le moment, dans de grandes misères, et vous ne sauriez croire le bien que me fait tout ce qui me vient de vous, quand vous voulez n’être pas trop dure. Ces misères, vous les connaissez. Mlle Anaïs est ici comme l’oiseau sur la branche. Ses soeurs consentent à tout, pourvu qu’elle n’aille pas chez vous. Je vais la faire partir pour Lyon, où elle restera une quinzaine de jours pour ménager ses soeurs; puis, elle partira pour Paris. Mais ici tout ne sera pas terminé, tant s’en faut. Ses soeurs aînées veulent, je crois, revenir, ou plutôt l’auraient voulu. J’allai hier les voir à leur maison de campagne; je me gardai bien de rien dire qui pût les engager à retourner. Pendant tout le temps que dura la visite, les choses se passèrent assez bien; mais, quand je partis, il y eut une scène de désespoir muet, qui me donna à penser qu’elles auraient voulu de moi une invitation à rentrer à l’Assomption. Or, elles diront ce qu’elles voudront, mais jamais je ne les attirerai plus ici, parce que, quelque peine que j’éprouve de leur en faire, je ne me sens pas le courage de recommencer de nouveau les luttes si pénibles qu’elles m’ont forcé à soutenir.

Mais, d’autre part, me voilà dans l’embarras; car il me faut renouveler, pour ainsi dire, un personnel de domestiques et trouver linger, infirmier, dépensier. Tout cela m’embarrasse excessivement, et c’est pour cela que je ne serais pas très effrayé d’avoir en ce moment quelques jeunes négociants pour remplir quelques-unes de ces fonctions. Pourquoi ne puis-je en avoir une demi- douzaine comme Hippolyte Saugrain? C’est bien le plus heureux caractère qu’il soit possible de rencontrer. Si votre jeune sculpteur est de cette trempe, j’en serai réellement bien heureux. En attendant, je ne le vois pas arriver. Vous me l’aviez annoncé dans une de vos dernières lettres, et cependant il est toujours à paraître.

Je suis toujours aussi sans terrain. Vraiment, c’est un peu terrible, mais il m’est impossible de rien trouver, à moins d’y mettre des prix fous; et comme, pour le moment, je ne vois pas que les bénéfices soient jamais ici bien gros, je reste en suspens. J’ai presque envie de profiter du projet de loi, pour dire que l’avenir me semble trop incertain pour risquer des capitaux considérables, et que je préfère attendre quelque temps. Je suis réellement à ce sujet dans une grande perplexité. Je fais, en attendant, chercher de tous côtés. Mais qui peut me dire si, après avoir si longtemps cherché en vain, je serai plus heureux que maintenant? Il y a des moments où le découragement gagnerait, si l’on ne savait que tout ce que nous pouvons éprouver de déceptions dans ce triste monde est bien peu pour payer le bonheur de là-haut, si jamais nous le méritons. Au milieu de toute cette débâcle, je vois mon voyage de Paris s’éloigner comme un mirage. Je devrais partir après-demain, et ma place n’est certes pas encore retenue.

Je ne vous ai pas encore remerciée des 150,000 francs que vous m’offrez. Vraiment, j’aurais bien bonne envie de les accepter. Mais quand pourrai-je vous les rendre? Il faudra que j’aille à Paris pour traiter de vive voix cette question, car, avec la meilleure volonté du monde, il pourrait bien se faire que, si jamais je les touchais, je ne les gardasse beaucoup trop longtemps. Je joins ici une note que Mme de Valfonds m’a fait remettre au sujet de I’institutrice dont vous avez bien voulu vous occuper. Je me permets, au lieu de la copier, de vous l’envoyer tout entière.

Je vous demande pardon, ma chère enfant, de vous laisser un peu trop voir mon accablement. Vraiment, il est bien honteux que, lorsqu’on dit la messe tous les jours, on n’ait pas plus de force contre les contrariétés. Aussi, je veux m’y mettre tout de bon et me relever contre moi-même. Il est aussi peut-être bon de sentir par moments sa faiblesse, afin d’apprécier davantage la nécessité de s’appuyer uniquement sur Notre-Seigneur.

Vous ai-je écrit que je m’étais raccommodé avec M. Goubier, sans pour ainsi dire qu’il y parût. J’ai eu une explication avec l’abbé Henri qui aura pour résultat, je l’espère, de le tenir un peu plus à sa place. De ce côté, les choses ne vont pas positivement mal. Il me semble que je ne vous parle que de moi. C’est bien égoïste; car, vous aussi, vous avez vos peines.

Adieu, ma chère enfant. La cloche m’avertit de m’arrêter. Je suis un triste père, et cependant je puis bien vous assurer que je ne voudrais, pour rien au monde, que vous eussiez ce que j’éprouve. Tout vôtre en Notre-Seigneur.

J’ai vu Semenenko, qui va mieux et qui se rappelle à votre souvenir.

Notes et post-scriptum
1. D'après une copie. Voir *Notes et Documents*, t. IV, p. 78 sq.