Touveneraud, LETTRES, Tome 1, p.3

4 jan 1851 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Avec Dieu il faut aller tout droit et ne pas chercher à se reprendre par quelque bout. – Nos années passées ne sont pas pleines, c’est parce qu’il y manque l’esprit de Notre-seigneur. Nécessité de réparer le temps perdu. – Dans la direction il faut surtout voir les âmes, car Jésus-Christ regardait moins à lui qu’aux hommes qu’il venait sauver. – Projet pour la maison de Paris. – Mort de l’oncle Faventine

Informations générales
  • T1-003
  • 1
  • Touveneraud, LETTRES, Tome 1, p.3
  • Orig. ms. ACR, AD 744, D'A., T.D. 21, n. 1, pp. 1-3
Informations détaillées
  • 1 AMOUR-PROPRE
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 DESINTERESSEMENT DE L'APOTRE
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 ECOLES
    1 EFFORT
    1 EMPLOI DU TEMPS
    1 ESPRIT CHRETIEN
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 JESUS-CHRIST MODELE
    1 PENITENCES
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 RENDEMENT DE COMPTE
    1 UNION A JESUS-CHRIST
    1 ZELE APOSTOLIQUE
    2 BRETON, GERMAIN
    2 BRUN, HENRI
    2 CARDENNE, VICTOR
    2 COMBALOT, THEODORE
    2 FAVENTINE, JEAN-MAURICE DE
    2 GERMER-DURAND, EUGENE
    2 GIRARDIN, ABBE DE
    2 LA MARDIERE, JEANNE-MARIE DE
    2 LAFRANCE, JEAN
    2 LOVAT, ALICE
    2 MONNIER, JULES
    2 MOREAU, ABBE
    2 PATRIZI, MADDALENA
    2 PAUL VI
    2 PEROUSE, JEANNE-MARIE
    2 PICARD, FRANCOIS
    2 POINSENET, MARIE-DOMINIQUE
    2 SAGE, ATHANASE
    2 SAUGRAIN, HIPPOLYTE
    2 TISSOT, PAUL-ELPHEGE
    2 VERMOT, ALEXANDRE
    3 ANGLETERRE
    3 PARIS
    3 VIGAN, LE
  • A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • le 4 janvier 1851.
  • 4 jan 1851
  • Nîmes
  • Maison de l'Assomption
La lettre

J’avais cru d’après votre dernière lettre, ma chère fille[1], que vous partiez pour l’Angleterre, le lendemain du jour de l’an, et je m’étais hâté de vous écrire dans la pensée que ma lettre ne vous trouverait plus à Paris. Je regrette de m’être trompé dans mes calculs, puisque vous aurez attendu inutilement une réponse. Je reçois votre rendement de compte et je vais essayer de vous dire ce que j’en pense.

Il me semble que vous êtes, en tout ceci, dans l’état d’une personne qui n’a pas encore entièrement pris son parti d’être toute à Dieu ou qui, du moins, après s’étre donnée, cherche à se reprendre par quelque bout. Or, avec Dieu il faut aller tout droit. Aussi suis-je bien aise de vous voir, en fin de compte, ne vouloir autre chose que Jésus.Ah! si vous saviez vous en bien tenir la! Si vous pouviez le bien voir en toutes choses! Puisque vous avez senti son heureuse impression, écoutez-le bien et suivez-le quocumque ierit.[2] Que vous gagneriez, ma chère enfant, si cette année était consacrée à lui assurer d’une manière définitive la conquête de tout votre coeur! Je vous promets bien de faire tout ce qui dépendra de moi pour vous l’assurer. Mais que de dépouillements, que de renoncements, que de sacrifices n’aurez-vous pas à faire! Les quatorze années, que vous regrettez de voir si peu pleines, sont en effet une perte bien grande, et c’est ce que je me dis tous les jours pour ce qui m’est personnel. Que n’eussions-nous pas fait avec un peu plus d’esprit de Notre-Seigneur? Eh bien! ma bonne fille, ce que nous n’avons pas fait, il faut que nous le fassions et que nous réparions le temps perdu. Prenons-en la résolution ferme et solide et voyons qui des deux saura la mieux tenir. Plus nous nous pénétrerons de l’esprit de Jésus-Christ, plus il faudra renoncer à notre esprit propre, à nos idées personnelles, pour voir toutes choses comme Dieu lui-même les voit. Il me semble bien que j’en ai quelque envie. Vous m’y aiderez, comme je vous aiderai, à mon tour.

Je vous le répète, vous n’avez plus à vous préoccuper de me faire de la peine en me disant ce qui se passe au fond de votre âme contre moi. Cela m’a fait beaucoup souffrir dans le temps, mais je crois en être devenu maître. Il faut espérer que, quand même j’en souffrirais encore, vous ne vous en apercevriez plus. Au moins y mettrai-je tous mes efforts, car enfin il est question de vous et non pas de moi, et il me semble que Notre-Seigneur ne regardait pas tant à lui, mais bien plus aux hommes qu’il venait sauver. Ce sera donc dans l’imitation la plus parfaite possible de Notre-Seigneur que vous et moi, ma chère fille, nous placerons notre paix et que nous chercherons le modèle de ce que nous devons être réciproquement.

Depuis que cette lettre est commencée, j’ai eu une longue conversation de ce que nous appelons la réunion des sept[3], et le résultat a été que, l’ an prochain, je mènerai à Paris MM. Cardenne, Hippolyte et Picard, ce qui, avec M. Tissot, formera un noyau.[4] Mais cela n’est pas suffisant. Il me faut toujours quelqu’un à présenter aux parents, et ce quelqu’un je ne le trouve pas encore. Le trouvez-vous? Le voyez-vous? Quelquefois il me vient à la pensée que l’abbé de Girardin, qui s’occupe tant de bonnes oeuvres, pourrait trouver quelque avantage à former des enfants et à les préparer à faire de bonnes oeuvres un jour. Que penseriez-vous, comme sous-directeur pour le dehors, de l’abbé Moreau, supposé qu’il voulût nous venir? Hippolyte a assez de fermeté pour le tenir dans l’intérieur de la maison.

Vous ai-je dit que je viens de perdre un oncle,[5] frère de ma mère? On l’a trouvé mort dans son cabinet. Heureusement, il se confessait depuis quelque temps! Cela m’a forcé à quelques courses et m’obligera probablement d’aller au Vigan faire quelques arrangements de famille. C’est ce qui doit me faire renoncer, pour à présent, à mon voyage d’Angleterre. Puis, pour toute dire, jusqu’au 15 mars, je vais tirer un peu le diable par la queue. Adieu, bien chère fille. Je vous souhaite beaucoup de paix, et je la demande pour vous à Notre-Seigneur avec le coeur le plus paternellement dévoué.[6]

E. D'ALZON
Notes et post-scriptum
1. Mlle Anne-Eugénie Milleret (1817-1898), béatifiée le 9 février 1975, avait inauguré, sous la direction de l'abbé Combalot, le 30 avril 1839, la fondation à Paris des Religieuses de l'Assomption et pris le nom de Soeur Marie-Eugénie de Jésus. Quand le co-fondateur se retira, le 3 mai 1841, la jeune fondatrice éprouva le besoin de se donner un directeur spirituel et un conseiller religieux. Avec l'agrément de l'abbé Combalot, elle choisit l'abbé d'Alzon, le 16 juillet 1841. Après quelques années de direction et de collaboration, Mère Marie-Eugénie de Jésus fit, le 24 avril 1846, voeu d'obéissance au P. d'Alzon, et lui-même, le 8 septembre, émit le voeu de se consacrer à la perfection de sa dirigée. En 1849, la fondatrice avait inauguré la mission du Cap, et en 1850, une implantation à Richmond en Angleterre.Au début de 1851, elle est en partance vers cette fondation.
3. Il s'agit d'un conseil restreint des maîtres de la Maison de l'Assomption que le P. d'Alzon appelait, en 1848, le conseil de six et, en 1849, le conseil des sept: lui-même, le P. Tissot, les FFr. Victor Cardenne et Hlippolyte Saugrain, les tertiaires laïcs Monnier et Germer-Durand, et l'abbé Henri Brun.
4. Les FFr. Victor Cardenne (cf. lettre 23, note 5) et Hippolyte Saugrain (cf. lettre 17, note 3), furent deux des cinq premiers profès de l'Assomption, le 25 décembre 1850. - Le Fr. François Picard (cf. lettre 11, note 2) fut le premier élève de l'Assomption à devenir religieux, le 25 décembre 1851.
Le P. Paul Tissot (1801-1895), originaire de Lyon et prêtre depuis 1825,avait tenté de rénover le pensionnat de l'Assomption, après le départ de l'abbé Vermot (1842) et avant la venue du P. d'Alzon (1844). Le 8 octobre 1850, le P. d'Alzon l'avait envoyé à Paris comme aumônier des Religieuses de l'Assomption et en vue de préparer une fondation dans la capitale. Bien que très attaché à l'Assomption, il ne devint religieux que le 25 mars 1852.
5. Le chevalier de Faventine, célibataire, mort au Vigan, le 26 décembre 1850.
6. Pour ce qui est des relations d'amitié spirituelle et d'entraide fraternelle pour leur oeuvre respective entre le P. d'Alzon et Mère M.-Eugénie, voir: P. PICARD, circulaire n. 115, 12 mars 1898, à propos de la mort de la fondatrice des Dames de l'Assomption; Soeur JEANNE-MARIE, "Origines de l'Assomption", Paris 1898-1902, I, pp. 429 et ss.; P. A. SAGE, "Un Maître spirituel du dix-neuvième siècle, les étapes de la pensée du Père Emmanuel d'Alzon", Rome 1958, pp. 43 et ss.
Au jour de la béatification de Mère M.-Eugénie, le Pape Paul VI a déclaré: "La Providence lui ménagea le soutien éclairé du célèbre abbé d'Alzon, qui devait bientôt fonder lui-même les Pères de l'Assomption." Outre "les Origines de l'Assomption" (ouvrage fondamental en 4 volumes), parmi les biographies de Mère M.-Eugénie, signalons celles de Mgr. Germain BRETON (Saint-Etienne, 1922, 530 pages); Alice Lady LOVAT, (London, 1925); Maddalena PATRIZI (Isola del Liri, 1935); et la dernière en date de Marie Dominique POINSENET, "Feu vert...au bout d'un siècle" (Saint-Paul, 1971, 214 pages).
Parmi les écrits publiés de Mère M.-Eugénie, il faut signaler ses "Instructions de chapitre de 1872 à 1886" (7 volumes, Auteuil, 1898-1900), dont certaines ont été reprises dans un volume intitulé: "L'esprit de l'Assomption dans l'éducation et l'enseignement" (Tournai, 1910, 346 pages).
Les études les plus récentes sur la spiritualité de Mère M.- Eugénie sont celles de Jean LAFRANCE: "Un regard tout en Jesus- Christ" (Auteuil, 1976, 156 pages), et de Soeur JEANNE-MARIE: "Quelques constantes de la spiritualité de Mère M.-Eugénie de Jésus, sources et textes" (Auteuil, 1977, 124 pages).2. Ap. 14,4