Vailhé, LETTRES, vol.3, p.335

18 apr 1848 Nîmes, MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Les Jésuites français et les missions d’Algérie. -Il ne lui taira jamais rien, même de ce qui ne regarde que lui seul. -Ses embarras financiers. -Le mécontentement de la population catholique du Midi contre Paris vient de ce qu’elle veut une République d’ordre, et que le gouvernement actuel favorise les protestants et le désordre. -Son état intérieur répond tout à fait au sien. -Sa santé.

Informations générales
  • V3-335
  • 0+565|DLXV
  • Vailhé, LETTRES, vol.3, p.335
Informations détaillées
  • 1 CAREME
    1 COLONIES AGRICOLES
    1 DEFAUTS
    1 DEMOCRATIE
    1 JEUNE CORPOREL
    1 MALADIES
    1 MISSIONS ETRANGERES
    1 OFFICE DIVIN
    1 POLITIQUE
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 REPUBLIQUE
    1 ROYALISTES
    1 SOUCIS D'ARGENT
    1 VIE SPIRITUELLE
    2 ALZON, HENRI D'
    2 BAUDICOUR, LOUIS DE
    2 GERVAIS, OSCAR
    2 LAMARTINE
    2 LANGLOIS, MADAME
    2 LEDRU-ROLLIN, ALEXANDRE-AUGUSTE
    2 PAVY, LOUIS-ANTOINE DE
    2 PIE IX
    2 ROOTHAAN, JEAN-PHILIPPE
    3 AFRIQUE
    3 ALGER
    3 ALGERIE
    3 GARD, DEPARTEMENT
    3 MARSEILLE
    3 MIDI
    3 NIMES
    3 ROME
  • A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS (1).
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • le 18 avril 1848.
  • 18 apr 1848
  • Nîmes,
La lettre

Je reçois à l’instant votre lettre et je vais essayer d’y répondre un peu longuement. Quant à votre Mme Langlois, la commission peut être très bien faite, d’ici à vingt-quatre heures, par M. de Baudicourt; je vais l’en charger. Ce M. de Baudicourt m’a donné une idée au sujet des Jésuites, que je vais vous communiquer. En ce moment, il est en Algérie à la tête d’une exploitation considérable, à laquelle il veut donner une teinte chrétienne. Il vient de parcourir le pays avec l’évêque d’Alger, et ils ont été tellement frappés l’un et l’autre de la disposition universelle des populations à recevoir le christianisme que, de concert avec l’évêque, il est parti pour Rome afin d’en parler au Pape. Il en a été parfaitement accueilli. Il a proposé aux Jésuites qui ont quitté Rome de venir chez lui en Afrique. L’idée m’est venue que l’on pourrait peut-être engager le gouvernement à favoriser le départ des Jésuites français, en les secondant dans leur mission en Algérie. Je l’ai communiquée à M. de Baudicourt, qui l’a accueillie avec enthousiasme et qui est reparti pour Marseille, afin de découvrir le P. Roothaan qui doit être de ce côté-là, et lui demander si les missions d’Afrique ne lui iraient pas. Je suis convaincu que, en y mettant un peu de bonne volonté, on pourrait trouver là une solution de la question(2).

Je commence par vous dire que, en ne m’arrêtant pas à vous détailler dans une de mes dernières lettres ce qui ne regardait que moi seul, je n’avais d’autre intention que de vous donner à entendre que ce chagrin m’était personnel, sauf à vous en parler un autre jour. Je n’admets pas l’hypothèse que je veuille jamais vous taire quelque chose, même de ce qui ne regarde que moi seul. Et, à ce sujet, je vous dirai que vous vous laissez trop prendre à ma sotte raideur. Avec vous il peut se faire que, sans le vouloir, j’en montre l’apparence, mais c’est tout à fait à mon insu. Je tâcherai de m’en corriger, mais pardonnez-moi d’avance celle que je vous montrerai malgré moi.

Vous pouvez me charger de 50,000 francs de billets et même de plus, si vous le voulez; je vous les rendrai plus tard en écus. Vous pouvez même, à proprement parler, me donner tout ce que vous aurez; si c’est vous rendre service, je vous le rendrai sans difficulté. A vrai dire, je ne sais plus où donner de la tête. Comptant sur 50,000 francs que mon père m’avait promis, j’avais fait des remboursements très considérables, pour près de 30,000 francs. Vous comprenez que les 50,000 francs n’arrivant pas, je suis excessivement gêné.

Ce que je vous dis du mécontentement de Nîmes et des villes du Midi tient à la manière violente dont on agit au nom de M. Ledru-Rollin. Je voudrais bien que l’on fît comprendre que, dans ce moment, il s’opère un changement prodigieux dans les populations catholiques. Chaque jour, elles acceptent plus franchement la République, mais il ne faut pas que des irritations causées par le despotisme de quelques commissaires leur fassent regretter le sacrifice de leurs affections. Elles soutiendront les hommes d’ordre, et ici, aujourd’hui même, on va proposer le nom de Lamartine, afin de lui donner une chance de plus pour la présidence. Vous voyez donc que ce n’est pas du fédéralisme que l’on veut faire, mais une République d’ordre. Voilà le voeu du pays. Mais on veut que les droits soient respectés. Croiriez-vous, par exemple, que la portion protestante de la garde nationale est toute armée et que le commissaire du gouvernement, Oscar Gervais, a signifié que jamais on n’armerait les catholiques. Or, les protestants étaient surtout orléanistes, et si la République est ici acceptée, c’est surtout par les catholiques. Voilà un fait qui soulève toute la population du Gard et qui, s’il dure, amènera de graves désordres. Dans d’autres villes, c’est autre chose; mais c’est toujours une constante dénégation des droits qui engendre le mécontentement, quand, au contraire, la confiance eût gagné tous les coeurs. Mais (et ceci est capital) ce n’est pas le compte des avocats sans cause, qui se sont faits ici les coryphées de la République. Mille ambitions démocratiques seraient déçues, si elles ne dénonçaient pas des partis en masse. C’est ce qu’il faudrait faire aussi bien apercevoir. On doit choisir, ou l’appui de quelques brouillons qui crient pour se rendre importants, ou l’adhésion de plus en plus franche de la population. Cette situation est surtout celle du Gard, mais je la crois celle de presque tout le Midi.

Quant à vous, ma chère fille, je trouve que vous racontez beaucoup de choses qui me sont personnelles, en parlant de vous. Je crois pouvoir vous engager à faire ce qui me réussit, quand j’en viens à bout: c’est une disposition habituelle à me mettre aux pieds de Notre-Seigneur et de la Sainte Vierge et à m’apaiser sous leur action. Quand même je n’y reste pas longtemps, il en reste toujours des traces. Les impressions que vous avez devant Notre-Seigneur sont parfaites, il faut bien vous garder de les amoindrir par manque de recueillement. J’entre bien dans toutes vos angoisses. Qui n’en a pas? Votre état sans affection est très douloureux sans doute. Il ne faut ni le combattre, ni chercher à le changer, il faut vous laisser fondre par la douce chaleur de Jésus-Christ.

Je n’ose vous dire de reprendre l’office. Je continue de le dire à part, à cause de ma santé. J’ai des irritations d’entrailles et des migraines de temps en temps. Le Carême fini, peut-être cela passera. Je ne jeûne pas, en ce sens que je prends du lait et de l’orge, mais je fais maigre. Peut-être ai-je tort. Je pense habituellement à vous, et cela me fait un bien que je voudrais bien pouvoir vous rendre. Vous m’êtes la meilleure preuve que je ne suis pas sans affection. Dites pour moi mille choses à toutes nos Soeurs.

Adieu, ma fille. Tout à vous en Notre-Seigneur.

Notes et post-scriptum
1. D'après une copie. Voir *Notes et Documents*, t. IV, p. 236 sq. 250.1. D'après une copie. Voir *Notes et Documents*, t. IV, p. 236 sq. 250.
2. Une lettre de Baudicourt au P. d'Alzon, du 14 avril, lui annonce que le provincial de Lyon a changé d'avis et vient d'abandonner le projet.