Vailhé, LETTRES, vol.3, p.370

14 sep 1848 Marseille, MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Voyage et séjour à Marseille au sujet d’un futur établissement. -Manière dont il compte procéder.- Séjour à Lavagnac. -Il sent la solitude se faire autour de lui; Dieu en est l’auteur, il n’y a qu’à s’y résigner. -Les affaires matérielles et les dettes sont un grand obstacle au recueillement, elles sont aussi l’épuration des sentiments envers Dieu. -Il ne surexcite pas son âme dans le désir de la perfection, il se contente de dire : *Fiat!* Quoique malade, il pense à elle.

Informations générales
  • V3-370
  • 0+585|DLXXXV
  • Vailhé, LETTRES, vol.3, p.370
Informations détaillées
  • 1 COLLEGES
    1 CREANCES A PAYER
    1 EPREUVES SPIRITUELLES
    1 INFIDELITE
    1 PAUVRETE
    1 PERE DE FAMILLE
    1 RENDEMENT DE COMPTE
    1 REPOS
    1 SANTE
    1 SOLITUDE
    1 SOUMISSION DE L'ESPRIT
    1 VOLONTE DE DIEU
    1 VOYAGES
    2 CART, JEAN-FRANCOIS
    2 EUGENE DE MAZENOD, SAINT
    3 BEAUCAIRE
    3 LAVAGNAC
    3 MARSEILLE
    3 MIDI
    3 MONTPELLIER
    3 NIMES
  • A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS (1).
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • le 14 septembre 1848.
  • 14 sep 1848
  • Marseille,
La lettre

Ma chère fille.

Me voici, depuis quelques jours, à Marseille à courir du matin au soir pour examiner si l’idée de nous fixer ici, de préférence à Nîmes, serait réalisable; et franchement, si nous devons en effet conserver un établissement dans le Midi, Marseille me paraît de beaucoup préférable à Nîmes, à Montpellier et même à Beaucaire. La quantité d’enfants qui nous seraient envoyés serait bien plus considérable ici que partout ailleurs. Plusieurs pères de famille me conjurent avec instance; les Jésuites, s’offrant à aplanir toutes les difficultés auprès de l’évêque d’ici, me proposent un local dont la position est magnifique et mettent toute leur influence à mes ordres pour m’attirer des élèves. Voici comment j’ai procédé. J’ai vu quelques pères de famille, je leur ai dit: « Si vous voulez que je vienne ici, obtenez l’agrément de l’évêque, celui du gouvernement, et aidez-moi de votre crédit pour me procurer des fonds. » Ces Messieurs ont accepté l’idée, et ce sera à eux de parler à l’évêque de Marseille, quand il sera ici, c’est-a-dire dans huit ou dix jours. Je compte me tenir totalement en dehors, afin de ne pas prendre de position fausse à l’égard de mon évêque. Il me sera bien plus facile, plus tard, de lui dire, si l’évêque de Marseille m’encourage: « Pourquoi m’avez-vous constamment contrarié? » Si, au contraire, l’évêque de Marseille n’approuve pas l’idée, comme je ne veux rien faire chez lui, malgré lui, je dirai à mon évêque: « Les pères de famille de Marseille ont tout fait. »

J’ai bien prié pour recommander cette affaire à Dieu. Il en sera ce qu’il jugera convenable; je reste, pour ma part, dans une complète tranquillité!

Lavagnac, le 16 septembre.

Depuis que j’ai commencé cette lettre, j’ai fait du chemin. Je vous écrivais de la maison des Jésuites; aujourd’hui, me voilà à Lavagnac, où je vais tâcher de prendre un repos qui m’a toujours fait du bien. J’ai trouvé, en passant à Nîmes, votre lettre du 8 septembre. Vous êtes bien bonne de tant vous préoccuper sur mon compte. A quoi bon? Vous souffrirez sans me guérir. Si Dieu veut que je souffre et que je sois brisé, il me semble que j’accepte avec assez de soumission, quoique, par moments, certaines perspectives me bouleversent bien fort. Je sens la solitude se faire autour de moi. Mais pourquoi me plaindre? Je n’ai que ce que je mérite. Vous dites que vous ne me voudriez pas dans cet état. C’est possible, mais comme je ne crois pas m’y mettre volontairement, il faut bien subir les épreuves ou les justes châtiments de Dieu. L’essentiel c’est d’en bien profiter. Quant à la souffrance, c’est Dieu qui l’impose et c’est lui qui en affranchit, et ce n’est pas à nous à lui dire: « Pourquoi me l’envoyez-vous? » A côté de grands éléments de succès, je rencontre sur ma route bien des éléments d’opposition, sans parler de moi qui suis le plus grand. Sans doute, comme ç’a toujours été ma conviction profonde, une pareille pensée ne doit pas arrêter, quand on a la foi; mais, croyez-le, elle est souvent bien lourde.

Mais de quoi vais-je vous parler? Je voulais ne causer que de vous. J’attends toujours votre rendement de compte qui n’arrive pas; du moins, ne l’ai-je pas reçu.

Vous avez bien raison de dire que les affaires matérielles sont un grand obstacle au recueillement, à moins qu’on ne puisse les dominer, car alors elles deviennent un moyen. Quelle admirable manière de pratiquer la pauvreté que de se mettre aux pieds de Notre-Seigneur avec ses dettes, surtout quand on ne les a faites que pour lui! Comme on peut épurer, par l’acceptation de tout le froissement qu’elles causent, la satisfaction que l’on a pu éprouver en se croyant généreux dans ses dons! Hélas ma fille, que faisons-nous en donnant à Dieu? Et si nous nous endettons pour lui, n’est-il pas juste d’expier notre imprudence, s’il y en a eu de notre part?

Vous semblez croire que je surexcite mon âme dans le désir de la perfection. Je crois bien plutôt qu’elle est tellement à bas et à plat que, pour le moment, la surexcitation est bien loin d’elle. Je me contente de dire à Dieu: Fiat! Quant à me changer dans l’état présent, ce n’cst guère possible; au moins cela ne dépend-il pas de moi. Ce que peut faire ma volonté, c’est de se soumettre et de rester le plus amoureusement soumise sous la main de Dieu. Mais faire autre chose? A quoi bon? Il faut laisser passer cette bourrasque, en prenant bien garde de ne pas trop subir d’avaries. Dieu sait où il me mène; car, après tout, je ne me reproche pas l’état où je suis, mais bien les infidélités dont je me rends coupable dans un pareil état.

Vous auriez tort de croire que mon coeur soit en contrainte avec vous; il serait plutôt un peu en sécheresse. Mais, pour ceci, je ne pense pas que ce soit tout à fait ma faute. Dieu sait ce que je vous suis et surtout ce que je voudrais être pour vous. Je vous conjure de vous soigner, et, pour vous prêcher d’exemple, je vais m’arrêter. J’ai un assez fort mal de gorge, et écrire m’y fait porter le sang. Je m’arrête en vous demandant des prières. Pour moi, je ne vous oublie certes pas. Adieu. Je vais me jeter un moment sur mon lit.

Notes et post-scriptum
1. D'après une copie. Voir *Notes et Documents* t. IV p. 254 sq., 386-388.1. D'après une copie. Voir *Notes et Documents* t. IV p. 254 sq., 386-388.