Vailhé, LETTRES, vol.3, p.322

6 mar 1848 [Paris, GERMER_DURAND_EUGENE

Il accepte la création d’un journal, mais il faudrait alors décommander les conférences qu’il voulait donner à Saint-Charles. -Le programme sera la liberté comme aux Etats-Unis. -Son rôle glorieux à Paris se borna à ne pas quitter la soutane.

Informations générales
  • V3-322
  • 0+557|DLVII
  • Vailhé, LETTRES, vol.3, p.322
Informations détaillées
  • 1 ELECTION
    1 HOPITAUX
    1 LIBERTE
    1 MALADIES
    1 PREDICATION
    1 PRESSE CATHOLIQUE
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 REPUBLICAINS
    1 SOUTANE
    2 AILLAUD, FRANCOIS-HIPPOLYTE
    2 BAZIN, GUSTAVE
    2 COUX, CHARLES DE
    2 DU LAC, JEAN-MELCHIOR
    2 DUPANLOUP, FELIX
    2 FREDERIC OZANAM, BIENHEUREUX
    2 GOUBIER, VITAL-GUSTAVE
    2 GOURAUD, HENRI
    2 LACORDAIRE, HENRI
    2 LOUIS-PHILIPPE Ier
    2 MARET, HENRI
    2 MONTALEMBERT, CHARLES DE
    3 ETATS-UNIS
    3 NIMES, EGLISE SAINT-CHARLES
    3 PARIS, FAUBOURG-SAINT-HONORE
    3 PARIS, PALAIS DES TUILERIES
  • A MONSIEUR EUGENE GERMER-DURAND (1).
  • GERMER_DURAND_EUGENE
  • le 6 mars 1848.]
  • 6 mar 1848
  • [Paris,
La lettre

Mon cher ami,

Votre enthousiasme me ravit. J’entre tout à fait dans l’idée du journal; seulement il faudrait aller vite, prier M. Aillaud de ne pas annoncer les conférences que je voulais donner à Saint-Charles: 1° parce que voilà huit jours que j’ai un mal de gorge continu, à ne pouvoir pas même dire mon bréviaire; 2° parce que, s’il le faut, je préfère passer mon temps à vous aider dans votre journal qu’à prêcher.

M. Goubier vous a-t-il dit que je lui proposais la formation d’un club? Pour le moment, je préfère le journal. Vous pouvez le faire paraître quand bon vous semblera. Ne me l’envoyez pas, car je serai à Nîmes, je l’espère, avant qu’il ne soit imprimé. Si ma gorge me le permet, je partirai vendredi soir; sinon, dimanche soir. Ainsi, je serai à Nîmes ou mardi matin ou mercredi au plus tard, s’il plaît à Dieu(2). Puis, il y aura pour nous un point essentiel pour alimenter l’intérêt du journal; c’est, pour commencer, l’élection de Montalembert qu’il faut absolument enlever. Maintenant, ne vous faites pas illusion. Les républicains actuels ne rêvent qu’une chose, centraliser tout et dès lors détruire toute liberté; c’est pour cela qu’il faut lutter contre eux en demandant la liberté comme aux Etats-Unis. Il ne faut pas, non plus, se trop mettre contre les protestants. On peut leur montrer qu’ils peuvent, s’ils le veulent, avoir leur part dans cette liberté.

Quant à ce qui me concerne, on a singulièrement exagéré ou plutôt on a tout inventé. La seule chose que j’ai faite d’un peu bien a été de ne jamais quitter ma soutane (j’ai été presque le seul). Du reste, le mot d’ordre était de respecter les prêtres partout. On en a vu assister au pillage des Tuileries et on ne leur disait rien. Quant à aller panser les blessés, j’y serais allé, si j’avais cru que cela en valût la peine; mais la chose a été si vite faite sur le terrain, et les hôpitaux étaient tellement encombrés des dames du faubourg Saint-Germain quel’idée ne m’est pas même venue de me joindre à elles. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’aucun blessé n’a refusé les sacrements, de ceux du moins qui sont morts dans les hôpitaux.

Ici, on s’agite beaucoup pour faire des journaux. Le P. Lacordaire veut en faire un, Montalembert un autre; avec l’Univers cela fera trois(3). C’est absurde. J’ai promis mon concours pour procurer des fonds au P. Lacordaire(43), mais il n’y a pas moyen d’espérer le moindre succès; ils ne veulent paraître que dans six semaines, et dans six semaines les élections seront faites. C’est amer de bêtise.

Mais je me sens un peu trop fatigué, je m’arrête. Adieu. Causez de tout ceci avec M. Goubier. Tout à vous.

E. d'Alzon.
Notes et post-scriptum
1. Voir des extraits dans *Notes et Documents*, t. IV, p. 139-142. La date donnée est celle du cachet de la poste, à Paris. En tête de la lettre, l'abbé d'Alzon a écrit: "Confidentielle."
4. Le 26 février, surlendemain de l'abdication du roi, le P. d'Alzon avait reçu ce mot de Lacordaire.
Paris, 26 février 1848.
Monsieur l'abbé,
J'ai grand besoin de vous revoir en particulier. Auriez-vous la bonté de venir aujourd'hui? Je serai toute la journée à la maison. Comme il s'agit de la cause de la religion, je ne crains pas d'abuser de votre complaisance.
Veuillez agréer, Monsieur l'abbé, l'hommage de mes sentiments respectueux et dévoués.
FR. Henri-Dominique Lacordaire,
*des Frères Prêcheurs*.
Lorsqu'il rédigea cette lettre, Lacordaire avait dû recevoir la note du 24 février, dans laquelle l'abbé Maret exposait le programme du futur journal. (Voir Bazin, *Vie de Mgr Maret*, t. Ier, p. 225-227.) Quelques jours après, eut lieu, au Cercle catholique, une réunion très nombreuse qui accueillit d'enthousiasme, sur la parole de Lacordaire, de Maret et d'Ozanam, le nom et le but de l'*Ere nouvelle*. C'est probablement dans l'entrevue du 26 février que la P. d'Alzon promit les fonds, dont il parle dans sa lettre du 5 mars, ce qui le fit regarder comme l'un des fondateurs de cet organe démocratique. (Voir la lettre de du Lac, du 10 avril 1848, que nous publions.) Nous ne savons s'il donna cet argent, mais il n'apporta pas d'autre contribution à ce journal. L'abbé Maret, originaire de la Lozère et élevé dans le diocèse de Nîmes, était fort connu du P. d'Alzon et en relations avec lui depuis de nombreuses années. C'est le futur archevêque de Sura, l'adversaire de l'infaillibilité pontificale.1. Voir des extraits dans *Notes et Documents*, t. IV, p. 139-142. La date donnée est celle du cachet de la poste, à Paris. En tête de la lettre, l'abbé d'Alzon a écrit: "Confidentielle."
2. Le P. d'Alzon comptait donc quitter Paris le 10 ou le 12 mars, pour être à Nîmes le 14 ou le 15 du même mois. En réalité, il arriva à Nîmes le 17 mars.
3. Lacordaire acceptait avec enthousiasme la République, dont il avait toujours partagé les idées; Montalembert la subissait avec défiance. Le nouveau journal de Lacordaire fut l'*Ere nouvelle*, dont le premier numéro parut le 15 avril. L'idée et le programme, fort avancé, semblent lui avoir été suggérés par Ozanam et surtout par l'abbé Maret. Gouraud et de Coux le patronnèrent également. La division ne tarda pas à se mettre parmi les membres du Comité directeur, qui se retirèrent peu à peu, à l'exception d'Ozanam et de Maret. Un peu plus tard, ceux-ci, faute d'abonnés, cédèrent leur journal qui devint légitimiste, avant de disparaître. Montalembert et le Comité central pour la défense religieuse publièrent, deux fois par semaine, une feuille spéciale, l'*Election populaire*, qui était envoyée à profusion aux Comités de province. De plus, un journal, transformé et dirigé par l'abbé Dupanloup et plusieurs de ses amis, l'*Ami de la religion*, soutenait et défendait les idées de Montalembert. Il y avait encore la *Voix de la vérité* et l'*Univers*, ce qui faisait beaucoup de journaux catholiques pour Paris seulement.
4. Le 26 février, surlendemain de l'abdication du roi, le P. d'Alzon avait reçu ce mot de Lacordaire.
Paris, 26 février 1848.
Monsieur l'abbé,
J'ai grand besoin de vous revoir en particulier. Auriez-vous la bonté de venir aujourd'hui? Je serai toute la journée à la maison. Comme il s'agit de la cause de la religion, je ne crains pas d'abuser de votre complaisance.
Veuillez agréer, Monsieur l'abbé, l'hommage de mes sentiments respectueux et dévoués.
FR. Henri-Dominique Lacordaire,
*des Frères Prêcheurs*.
Lorsqu'il rédigea cette lettre, Lacordaire avait dû recevoir la note du 24 février, dans laquelle l'abbé Maret exposait le programme du futur journal. (Voir Bazin, *Vie de Mgr Maret*, t. Ier, p. 225-227.) Quelques jours après, eut lieu, au Cercle catholique, une réunion très nombreuse qui accueillit d'enthousiasme, sur la parole de Lacordaire, de Maret et d'Ozanam, le nom et le but de l'*Ere nouvelle*. C'est probablement dans l'entrevue du 26 février que la P. d'Alzon promit les fonds, dont il parle dans sa lettre du 5 mars, ce qui le fit regarder comme l'un des fondateurs de cet organe démocratique. (Voir la lettre de du Lac, du 10 avril 1848, que nous publions.) Nous ne savons s'il donna cet argent, mais il n'apporta pas d'autre contribution à ce journal. L'abbé Maret, originaire de la Lozère et élevé dans le diocèse de Nîmes, était fort connu du P. d'Alzon et en relations avec lui depuis de nombreuses années. C'est le futur archevêque de Sura, l'adversaire de l'infaillibilité pontificale.