Vailhé, LETTRES, vol.3, p.279

29 jul 1847 Eaux-Bonnes, MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Les maîtres de Nîmes lui reprochent de manquer de prudence, lui trouve qu’ils manquent d’esprit surnaturel. -Imprudences de Cardenne. -Ses auteurs spirituels préférés. -Examen des critiques qu’on adresse à sa conduite. -Nouvelles des Eaux-Bonnes. -Eloge de l’abbé de Salinis. -Réponse à de nouvelles critiques. -Au sujet de sa sanctification.

Informations générales
  • V3-279
  • 0+537|DXXXVII
  • Vailhé, LETTRES, vol.3, p.279
Informations détaillées
  • 1 AUTEURS SPIRITUELS
    1 CONVERSATIONS
    1 CURES D'EAUX
    1 DEFAUTS
    1 DISCIPLINE SCOLAIRE
    1 ELEVES
    1 ESPRIT SURNATUREL A L'ASSOMPTION
    1 JUIFS
    1 MAITRES
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 PRUDENCE
    1 REGLEMENTS
    1 REPAS
    1 REPOS
    1 SOEURS CONVERSES
    1 TIERS-ORDRE FEMININ
    1 VISITE DES MALADES
    2 BALINCOURT, EDGARD DE
    2 BALINCOURT, MADAME CHARLES DE
    2 BAYLE, JOSEPH
    2 BERULLE, PIERRE DE
    2 BEVIER, MARIE-AUGUSTINE
    2 BOSSUET
    2 BOYER, MADAME EDOUARD
    2 CARBONNEL, MESDEMOISELLES
    2 CARDENNE, VICTOR
    2 CART, JEAN-FRANCOIS
    2 COMBALOT, THEODORE
    2 DARRALDE, JEAN-BAPTISTE
    2 DARRALDE, MADAME JEAN-BAPTISTE
    2 DEVERIA, EUGENE
    2 FENELON
    2 FRANCOIS DE SALES, SAINT
    2 GOURAUD, HENRI
    2 HENRI, EUGENE-LOUIS
    2 MARTHE, SAINTE
    2 SALINIS, ANTOINE DE
    3 BORDEAUX
    3 EAUX-BONNES
  • A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS (1).
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • le 29 juillet 1847.
  • 29 jul 1847
  • Eaux-Bonnes,
La lettre

Ma chère enfant,

Je vais répondre, autant que l’heure avancée de la matinée me le permettra, à vos trois dernières lettres. Comme elles me concernent plus particulièrement, je pourrais sans inconvénient être moins long, d’autant plus qu’il y a plusieurs points sur lesquels je suis de votre avis. Vous me recommandez d’acquérir la vertu de prudence. Il faut que j’en aie réellement bien peu, pour ne pas voir que je n’en ai pas du tout. Car si, d’une part, je suis tout à fait de votre avis en principe, de l’autre, il me paraît que l’on me reproche assez gratuitement d’en manquer. Ce qui manque à nos Messieurs, c’est tout bonnement l’esprit surnaturel; ils s’en vont vers leurs idées et ils y restent. Il faut un esprit commun, et, là-dessus, je ne puis obtenir aucun sacrifice. Peut-être alors se rejettent-ils sur ce qui leur paraît excessif en moi -ce qui positivement ne l’est pas pourtant,- afin d’avoir le prétexte de dire que l’on ne peut pas me suivre. Je vous assure que j’en suis là.

Je vous en donnerai un exemple. J’ai recommandé plusieurs fois à Cardenne de suivre le règlement que lui a donné M. Gouraud pour sa santé. Je croyais que, sur ma recommandation, il le suivait, et voilà que je découvre par la lettre de Soeur Marie-Aug[ustine] -que sur quelques points je trouve parfaite,- qu’il ne dort que quatre heures. S’il prend la chose sur lui, après plusieurs avis réitérés de ma part, qu’y puis-je? Ceci est affaire de coulpe. S’il ne s’en accuse pas, qu’y puis-je encore?

J’ai voulu, dans le temps, lire le Traité de l’abnégation de M. de Bérulle. Je vous avoue qu’il m’a peu convenu, et, l’avouerai-je, je me dégoûte tous les jours un peu plus de M. de Bérulle; c’est trop quintessencié. J’en reviens à Bossuet et à saint François de Sales. Fénelon me devient tous les jours un peu plus antipathique comme directeur(2). Mais je m’écarte de ce que je veux vous dire.

Le règlement, quant à ce qu’il a d’essentiel, est assez bien accordé, et, quant aux dispenses, je les crois toutes données dans l’esprit même qui autorise à les accorder. La discipline va mal, mais ce n’est pas ma faute. Il faudrait changer les surveillants.

J’ai quelques reproches à me faire sur quelques jugements exprimés au sujet des maîtres, mais j’ai observé que les dames C[arbonnel] m’avaient souvent attribué des jugements portés par elles-même, et que je n’avais pas relevés pour un bien de paix. Les préférences, par rapport aux élèves, n’ont absolument été, cette année, que pour les élèves qui se conduisaient le mieux. Je défie qu’on puisse voir autre chose dans ma conduite. Le mot de Mme de Balincourt ne peut avoir de portée. Son original de fils, qui est pétri d’esprit, a toujours eu en horreur la pensée qu’on lui fît quelques avances; et pourtant, en ce moment, il est l’objet de soins particuliers. Mais il faudrait un volume pour expliquer cette affaire. Franchement, sous ce rapport, je ne crois pas avoir autre chose à me reprocher que de n’avoir pas fait trop d’avances à quelques élèves, que nous étions décidés à renvoyer à la fin de l’année. Je ne reviens plus sur la question du manger, quand il est évident que je mange deux fois plus que les autres(3).

Nous serions très bien avec M. Darralde, si je pouvais le voir, mais il est si surchargé qu’il n’y a pas moyen de l’aborder. Cependant, je lui ai parlé de vous. Il compte aller vous voir l’hiver prochain avec sa femme, que j’ai aperçue une fois dans une maison, quoique je sois allé frapper bien souvent à sa porte. Je ferais les commissions de vos Soeurs converses, dès que je reverrai l’abbé Bayle. Elles peuvent y compter, comme aujourd’hui, jour de sainte Marthe, je vais dire la messe pour elles toutes quoique la fête soit renvoyée à demain. Mon séjour avec M. de Salinis est réellement très agréable. Je regrette que vous ne l’ayez connu que par ce que vous en a dit M. Combalot. C’est réellement un saint prêtre. Sa santé est très délicate, mais il s’occupe constamment des choses de Dieu de la manière la plus édifiante. Il fait aux Eaux un bien immense par ses conversations, il est tout naturellement toujours occupé d’une question de piété ou de religion, et tout pour lui revient là. Je l’ai entendu, dans des discussions avec Devéria qui s’est fait protestant(4), montrer une patience dont je suis loin, je l’avoue. Il se soigne, mais le Dr Darralde m’a dit en particulier qu’il en avait le plus grand besoin. Il a renouvelé l’esprit religieux des hommes les plus distingués de Bordeaux dans toutes les branches. Il reçoit chez lui des juifs et des protestants, qui se trouvent à l’aise dans son salon.

J’ai à moi toute la matinée, au moins jusqu’à 9 h. 1/2, de midi à 4 h. 1/2 et encore un peu de temps dans la soirée.

Ce que l’on vous [a] dit de mes visites n’est guère exact. L’une dans l’autre, j’en fais à peine une tous les huit jours. Certainement, je n’en fais pas deux, et encore est-ce à des personnes qui me demandent pour de bonnes oeuvres qui sont de mon ressort. A proprement parler, je ne fais jamais de visite. Depuis le jour de l’an, j’en ai fait trois ou quatre à une dame qui avait perdu son frère, et deux ou trois à une autre dont la tante voulait me vendre une terre pour y bâtir. Sauf deux fois que Mme Boyer était malade et me désirait, je crois ne l’avoir vue que pour le Tiers-Ordre, qui, du reste, ne se soutiendra probablement pas, et alors ma solitude sera à peu près absolue. L’abbé Henri reçoit presque tous les parents. Peut-être, entre nous, ce pauvre abbé cherche-t-il à prendre position par ses rapports avec les familles, mais comme je me sens assez fort pour le briser quand il faudra, je le laisse aller. Du reste, je vais le prendre probablement à un piège qu’il me tend, si j’ai de bons yeux. Qu’il est pénible d’avoir à agir ainsi avec des hommes qu’on n’aurait voulu traiter que par la confiance! On me reproche de l’irrégularité pour les repas. Je n’en ai eu presque jamais que lorsque j’étais au Conseil de l’évêque, qui s’imagine ne devoir les finir qu’à midi et demi.

Le point sur lequel je m’abandonne sans réserve, c’est sur ma sanctification personnelle et l’égalité d’humeur. Quoique, pour cette dernière qualité, je fasse des efforts j’avoue que je succombe quelquefois, et, pour la sanctification, je suis d’une épouvantable lâcheté. Vous n’en direz jamais autant que j’en pense.

Le papier me manque et j’aurais dû m’arrêter, car nos Messieurs se plaindront que je ne leur écris pas exactement. Adieu, ma fille. Tout vôtre en Notre-Seigneur. Pardonnez-moi de ne pas me relire.

Notes et post-scriptum
2. Dans sa jeunesse il préférait Fénelon à Bossuet, voir t. Ier. p. 393.1. D'après une copie. Bien que la lettre soit datée du 28 juillet, elle fut écrite le jour de sainte Marthe, soit le 29 juillet.
2. Dans sa jeunesse il préférait Fénelon à Bossuet, voir t. Ier, p. 393.
3. Ceci ne s'accorde guère avec ce que tout le monde disait.
4. Sans doute Eugène Devéria, peintre de talent.