Vailhé, LETTRES, vol.3, p.297

2 oct 1847 Nîmes, BEVIER Marie-Augustine ra

Ses inquiétudes au sujet de la santé de la fondatrice. -Il se reproche ses moqueries, mais à l’égard de Cardenne, elles étaient voulues et il les recommencerait. -Manière de corriger ses défauts. -Son cours d’histoire ecclésiastique à ses élèves. -Idées-mères qui lui servent de point de départ. -Temps qu’il consacre au sommeil et manière d’occuper les premières heures de sa journée. -Les idées du P. Ventura sur les auteurs païens et chrétiens sont exagérées. -Sa manière d’entendre la question.

Informations générales
  • V3-297
  • 0+545|DXLV
  • Vailhé, LETTRES, vol.3, p.297
Informations détaillées
  • 1 DEFAUTS
    1 DISCOURS DE DISTRIBUTION DES PRIX
    1 ENSEIGNEMENT DE L'HISTOIRE ECCLESIASTIQUE
    1 ENSEIGNEMENT DU DOGME
    1 LEVER
    1 MATIERES SCOLAIRES
    1 PROTESTANTISME
    1 QUERELLE DES AUTEURS CLASSIQUES
    1 REFORME DU CARACTERE
    1 REGLEMENTS
    1 REPOS
    1 REVELATION
    1 REVOLUTION
    1 SANTE
    1 TRAVAUX SCOLAIRES
    1 VIE DE PRIERE
    2 AUGUSTE, EMPEREUR
    2 BASILE, SAINT
    2 CARDENNE, VICTOR
    2 GERMER-DURAND, EUGENE
    2 GUIZOT, FRANCOIS
    2 HENRI, EUGENE-LOUIS
    2 MICHELET, JULES
    2 MILLERET, MARIE-EUGENIE
    2 SALINIS, ANTOINE DE
    2 TESSAN, JEAN-CHARLES DE
    2 VALENTINIEN
    2 VENTURA, GIOACCHINO
    3 PARIS
  • A LA SOEUR MARIE-AUGUSTINE BEVIER (1).
  • BEVIER Marie-Augustine ra
  • le 2 octobre 1847.
  • 2 oct 1847
  • Nîmes,
La lettre

Je ne puis vous dire, ma chère fille la préoccupation que me cause votre lettre. Je ne puis venir que dans le mois de décembre, si je consulte nos affaires. Mais, en ce moment, je n’en ai pas de plus grande que la santé de notre Mère. Je vous conjure de m’écrire au plus tôt ce qu’elle éprouve, et, si vous voulez bien faire en ceci un acte de vertu, je vous ferai une obéissance de me faire savoir comment elle se trouve. Pour peu qu’il y ait de sérieux dans son mal, je partirai à pied ou à cheval, si je ne le puis en voiture. Ce qui me rassure un peu à son égard, c’est la manière dont vous me parlez d’une foule d’autres choses. Vous seriez trop préoccupée pour y penser, si réellement vous étiez inquiète sur son compte. Du reste, si c’était une prompte réponse que vous vouliez, vous voyez que vous avez pris le bon moyen.

Après m’être occupé tout d’abord de n[otre] M[ère] -ce que votre affection pour elle me pardonnera,- je viens à ce que vous me dites de la mauvaise querelle, que je vous aurais faite avec M. Cardenne. Permettez-moi de vous dire, ma chère fille, que je me reproche si fort cette habitude de moquerie que l’on a remarquée en moi, je trouve tant qu’elle nuit au bien que je pourrais faire aux âmes, que si, dans cette occasion encore, elle vous a fait le moins du monde de la peine, il m’est infiniment aisé de vous en faire mes excuses de tout mon coeur, et avec le sentiment de reconnaissance que m’inspire le désir bien vrai, il me semble du moins, de me corriger de ce vilain défaut. Pour M. Cardenne, ma contrition est bien moins grande; elle est même entièrement nulle. Ce que j’ai fait, je voulais le faire, et je crois que, si c’était à recommencer, je le ferais encore. Vous ne vous figurez pas à quel point cet excellent fils avance tous les jours dans l’esprit d’oraison et de charité, qui sait tirer avantage de tout pour s’enflammer davantage. L’égalité de son caractère, le dépouillement de sa volonté fait mon admiration et ma honte. J’ai peur que Dieu ne me reproche un jour d’avoir été l’indigne père d’un pareil enfant.

Quant à ce qui vous concerne, il ne faut pas trop vous désespérer. Le sentiment de foi que j’ai toujours admiré en vous, comme un des plus beaux dons de Notre-Seigneur, peut transporter loin de votre âme les montagnes de défauts que vous me dites l’écraser. Notre-Seigneur est si bon, quand on met toute sa confiance en lui! En lui exposant notre âme, comme cette fleur dont vous me parliez dans le temps, croyez-vous qu’un de ses rayons ne puisse dessécher la boue dans laquelle la pauvre fleur a ses racines? La seule condition qu’il mette à cette action purifiante de sa divine chaleur est une grande simplicité et droiture de coeur, et les défauts que vous vous reprochez me semblent ne pas trop être opposés avec l’acquisition de ces deux belles vertus. Il ne faut pas, dans le choix du bien dont on veut orner son âme, prendre toujours celui qui va à l’opposé du mal qui fait notre fond; il faut voir si, dans le mal même, il n’y a pas quelque bien vicié, pour le redresser en quelque sorte et le ramener à sa nature primitive.

Les circonstances ont fait que j’ai dû me charger dans la maison d’un cours d’histoire ecclésiastique. A mon voyage à Paris, nous en causerons un peu longuement. Si vous aviez quelques idées à cet égard, vous seriez bien aimable d’en rédiger quelque chose dont je ferais mon profit. Le cours est censé durer cinq ans. Je le fais simultanément aux classes de 4e, 3e, 2e, rhétorique et philosophie. Je le commence en 4e pour marcher, autant que faire se pourra, de concert avec M. Cardenne, qui prend l’histoire romaine en 4e et poursuit jusqu’en rhétorique seulement. Comme pendant les six premiers mois de la 4e, il voit les temps antérieurs à Auguste, j’en profite pour faire une Introduction à l’histoire ecclésiastique. Le cours n’aura qu’une leçon par semaine, 36 par an à peu près. M. l’abbé Henri s’est chargé du cours de dogme qui correspondra aux mêmes classes.

Cet arrangement a, je le sais, quelques inconvénients, mais ils sont compensés par plusieurs assez grands avantages. Le bon Cardenne est assez aise de cet arrangement, qui lui permet de donner plus de développement à son enseignement de l’histoire, puisque je lui en prends une partie. Ce qui m’a déterminé à prendre ce parti, c’est que j’ai cru nécessaire d’avoir, à proprement parler, un enseignement dans la maison, et qu’en le partageant, comme j’ai fait, avec M. Henri, nous pouvons nous suppléer sans inconvénient. Ainsi je ferai le cours deux fois par semaine jusqu’à mon départ pour Paris, afin que M. Henri puisse faire le sien, sans gagner trop d’avance, deux fois par semaine pendant mon absence.

Je vais consacrer le mois de novembre à une Introduction, qui donnera aux élèves quelques notions préliminaires que je crois très nécessaires. Partant de l’idée que Dieu reproduit quelque chose de ses perfections dans toutes ses oeuvres et que l’Eglise est son chef-d’oeuvre, je conclus de la suprême indépendance, justice et bonté de Dieu, que l’Eglise doit être la société qui possède la plus grande somme de liberté, les meilleures lois, et qui procure le plus grand bonheur. De la nature de l’homme, de sa liberté, de ses imperfections, je conclus la révolte, le désordre, la souffrance, le châtiment, le mal qui souille et le mal qui punit.

La supposition que Dieu veuille établir une société avec les hommes et leur donne des lois positives implique la nécessité d’une révélation, car le raisonnement ne peut découvrir des lois positives, et toute société, du moment qu’elle est extérieure, implique cette sorte de lois. De cette conclusion au fait même, qui se prouve comme un fait, c’est-à-dire historiquement, il n’y a qu’un pas. C’est ainsi que je passe en revue la création, les anges, les démons, la chute, la mort et la réparation promise, dont le caractère de miséricorde et de justice se reflète merveilleusement, pour les éclairer, sur tous les grands faits qui ont précédé Jésus-Christ. Les désordres eux-mêmes s’expliquent comme châtiments permis et anticipés de la justice, et comme l’ombre des divines réparations opérées par la miséricorde.

Voilà pour commencer. Mais comme j’ai été obligé de prendre mon parti à la hâte, j’ai eu bien peu de temps pour me préparer. Si donc, à mon voyage à Paris, vous avez quelques ressources à mettre à ma disposition, je les accepterai comme une véritable aumône.

Je ne sais que vous dire sur votre projet de ne dormir que six heures et demie. Je vous avoue qu’après avoir beaucoup dormi l’année dernière, à cause de mes crampes d’estomac, cette année, c’est juste le temps que j’ai choisi pour mon propre compte. Je me couche à 9 h. 1/2 et je me lève à 4 heures. Cet arrangement me donne un peu plus de temps pour prier Dieu le matin, car pour le faire dans la journée, il n’y faut pas songer. Je ne mets guère que dix minutes à me lever. Je réveille mon servant de messe, qui me donne un petit quart d’heure de préparation. Je suis à l’autel à 4 h. 20 ou 25. A peine ai-je fini, on commence Prime. Tout cela, avec l’oraison ou la messe de communauté, tient réveillé. J’ai ensuite une étude d’une heure et demie, de 6 heures à 7 h. 1/2. Si je sens le sommeil me prendre -ce qui arrive quelquefois,- je salue mon livre une ou deux minutes, ou bien je vais faire mon lit, ce qui me secoue, et je finis ma toilette d’une manière un peu plus convenable. J’ai éprouvé que ces secondes ablutions sont très utiles, et, disposées ainsi, sont une économie de temps.

Vous me pardonnerez tous ces petits détails. Je vous les donne comme moyens de perdre le moins de temps possible. Assez souvent, un des nôtres vient me parler tandis que je fais ma chambre, ce qui est encore une économie; mais je ne sais s’il serait bien que vous parlassiez aux enfants pendant ce temps-là, et je ne sais s’il y a quelque maîtresse avec qui vous puissiez en pareil moment vous entretenir des études.

L’abbé de Salinis me disait, en me parlant du P. Ventura que c’était l’homme du monde avec qui il s’était le mieux rencontré sur les principes et avec qui il avait été le plus en désaccord quant aux applications pratiques, à cause de l’exagération des conséquences qu’il tirait. Je crois que l’abbé de Salinis avait raison. Dire que le protestantisme est venu de ce qu’on a mis les auteurs païens entre les mains des enfants, c’est quelque chose comme de dire que la Révolution est arrivée, parce qu’on a chassé les Jésuites, ou, comme dit l’abbé de Tessan, parce qu’on a supprimé les chanoines, qui furent, en effet, supprimés immédiatement avant la Révolution. Quant au discours de M. Durand(2), je ne l’ai admis que comme préambule d’une moitié d’un cours d’études classiques. On peut admettre ce qu’il dit comme vrai, mais insuffisant. Le P. Ventura, qui ne veut que les Saints Pères pour modèles, veut aussi que l’on soit plus indulgent pour les lectures à laisser faire. Or, ne vaut-il pas mieux étudier les belles formes chez les païens qui ne sont pas irréligieux, et laisser un peu plus la littérature impie moderne, que d’aller chercher cette beauté de forme chez les Pères, où elle est singulièrement affaiblie ou même n’existe pas du tout, et d’aller s’appuyer sur des hommes comme MM. Guizot, Michelet et autres, qui sont, eux, antichrétiens avec connaissance de cause, ou bien qui présentent les faits sous le jour d’une demi-vérité, bien plus dangereuse qu’une négation absolue?

Remarquez que nous sommes d’accord sur le but, sur la nécessité d’une modification profonde. Reste une discussion sur le choix des moyens. Remarquez que l’on donne très souvent des versions prises dans les Pères. Ainsi, pour la composition des prix, on a donné le magnifique dialogue entre [saint] Basile et Valentinien, que, par parenthèse, vous ne connaissez probablement que tronqué.

Mais je m’aperçois que je réponds, à mon tour, assez verbeusement à vos chères huit petites pages. Je terminerai par deux observations. La première, que vous avez grand tort de répéter si souvent que vous craignez de me fatiguer; vous savez bien que cela n’est pas. La seconde, que je serais bien heureux, au contraire, si vous vouliez bien me tenir au courant de vos travaux. J’y gagnerais certainement des idées pour la direction des études, et vous n’y perdriez pas non plus; car, en constatant vos essais, vos expériences, vous les fixeriez peut-être mieux dans votre pensée, vous éclaireriez certaines idées. Au moins, c’est ce que j’ai assez souvent éprouvé pour mon compte.

Je n’ose pas commencer une neuvième page et je veux pourtant vous dire que, quoique notre [Mère] absorbe un peu mes prières, votre lettre me portera à prier plus particulièrement pour vous. Je me propose de dire la messe à votre intention vendredi prochain.

Tout vôtre en Notre-Seigneur.

Notes et post-scriptum
1. D'après une copie. Voir *Notes et Documents*, t. III, p. 624-626, 649 sq.; t. IV, p. 96 sq.1. D'après une copie. Voir *Notes et Documents*, t. III, p. 624-626, 649 sq.; t. IV, p. 96 sq.
2. Son discours prononcé à la récente distribution des prix et qui portait sur les classiques païens et chrétiens.