Vailhé, LETTRES, vol.3, p.377

26 sep 1848 Lavagnac, MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Sa honte de s’être laissé aller à l’accablement et sa disposition actuelle d’accepter tout ce que Dieu veut. -Au lieu qu’il lui soit un appui, c’est elle qui le soutient. -Ses affaires ne sont pas en meilleur état mais il espère. -Il accepte ces croix-là non seulement avec résignation, mais avec amour. -Il n’ira s’établir ni à Marseille ni à Paris, malgré tous ses désirs: ce n’est pas le moment.

Informations générales
  • V3-377
  • 0+588|DLXXXVIII
  • Vailhé, LETTRES, vol.3, p.377
Informations détaillées
  • 1 ACCEPTATION DE LA CROIX
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 EPREUVES SPIRITUELLES
    1 FETES DE MARIE
    1 FORMATION A LA VIE RELIGIEUSE
    1 LACHETE
    1 PRIERE A LA SAINTE VIERGE
    1 VOLONTE DE DIEU
    2 EUGENE DE MAZENOD, SAINT
    2 FENELON
    2 MICHEL, ERNEST
    3 MARSEILLE
    3 PARIS
    3 PEZENAS
  • A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS (1).
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • le 26 septembre 1848.
  • 26 sep 1848
  • Lavagnac,
La lettre

J’ai reçu votre lettre avant-hier soir; mais, comme je devais passer hier la journée dehors, il m’a été impossible de vous répondre. J’ai encore été, aujourd’hui, dérangé par une visite et il me faudra faire jeter ma lettre à la poste de Pézenas, si je veux qu’elle vous parvienne vingt-quatre heures plus tôt.

Je vous avoue que je suis un peu honteux d’avoir laissé voir tant d’accablement ou plutôt de m’y être tant laissé aller. Il en sera ce que Dieu voudra. Je vais me mettre à faire de mon mieux, et puis je laisserai à Notre-Seigneur le soin de tout arranger ou de tout détruire; non par fatigue ou découragement, mais par une résolution que je cherche à rendre la plus amoureuse possible de vouloir absolument ce qu’il veut, tout ce qu’il veut et rien que ce qu’il veut; comprenant que des raisons subsistent en moi de faire échouer les meilleures choses et combien Notre-Seigneur doit m’avoir à dégoût, à cause de la lâcheté de mes services.

Ainsi, tandis que j’aurais dû vous soutenir et vous encourager, je laisse intervertir les rôles; non pas que j’en sois peiné, parce que vous vous montrez plus courageuse que moi, mais parce que les choses ne se devraient pas passer ainsi, ce semble, selon l’ordre de la volonté de Dieu. Je devrais vous être un appui, un soutien, si vous vous sentiez faible comme moi; je devrais vous forcer à tirer tout le fruit possible de l’état même de vos affaires, si vous persévériez dans cette disposition peu chrétienne à laisser aller toute chose au pire, et je ne suis bon à rien. Hélas! ma fille, ce m’est une grande honte de sentir que je ne suis pas pour vous ce que je devrais être et que je suis, au contraire, un sujet peu édifiant de réflexions, par la manière dont je prends les épreuves que Dieu m’envoie.

Mes affaires ne sont pas dans un meilleur état, mais j’ai tant prié la Sainte Vierge, le jour de sa fête de la Merci, de me donner aide et secours, non pas pour arracher les prisonniers au joug des mahométans, mais les enfants chrétiens aux musulmans universitaires, que j’espère qu’elle m’exaucera. Je souffrirai peut-être beaucoup, mais j’espère que cette bonne Mère me rendra favorables les gens dont j’aurai besoin, puisque enfin ce sera son oeuvre.

En lisant un passage de Fénelon qui m’est tombé par hasard sous les yeux, j’ai été frappé d’une distinction qu’il établit entre les croix acceptées avec résignation et les croix acceptées avec amour. Il me semble que je ne veux pas y mettre de la résignation seulement, mais je sens que j’aime bien peu. Cependant, je suis plus calme; j’ai même un certain bonheur à accepter par avance ta pensée que Dieu me demandera peut-être la destruction de l’Assomption, et toutes les humiliations et douleurs qui en suivront pour moi. Je me sens résolu à tout faire pour l’empêcher, parce que Dieu le veut, mais toujours dans cette pensée: En quoi que ce soit, il ne faut vouloir que ce que Dieu veut et n’aimer que ce qu’il aime, et dans la mesure qu’il l’aime, et par les motifs pour lesquels il l’aime. Ainsi, en se faisant porter par la volonté de Dieu et son amour, on n’a plus qu’à chercher, autant qu’on en est capable, ses volontés particulières. Et ici elles me semblent évidentes. Il y a encore à chercher à les assouplir, selon sa capacité, et c’est là le point difficile. Mais Dieu est si bon!

Votre position étant assez analogue à la mienne, ne croyez-vous pas que ce soit là la disposition où vous devez chercher à vous mettre, comme je le cherche moi-même?

Mais j’ai à vous parler d’autre chose. Je ne crois pas aller à Marseille, et, dans tous les cas, je n’y irai qu’autant que les embarras matériels seraient laissés de côté(2). Quant à Paris, il me semble que je dois tenir compte de mes impressions. Or, rien ne m’y pousse; ce qui est d’autant plus extraordinaire que mes goûts, et, ce qui est plus que mes goûts, vous, vous m’y attireriez davantage. C’est là ce que je ne puis m’expliquer. Mais il m’est impossible de consulter Notre-Seigneur sans entendre, il me le semble du moins, cette réponse: « Le moment n’est pas venu. » Si l’oeuvre à laquelle je me consacre n’est pas une chimère, cela viendra plus tard, mais pas encore. Croyez-le bien, je ne suis pas encore assez mûr pour commencer à former des hommes. Ce que je fais, ce sont des essais. L’oeuvre viendra plus tard. Tel est le bon plaisir de Dieu. Ma conviction est sur ce point inébranlable.

Avez-vous causé avec M. Michel? Que vous seriez bonne de lui demander un oui ou un non! On attend pour ma lettre; je vous laisse. Tout vôtre en Notre-Seigneur.

Notes et post-scriptum
1. D'après une copie. Voir *Notes et Documents*, t. IV, p. 388 sq.1. D'après une copie. Voir *Notes et Documents*, t. IV, p. 388 sq.
2. Le 15 octobre 1848, le P. d'Alzon écrivit à Mgr de Mazenod, évêque de Marseille, au sujet de cet établissement scolaire. Dans sa réponse du 24 octobre, l'évêque déclina cette fondation qui pouvait porter préjudice à son Petit Séminaire; il l'aurait accordée malgré cet inconvénient, si le pensionnat de Nîmes avait été fermé par l'Etat.