Vailhé, LETTRES, vol.3, p.356

18 jul 1848 Lavagnac, MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Son récent état intérieur. -Il n’agit que par le sentiment du devoir, et souvent avec dégoût. -Quinze jours de prières et de lectures pieuses. -Crainte que l’oeuvre ne pérît par défaut d’argent; réponse de Dieu. -Pour un mois, il s’est mis sous la protection spéciale de la Sainte Vierge. -Regrets de ses défauts et de ce qui a paru désagréable en lui. -Il sera toujours pour elle le meilleur des pères.

Informations générales
  • V3-356
  • 0+580|DLXXX
  • Vailhé, LETTRES, vol.3, p.356
Informations détaillées
  • 1 ADORATION DU SAINT-SACREMENT
    1 DEFAUTS
    1 DEGOUTS
    1 DEVOIR
    1 EPOUSES DU CHRIST
    1 ESPRIT FAUX
    1 FETES DE MARIE
    1 HONORAIRES DE MESSES
    1 LIVRES
    1 MALADIES
    1 MEDISANCE
    1 ORAISON
    1 PATERNITE SPIRITUELLE
    1 PENITENCES
    1 PROTECTION DE LA SAINTE VIERGE
    1 SOUCIS D'ARGENT
    1 VOIE UNITIVE
    2 ALZON, HENRI D'
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 JEAN, SAINT
    2 MATTHIEU, SAINT
    2 OLIER, JEAN-JACQUES
    3 NIMES
  • A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS (1).
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • le 18 juillet 1848.
  • 18 jul 1848
  • Lavagnac,
La lettre

Je veux terminer aujourd’hui, ma chère fille, ce que j’avais à vous dire et que je laissai inachevé, soit parce que j’étais un peu souffrant, soit parce qu’on vint me demander mes lettres avant que je n’eusse pris un peu de repos.

Vous avez touché une corde en finissant votre lettre du 12, qui, je crois, est la bonne: « Le jour où par sainteté vous serez moins extérieur, je suis convaincue que cette fleur de votre âme retrouvera toute sa délicatesse. » Je crois que vous avez parfaitement raison dans cet endroit; seulement, je crois que vous vous trompez plus haut, quand vous parlez du plaisir que me causent l’agitation et certaines préoccupations. J’en suis depuis longtemps extrêmement fatigué. Il n’est presque plus rien que je ne fasse avec lassitude et dégoût, ou plutôt que je ne ferais avec ces impressions, si je m’y laissais aller. Il me semble que je fais tout, du moins beaucoup de choses, avec le seul sentiment du devoir et surtout avec la conviction profonde que je fais mal. J’écoute souvent ce dégoût; ce qui est extrêmement mal. Et ce que je ne sais pas bien discerner, c’est ce que ma santé exige et ce que je dois donner à la mortification, dans les divers exercices que j’accomplis ou dont je me dispense. Le repos que je prends m’enlève un certain temps pour prier, et, quoique j’essaye de me trouver le plus habituellement possible en la présence de Dieu, je sens bien que je ne lui donne pas tout ce que je devrais. J’essaye de me tenir le plus possible en servitude à l’égard des créatures, mais c’est une servitude un peu contrainte, d’où je ne retire pas toujours de grands fruits et qui me découpe assez ennuyeusement mon temps. Avec cela, je suis d’une profonde aridité. Et le moyen que je donne aux autres, quand je n’ai rien moi-même?

Tel était l’état où je me trouvais, quand je suis arrivé ici. Ce n’était rien de bien merveilleux, et même beaucoup plus déplorable que je ne vous le dépeins. Depuis, il me semble que cela va un peu mieux. Je me suis interdit toute lecture légère; j’ai pris la Vie de M. Olier, que j’ai finie avant-hier soir seulement. J’y donnais cinq ou six heures par jour. C’est vous dire que je la lisais très lentement, puisque j’ai mis quinze jours pour la finir. Elle m’a fait le plus grand bien; car, avec cela, je passais un assez long temps à la chapelle devant le Saint Sacrement. Expliquez-moi donc comment il se fait que vous me reparliez d’être ainsi dissipé, puisque, depuis quelques jours déjà j’avais pris ce genre de vie et que, depuis longtemps, à Nîmes, j’avais certes laissé de côté bien des sujets de dissipation, si l’on doit donner ce nom à des occupations peut-être inutiles.

Je ne sais pourquoi je cherche à me justifier, lorsque, en commençant cette lettre, j’avais une toute autre intention. Je ne voulais que vous avouer combien j’avais le sentiment de l’obligation où je suis d’entrer dans la voie de l’oraison, et combien cette voie me fait peur. Cependant, j’ai essayé de m’y mettre, malgré la terreur qu’elle m’inspire, et je veux y consacrer un certain temps, si mes affaires matérielles ne s’y opposent pas; car, si j’ai eu à offrir quelque chose de rude à Notre-Seigneur, ces jours-ci, ç’a été le cauchemar permanent que l’oeuvre allait périr par le défaut d’argent. Heureusement qu’en lisant l’Evangile, à trois reprises différentes et trois jours de suite, je suis tombé sur les chapitres de saint Matthieu et de saint Jean qui rapportent la multiplication des pains! Notre-Seigneur peut bien renouveler ce miracle, si bon lui semble. Oh! si nous avions un peu de foi! Il me semble que je suis venu à bout de bien offrir à Notre-Seigneur la honte d’une déconfiture, et surtout la peine qu’en éprouveraient mes parents; car, pour ce qui m’est personnel, il me semble que j’en fais bon marché.

Enfin, depuis le 16 juillet jusqu’au 15 août, c’est-à-dire depuis Notre-Dame du Carmel jusqu’à l’Assomption, je me suis promis de me mettre tout spécialement sous la protection de la Sainte Vierge, afin d’obtenir par son entremise que je pusse devenir quelque chose de passable. Voilà où j’en suis. Vous comprenez qu’il y aurait une foule de détails à ajouter et qui ne peuvent se donner que de vive voix, et vous comprenez combien, sous ce rapport encore, je désirerais avoir la possibilité de vous voir, d’ici à quelque temps.

Vous pouvez comprendre maintenant, ma chère enfant, ce qui a pu vous faire trouver en moi des choses dures et désagréables; elles ne pouvaient y être, pour vous, mais elles y étaient par l’effet ou de ma mauvaise nature, ou de ma sécheresse, ou de mon état de souffrance. Elles en disparaîtront, si j’y puis quelque chose, parce qu’elles sont désagréables à Dieu et parce qu’elles vous font souffrir. Mais sera-ce sur-le-champ? Je ne puis répondre que de ma bonne volonté!

Vous me dites que vous préférez vos défauts aux miens. Je déteste les miens, je crois que vous devez détester les vôtres. Qu’est-ce qu’un défaut aux yeux de Dieu? Et quand un défaut amène une âme au point de désirer de pouvoir aller à Dieu, sans l’aimer, je ne sache pas qu’il y ait lieu de préférer un défaut pareil à quelque autre que ce soit. Pour moi, ma fille, je m’offre bien volontiers à Dieu pour lui porter toutes vos peines, s’il veut vous débarrasser de celles dont je puis être la cause, pourvu que vous deveniez meilleure et que Notre-Seigneur puisse se reposer en vous, comme avec une épouse plus digne de lui.

Je ne sais si je pourrai, de quelque temps, dire des messes à votre intention. Je me suis chargé d’en acquitter gratuitement pour une bonne oeuvre, espérant en céder à plusieurs personnes; et, comme je ne puis m’en défaire, il faut que je me hâte d’accomplir cette obligation. Dès que je pourrai, je vous les rendrai bien vite.

Adieu, ma fille. J’ai bien, je vous l’assure, l’intention d’être pour vous le meilleur des pères. Il me semble que je le suis. Mais vous, de votre côté, laissez tomber une foule d’idées, qui n’ont de réalité que dans vos jugements; ils sont téméraires, et, tout au moins, très faux lorsqu’il s’agit de ce que je suis pour vous et de ce que je veux toujours être.

Adieu, ma fille. Mille fois tout vôtre en Notre-Seigneur.

Notes et post-scriptum
1. D'après une copie. Voir *Notes et Documents*, t. IV, p. 380-382.1. D'après une copie. Voir *Notes et Documents*, t. IV, p. 380-382.