Vailhé, LETTRES, vol.3, p.568

3 apr 1850 Valbonne, MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Besoin qu’il ressent de se reposer de toutes choses en Dieu et de le laisser tout faire en lui. -Retraite qu’il fait faire à neuf élèves. -Sa disposition à ne s’appuyer que sur Dieu. -On a beaucoup à dire à Notre. Seigneur, lorsqu’il ne nous parle pas. -Il faut se déprendre de son propre coeur, pour que Notre-Seigneur y dispose tout dans l’ordre de notre sanctification. -Pour cela, force est de se donner au sacrifice. -Autres conseils spirituels. -Nouvelles diverses. -La mission du Cap. -Au sujet de la fondation de Paris.

Informations générales
  • V3-568
  • 0+684|DCLXXXIV
  • Vailhé, LETTRES, vol.3, p.568
Informations détaillées
  • 1 ACTION DE DIEU DANS L'AME
    1 CONFESSION SACRAMENTELLE
    1 FATIGUE
    1 FONDATION DES ASSOMPTIONNISTES
    1 GENEROSITE
    1 MISSION DU CAP
    1 MOIS DE MARIE
    1 ORAISON
    1 PAIX DE L'AME
    1 PARESSE
    1 PROVIDENCE
    1 REFORME DU COEUR
    1 RETRAITE SPIRITUELLE
    1 SALUT DES AMES
    1 SOLITUDE
    1 VIE DE SACRIFICE
    2 CHARAIX, CHARLES MORE DE
    2 COURTOIS, ALBERT DE
    2 DEVEREUX, AIDAN
    2 GAY, CHARLES-LOUIS
    2 LAGARDE, JOSEPH
    2 SERRES, LOUIS-AMBROISE-GUSTAVE DE
    3 NIMES
    3 PARIS
    3 VALBONNE
  • A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS (1).
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • le 3 avril 1850.
  • 3 apr 1850
  • Valbonne,
La lettre

J’ai là quatre lettres de vous, ma chère fille; je vais essayer de répondre à tout ce que je ne vous ai pas dit dans les quelques mots que je vous ai adressés depuis quinze jours. Je le fais d’autant plus volontiers, de cette retraite, que le bon Dieu me semble vouloir que j’aille toujours vers les âmes avec une plus grande suavité, et vous savez bien que s’il en est une pour qui je désire être meilleur, c’est la vôtre. Je ne sais si c’est l’effet de mes dispositions physiques, de la fatigue que j’éprouve, mais à côté d’un grand besoin de me reposer tout à fait et de toutes choses en Dieu, je sens un grand désir de tout faire pour lui et de laisser faire par lui toutes choses en moi. Dieu permettra, je l’espère, que cette disposition dure au delà de ces jours- ci.

Je me sens aussi très confus de mon peu d’esprit d’oraison et de mortification; mais je ne m’en tracasse pas beaucoup. Mon effort va à conclure, de mon impuissance et de ma misère, à la toute-puissance et à la toute-bonté de Dieu, qui me prend comme je suis et, avec mes misères, peut, s’il le veut, faire de moi un vase d’élection. Je ne fais pas à proprement parler de retraite, je la fais faire à neuf enfants, dont les plus âgés sont ceux qui la font le moins bien; les autres sont de vrais petits anges, sérieux, sans affectation et réellement pénétrés de ce qu’ils font.

Mais j’en reviens à vous. Vous ne voudriez pas que ce fût seulement pour vous faire du bien que je vous parle de moi; vous avez raison. Mais je dois vous avouer qu’il y a des moments, où Notre-Seigneur me semble me demander de ne recevoir du bien que de lui. C’est comme une jalousie de sa part, à laquelle il faut bien céder. Mais soyez sûre que, si je demande appui à quelqu’un, c’est bien à vous, et, quand je ne vous le demande pas, ne craignez pas que j’aille en demander à d’autres. Du reste, cette disposition que j’ai de ne m’appuyer que sur Dieu me semble ne pas durer toujours; mais il faut, je le crois du moins, en suivre l’impulsion. Il me semble toujours que, si je laissais Dieu plus maître de mon âme, il y ferait plus et mieux que ce qui s’y trouve, et vraiment j’espère arriver un jour à un désir solide de la sainteté.

Vous avez bien raison de trouver qu’il y a beaucoup à dire à Notre-Seigneur, lorsqu’il ne nous parle pas; d’autant plus que c’est lui qui nous dicte par son esprit ce que nous avons de mieux à lui dire en lui demandant, en le remerciant, en l’adorant, en l’aimant. Frappez donc toujours, comme vous l’avez fait, à sa porte; c’est ce qu’il y a de plus sûr. Comment se fait-il que Dieu vous ait destinée à la vie active, malgré votre goût pour la solitude? C’est que ce goût de solitude est un préservatif contre le danger de l’activité de votre vie. Ce goût, en vous faisant éprouver de la fatigue dans certaines rencontres, vous force a retourner à votre centre, qui est Dieu; et c’est là, ce me semble, une bien grande grâce.

Je vous félicite bien sincèrement d’être enfin déprise de l’estime que vous faisiez de votre coeur. Que de douleurs vous eussiez évitées, si vous eussiez été toujours en ce désenchantement! Dieu vous conserve vos dispositions actuelles! Elles seront pour vous la source d’une bien grande paix, si vous vous y affermissez. Quant à ce qui me concerne, ma fille, vous savez ce que vous m’êtes; et si Dieu voulait jamais que vous souffrissiez de mon côté, il faudrait que je visse sa volonté bien claire pour porter la main à quelque chose d’aussi délicat. Mais j’espère que, s’il y a quelque réforme à faire, ce sera le très pur amour de Notre-Seigneur qui descendra dans votre coeur pour arranger, combiner et améliorer toutes choses selon son bon plaisir, dans l’ordre de sa gloire et de votre sanctification.

Vous avez raison. Il faut que votre coeur s’épanouisse, mais dans l’esprit de sacrifice. Il faut que vous vous y portiez désormais avec une ardeur toute nouvelle, mais avec paix; n’en donnant pas plus qu’on ne vous en demande chaque jour, mais donnant, avec toute la générosité dont vous êtes capable, tout ce qu’on vous demande et sans hésiter. Je ne demande pas mieux que de vous aider à attaquer la paresse, mais il me semble que M. Gay, qui vous suit de plus près, peut vous y aider beaucoup. Si vous croyez utile que nous nous y mettions tous les deux, je suis tout à vos ordres.

Je viens de lire vos résolutions de retraite. Je les trouve bonnes et je suis content que vous les envoyiez. Cette disposition de charité me paraît très utile pour vous, et je tâcherai d’en faire mon profit. Pourquoi ne nous mettons-nous pas ainsi plus constamment dans ce travail à deux pour notre sanctification? Il me semble bien que nous nous y mettons quelquefois, mais pas autant que ce serait possible, si nous le voulions bien. Ne vous inquiétez pas trop de la facilité moins grande que vous pouvez avoir à l’oraison. Ce sont là des épreuves très utiles après une retraite. Je trouve une raison, au contraire, de travailler avec plus d’ardeur à entrer dans cette vie d’oraison si nécessaire à une supérieure.

Le 5 avril.

J’ai été empêché hier de continuer ma lettre, parce que le prieur a voulu absolument envoyer nos enfants à une course qui nous a pris neuf heures, sur lesquelles nous n’avons pas eu, en diverses reprises, une heure pour nous reposer. Le bon Père prétendait que les enfants ne doivent pas être traités comme les grandes personnes. Avec cela, je me suis opposé aujourd’hui à une promenade, moins longue il est vrai, mais qui eût pris quatre ou cinq heures. Je suis si mal monté en papier et en encre qu’il faut que vous m’excusiez de vous écrire ainsi. L’aventure de la novice anglaise devra nous servir de leçon pour ne plus envoyer dans les missions que des professes. Je vais, dès mon retour à Nîmes, écrire à l’abbé de Serres(2) au sujet de la Propagation de la Foi. Je serais enchanté de vous être bon à quelque chose, et j’espère ne pas vous être inutile dans cette circonstance. Peut-être feriez-vous bien de faire un mémoire sur votre mission. En attendant la lettre de l’évêque, il me semble que plus que personne vous avez des droits à réclamer des fonds, comme Supérieure générale des religieuses qui sont au Cap.

Je suis bien aise de tout ce que vous me dites de M. Lagarde(3). S’il est ce que vous assurent les personnes qui vous en ont parlé, je serai enchanté de le prendre. Merci de votre charité pour le jeune de Courtois. Cet enfant a bien grand besoin qu’on le surveille et qu’on le dirige. Je vous remercie également de vos recherches pour une maison. La Providence manifestera sa volonté par l’acceptation ou la non-acceptation de l’abbé de Charraix. S’il ne peut venir, il faut évidemment renvoyer à un an; et Je vous avoue que je suis bien moins rassuré que vous sur l’avenir de Paris, et je préférerais aller à la campagne, si ce n’était le désir que j’aurais d’être plus rapproché de vous autres. Je ne voudrai aller à Paris qu’en juin, parce que je me propose de prêcher le mois de Marie à mes enfants, qui vont assez bien maintenant, mais que je tiens à entretenir dans de bonnes dispositions, surtout dans la supposition que l’an prochain je serai moins avec eux.

Je m’arrête, ma chère fille, parce que mes morveux me prennent un temps énorme. Nous finissons demain et il faut que je confesse ceux qui ne se sont pas adressés au Père prieur.

Adieu, ma fille. Croyez-moi tout vôtre, comme je le suis et le sens tous les jours avec un coeur plus dévoué.

Notes et post-scriptum
1. D'après une copie.
2. Son cousin, qui était secrétaire du cardinal de Bonald, archevêque de Lyon.
3. Professeur de mathématiques, qui enseigna quelque temps à Nîmes.