Vailhé, LETTRES, vol.3, p.572

21 apr 1850 Nîmes, MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Questions et réponses. -Au sujet d’une novice qui désire revenir. -Ses idées actuelles sur un habit religieux. -Recommandation pour le poste de consul pontifical à Marseille. -Préparation d’une postulante. -Sur sa santé. -Dieu suffit et toute créature doit s’éloigner pour laisser la place à Dieu seul.

Informations générales
  • V3-572
  • 0+685|DCLXXXV
  • Vailhé, LETTRES, vol.3, p.572
Informations détaillées
  • 1 ACTION DE DIEU
    1 ACTION DE DIEU DANS L'AME
    1 ARCHITECTURE SACREE
    1 CAMAIL
    1 CONFESSEUR
    1 COUVENT
    1 DIEU CENTRE DE LA VIE SPIRITUELLE
    1 DIPLOMATIE
    1 DISTRACTION
    1 DOT
    1 HABIT RELIGIEUX
    1 MANQUEMENTS A LA REGLE
    1 MATIERES DE L'ENSEIGNEMENT ECCLESIASTIQUE
    1 MOIS DE MARIE
    1 OFFICE DIVIN
    1 ORAISON
    1 SAINTE VIERGE
    1 SANTE
    1 TIERS-ORDRE FEMININ
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    1 VOLONTE DE DIEU
    1 VOYAGES
    2 ALTIERI, LODOVICO
    2 AUTRAN, EUGENE
    2 BARAGUEYS d'HILLIERS, ACHILLE
    2 CARBONNEL, MARIE-VINCENT
    2 CAZALES, EDMOND DE
    2 CHARAIX, CHARLES MORE DE
    2 CHESNEL, RENE-VITAL
    2 DAMREMONT, MADAME CHARLES DE
    2 DEVEREUX, AIDAN
    2 EUGENE DE MAZENOD, SAINT
    2 EVERLANGE, MARIE-EMMANUEL D'
    2 FABRE, JOSEPHINE
    2 LEEDS, DUCHESSE DE
    2 O'NEILL, THERESE-EMMANUEL
    2 SERRES, LOUIS-AMBROISE-GUSTAVE DE
    3 ABOUKIR
    3 CAP, LE
    3 ETATS PONTIFICAUX
    3 MARSEILLE
    3 PARIS
  • A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS (1).
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • le 21 avril 1850
  • 21 apr 1850
  • Nîmes,
La lettre

Ma chère fille,

Je vous remercie de votre bonne lettre du 16, que je reçois à l’instant. Je dois vous faire quelques questions, avant de répondre à tout ce que vous m’y dites.

1° Cet abbé Chesnel tient-il beaucoup à M. de Cazalès? Nous aurons besoin d’un professeur de théologie, et on le dit très capable. S’il se dégoûtait des incertitudes du Précieux-Sang(2), ne pourrait-il pas nous venir?

2° N’y aura-t-il pas moyen d’engager Soeur Th[érèse]-Em[manuel] à attendre jusqu’à la première semaine de juin? Très sûr, à cette époque, je serai à Paris. Pourtant je ne voudrais pas trop la retarder, surtout si son voyage est subordonné à une promesse faite à la duchesse de Leeds.

3° Pensez-vous réellement que Soeur Marie-Vincent vous revienne jamais? Elle m’a écrit fort longuement pour m’annoncer que son voyage était indéfiniment ajourné. Je vous avoue que, pour mon compte, si vous me demandez mon avis, je m’opposerai très fortement à ce qu’elle vous arrive jamais. J’aimerais mieux la retenir ici pour un Tiers-Ordre qui vous donnerait la possibilité d’y arriver un jour. Je trouverais, au contraire, le plus grave inconvénient à ce qu’elle donnât le très mauvais exemple, selon moi, d’une fille qui, pressée par ses supérieurs de retourner dans son couvent, préfère suivre l’avis du tiers et du quart, et traîne en longueur de la façon la plus ridicule. Si vous agissez autrement, je ne vous en blâmerai pas, parce que je crois qu’il faut que je me défie quelquefois de mes impressions; mais, pour le coup, mon opinion est à mes yeux très claire et très nette. Je trouve qu’une maison naissante ne doit pas avoir l’air si honorée de ce qu’il plaît à une vieille fille de lui porter, après mille tergiversations, ses écus; et le monde dirait, ici, ce que je dis de cette pauvre Soeur Marie-Vincent. Il y a un siècle que je ne l’ai vue. On lui a conseillé d’aller trouver un autre confesseur, ct je l’ai laissée faire. Quand je serai à Paris, je soumettrai quelques réflexions que cette affaire m’a suggérées.

Maintenant, j’en reviens à moi, après toutefois vous avoir fait observer que je tiendrais bien à trouver parmi mes futurs religieux un architecte, et un bon architecte. Enfin, je veux vous dire à l’avance nos idées pour notre costume. Les voici. La robe violette, avec la croix par devant, le camail violet, doublé de blanc, même dans le capuchon, comme les Dominicains. Voilà pour la tenue ordinaire. Pour sortir, un manteau noir couvrant tout, et, pour le choeur, un manteau blanc et un camail blanc. Ce costume de choeur pourrait être réservé soit pour la communion, soit pour les dimanches et fêtes un peu plus solennelles; où bien on pourrait le laisser dans l’avant-choeur et le mettre, comme les chanoines, sauf pourtant pour les Petites-Heures, où il me semble que le camail blanc suffirait bien.

J’attends que vous me disiez d’écrire à l’abbé de Serres Pour lui parler de l’évêque du Cap. On me donne à l’instant une commission. Pourriez-vous vous en charger? Depuis deux ans, M. Eugène Autran, de Marseille, homme très bien posé dans le haut commerce de cette ville, a sollicité la place de consul général des Etats pontificaux pour Marseille. Ce poste est vacant par la maladie prolongée du titulaire. M. Autran est appuyé par l’évêque, par le cardinal Altieri, etc. Pourriez-vous le faire recommander au général Baraguay-d’Hilliers(3)? C’est un parfait honnête homme, très capable. Je tiendrais extrêmement à ce que l’affaire réussit. Je vous assure que je vous serais reconnaissant si, par Mme de Damrémont, vous pouviez obtenir que le général Baraguay-d’Hilliers en parlât un peu chaudement. Il faudrait se hâter si vous y pouvez quelque chose. A part l’intérêt très grand que je porte à M. Autran et à toute sa famille, vous comprenez que je serais assez aise d’avoir le consul romain à Marseille un peu dans ma manche. Puis, franchement, je connais M. Autran depuis longtemps déjà et je le sais très capable et très honnête. Enfin, sa position le met en tête du commerce de Marseille, quoiqu’il ait un peu souffert comme tout le monde des derniers événements.

Je vous ménage un peu de loin une nouvelle postulante. C’est une fille de vingt-quatre ans, qui ne pourra, il est vrai, venir tout de suite, Tête un peu vive, mais un coeur d’or et un bon sens étonnant, pas beaucoup d’intelligence, mais une raison étonnante, quand quelque chose ne la détraque pas. Parlez à Soeur Marie-Emmanuel de Joséphine Fabre. Elle vous apporterait un jour, je crois, une centaine de mille francs. Toutefois, si vous en parlez à Soeur Marie-Emm[anuel], recommandez-lui le secret.

Mais il faut vous quitter. Je mets sur l’autre page quelque chose qui vous concerne et me concerne aussi. Adieu, ma fille. Mille fois à vous en Notre-Seigneur.

E. d’Alzon.

Maintenant, que je vous parle un peu de ce qui me concerne. Je sens bien que Dieu m’attire, mais que je réponds peu à son appel. Tout m’est un obstacle. Lorsque je me regarde avec ces troubles, ces émotions que le moindre choc fait subir à ma vanité, je me demande comment je pourrai jamais être quelque chose entre les mains de Dieu. Puis, cette santé qui ne va pas. J’ai envie de prier la Sainte Vierge de permettre, pendant le mois de mai, que je fasse absolument tous mes exercices sans prendre la moindre dispense, afin que je puisse juger par là si la volonté de Dieu est que je me soigne ou non. Si je suis souffrant au bout du mois, ce me sera une preuve définitive que je dois me ménager; si, à ce terme, je me porte bien, j’en conclurai que je dois aller en avant. Car je ne puis me dissimuler que ces continuels ménagements que je m’impose donnent de terribles entorses à la règle dont l’exemple ensuite est on ne peut plus funeste. C’est pour cela que je ne sais si Dieu veut que je donne l’exemple d’un relâchement très facile à imiter, ou si je dois, au contraire, faire ce qui m’est prescrit par la règle. Je vous conjure de bien prier Notre-Seigneur et la Sainte Vierge, pendant le mois de mai, afin que je voie bien clairement ce qu’il y a de mieux à faire. Pour ma part, je commence à croire que tout ce que j’éprouve est purement rhumatismal, et, dès lors, que je ne dois pas tant m’en préoccuper. Quelque peu de patience suffirait à tout arranger et je pourrais, malgré ces souffrances, être exact à tout. Enfin, comme ici il y a pour moi incertitude sur ce qu’il y a de mieux à faire, je ne crois pas être imprudent en priant la Sainte Vierge de m’éclairer et de me faire connaître la volonté de Dieu.

Tout ce que vous me dites dans votre lettre est parfait. Mais quand je suis au point que je vous ai dit dans ma précédente lettre, je ne sais pourquoi aucune parole humaine ne peut rien sur ma pauvre nature. C’est entre Dieu et moi. Et ce que je dis là est bien orgueilleux, mais c’est ainsi. Dieu ne doit-il pas suffire, et toute créature ne doit-elle pas s’éloigner pour laisser place à Dieu seul? Dieu alors peut frapper, peut être sévère, mais enfin c’est lui. Ceci ne dure peut-être pas toujours assez, mais il me semble que, quand cela vient, il faut laisser Dieu et Dieu seul agir. Je ne sais comment j’ai le courage de dire ceci, avec toutes les distractions que j’ai à l’oraison. Mais enfin voilà le résultat, c’est qu’il faut que je cherche Dieu au-dessus de toute créature. Ce n’est pas un système, c’est une impression, peu agréable, très sentie, mais très claire par moments. Que pensez-vous de cette disposition?

E.D'ALZON
Notes et post-scriptum
1. D'après une copie.
2. Un Institut que l'abbé de Cazalès essayait de fonder.
3. Alors ministre des Affaires étrangères.