Touveneraud, LETTRES, Tome 1, p.18

24 mar 1851 Nîmes, CART Mgr

Est-il utile à la liberté de l’enseignement et à l’indépendance de l’Eglise que les évêques fournissent les renseignements demandés au Conseil supérieur de l’Instruction publique? – Cela dépend des établissements – S’il s’agit des petits séminaires; les évêques doivent les refuser, car la loi n’accorde à l’Etat que la surveillance et non l’inspection de ses établissements. – Certains évêques du Conseil supérieur seraient portés à céder sur ce point – Pour les établissements secondaires d’instruction libre, il en va autrement, car ils sont soumis à l’inspection. – La même attitude s’impose pour les écoles congréganistes de Frères ou de soeurs – Cependant, les écoles congréganistes de Soeurs pourraient être placées sous l’inspection des évêques.

Informations générales
  • T1-018
  • 15
  • Touveneraud, LETTRES, Tome 1, p.18
  • ACR, DH 75; D'A., T.D. 39, n. 1, pp. 135-139.
Informations détaillées
  • 1 ACADEMIE
    1 ATHEISME DE L'ETAT
    1 CHEFS D'ETABLISSEMENT
    1 CONSEIL SUPERIEUR DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE
    1 DROIT COUTUMIER
    1 ENSEIGNEMENT CATHOLIQUE
    1 ENSEIGNEMENT PRIMAIRE
    1 ENSEIGNEMENT RELIGIEUX
    1 ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
    1 EVEQUE
    1 FACULTES DE THEOLOGIE
    1 FILLES DES ECOLES
    1 GOUVERNEMENTS ADVERSAIRES
    1 INDEPENDANCE CATHOLIQUE
    1 INSPECTION SCOLAIRE
    1 LIBERTE DE L'ENSEIGNEMENT
    1 LOI CIVILE
    1 LUTTE ENTRE L'EGLISE ET LA REVOLUTION
    1 MINISTERE
    1 MINISTRE
    1 MINISTRES DU CULTE
    1 ORGANISATION SCOLAIRE AU PLAN NATIONAL
    1 PETITS SEMINAIRES
    1 RELIGIEUSES
    1 RELIGIEUX ENSEIGNANTS
    1 SUBVENTIONS
    2 BESSON, LOUIS
    2 BEUGNOT, AUGUSTE-ARTHUR
    2 CART, JEAN-FRANCOIS
    2 COUSIN, VICTOR
    2 CUVIER, RODOLPHE
    2 DANIEL, JACQUES-LOUIS
    2 DONEY, JEAN-MARIE
    2 DUBOIS, PAUL-FRANCOIS
    2 PARIEU, M.-LOUIS-FELIX ESQUIROU DE
    2 PIE IX
    2 SAINT-MARC GIRARDIN
    2 VAILHE, SIMEON
  • A MONSEIGNEUR CART, EVEQUE DE NIMES
  • CART Mgr
  • le 24 mars 1851
  • 24 mar 1851
  • Nîmes,
La lettre

Monsieur,[1]

Vous m’avez demandé quelques explications par écrit sur un projet de lettre, que je vous ai proposé d’adresser à vos collègues dans l’épiscopat. Il s’agissait d’obtenir de leur obligeance quelques renseignements qui pussent aider à la confection du rapport que le Conseil supérieur doit adresser, tous les ans, au ministère. Mais auparavant se présentait la question de savoir s’il était convenable, utile à la liberté de l’enseignement et de l’indépendance de l’Eglise, de solliciter et d’obtenir ces documents.

Je vais examiner cette première question, et quand j’aurai essayé de fixer dans quelles limites on peut s’adresser à Nosseigneurs, j’examinerai une seconde question: dans quelle forme faut-il les inviter à transmettre le résultat de leurs appréciations?[2]

L’article 5 de la loi organique du 15 mars 1850 porte, au paragraphe 8: « Le Conseil supérieur… présente,chaque année, au ministre un rapport sur l’état général de l’enseignement, sur les abus qui pourraient s’introduire dans les établissements d’instruction, et sur les moyens d’y rémédier. »

Une commission vient d’être nommée, à la dernière session du Conseil supérieur, pour préparer ce rapport.[3] Une première réunion de cette commission a eu lieu et l’on s’est partagé le travail préparatoire, qui consiste à recueillir les divers éléments des matières de ce rapport.

Membre de cette commission, j’ai cru faire une chose utile en me chargeant de ce qui concerne les établissements secondaires d’enseignement libre, par conséquent les petits séminaires, les écoles dirigées par des Congrégations religieuses d’hommes, et les écoles de filles dirigées par des religieuses.

Je répète ma question: « Convient-il, est-il utile que vous demandiez à vos collègues de me fournir des renseignements sur des chapitres aussi importants? » Il importe de les examiner les uns après les autres, car je ne pense pas que la question puisse être la même pour tous.

1° Les petits séminaires.

Je crois avoir établi, dans une note à part, dont je vous soumets une copie,[4] qu’il y aurait le plus grand danger à permettre que les inspecteurs franchissent le seuil des petits séminaires. La loi ne parle, pour ces établissements, que de surveillance et non d’inspection. Aucune pénalité n’est attachée au refus de l’inspection pour les petits séminaires. L’évêque en étant reconnu le véritable chef, ce serait lui qu’il faudrait révoquer, en cas de désordres graves dans l’établissement. D’un autre côté,le supérieur d’un petit séminaire reçoit son approbation du ministre des Cultes et non du ministre de l’Instruction publique. Enfin, le ministre[5] ayant déclaré en plein Conseil que l’inspection devait s’étendre dans les établissements libres jusque sur l’enseignement religieux, et M. Cousin[6] ayant dit à propos du Collège de France indépendant jusques à aujourd’hui du Conseil supérieur, qu’il ne voyait pas pourquoi l’autorité de ce Conseil ne s’étendrait pas sur toutes les écoles, ou peut prévoir que si les évêques cèdent aux prétentions de l’Etat sur les petits séminaires, ces prétentions s’étendront bientôt des petits séminaires jusque sur les grands.

Aussi il serait peut-être utile, pour le dire en passant, de trancher la question des Facultés de théologie. En effet, telles qu’elles subsistent maintenant, payées par l’Etat, sans institution canonique, ces écoles de théologie relèvent de l’inspection de l’Etat, et voilà, par elles, l’enseignement théologique soumis à l’autorité gouvernementale. Il y a là, si je ne me trompe, de très graves dangers.[7]

Quoi qu’il en soit, revenant aux petits séminaires, je pense qu’il est impossible d’admettre, non seulement que les évêques me fournissent des renseignements sur ces établissements, mais même qu’ils consentent à en fournir aux inspecteurs généraux ou d’Académie, et qu’il serait très utile que l’épiscopat s’entendît pour adopter une marche uniforme dans la lutte présumable contre les empiétements de l’Etat. Je ne dois pas dissimuler à Votre Grandeur que j’ai cru remarquer, de la part de quelques évêques du Conseil, la disposition très arrêtée de ne pas vouloir la guerre. A force de vouloir la paix, ne se prépare-t-on pas l’esclavage? [8]

2° Etablissements secondaires d’instruction libre.

Ici, Nosseigneurs peuvent et doivent, ce me semble, nous fournir tous les renseignements possibles. Ces établissements sont soumis à l’inspection. Les bons ne doivent pas la redouter; il est à désirer qu’elle pénètre dans les mauvais; plus on fournira de lumière sur certains désordres, plus on affermira la sécurité des maisons réellement chrétiennes. Tout ce que Nosseigneurs apporteront de témoignages favorables ou de blâmes motivés, en témoignant de leur vigilance, ne peut tourner qu’au profit de la liberté.[9]

3° Congrégations d’hommes vouées à l’enseignement primaire.

Il n’en est pas de ces Congrégations comme des petits séminaires: ceux-ci sont des écoles spéciales. Les écoles des Frères sont ouvertes a tous. Elles aussi, par conséquent, rentrent dans le droit commun, et c’est leur avantage de s’y maintenir. Je dois seulement faire observer que, depuis quelque temps, on fait des efforts pour les soustraire à l’influence épiscopale. Il serait très utile de prendre des moyens de les y ramener, et l’un des plus puissants serait que les évêques voulussent bien placer l’autorité de leur témoignage en face des rapports des inspecteurs.

4° Congrégations de filles vouées à l’enseignement. Rien, ce me semble, n’est plus utile que de nombreux détails, émanés de Nosseigneurs, sur ces sortes de Congrégations. Voici pourquoi:

Le Conseil supérieur s’occupe, en ce moment, de préparer un règlement, prescrit par la loi, sur les écoles de filles, et l’on cherche à obtenir que ces écoles, dirigées par des religieuses, soient placées exclusivement sous l’inspection des évêques. Or, ceux-ci n’ayant aucun droit légal d’en être chargés, n’est-il pas bon qu’ils fassent quelque chose pour s’attirer une pareille marque de confiance? De nombreux renseignements, venus de leur part, prouveraient leur intention de prêter au gouvernement le concours le plus scrupuleux; et comme, encore une fois, la question n’est pas la même que celle des petits séminaires, la bonne volonté, montrée par Nosseigneurs en cette circonstance, peut servir à justifier la résistance qu’ils opposeront à toute attaque dirigée contre leurs droits sur les écoles ecclésiastiques.

Dans une seconde lettre, j’aurai l’honneur d’examiner, devant Votre Grandeur, la seconde question.[10] Je m’arrête à conclure qu’il faut conjurer Nosseigneurs de tenir sur l’article des petits séminaires et de donner, au contraire, un concours empressé dans ce qu’on leur demandera d’informations pour les autres établissements.[11]

Veuillez agréer, Monseigneur, l’hommage avec lequel j’ai l’honneur d’être votre très humble serviteur.

E. D'ALZON
Notes et post-scriptum
Cop. ms., révisée et signée par le P. d'Alzon. ACR, DH 75; D'A., T.D. 39, n. 1, pp. 135-139 - La minute ms. du P. d'Alzon (ACR AN 250) présente avec ce texte des divergences insignifiantes.1. Mgr Cart était né, le 30 août 1799, à Mouthe (Doubs); il fut nommé au siège de Nîmes le 22 novembre 1837, et préconisé le 12 février 1838; son sacre eut lieu à la cathédrale de Besançon, le 22 avril suivant. Il devait mourir à Nîmes, le 12 août 1855. Vicaire capitulaire, le P. d'Alzon honorera sa mémoire dans un mandement adressé au clergé et aux fidèles du diocèse, quelques jours après la mort de l'évêque (LETTRE 537). L'abbé BESSON, prêtre du diocèse de Besançon et futur évêque de Nîmes, lui consacra une biographie de 456 pages, en 1856. Les relations de Mgr Cart avec le P. d'Alzon ont été présentées par le P. VAILHE, soit dans la "Vie du P. d'Alzon" (de 1837 à 1855), soit dans les volumes II et III des "Lettres du P. d'Alzon" (de 1837 à 1850, seulement).
2. La seconde question annoncée ne sera pas traitée.
3. C'est la séance du 6 mars, le P. d'Alzon étant présent, que le ministre avait désigné les membres de la commission: MM Beugnot, rapporteur, Dubois, l'abbé Daniel, l'abbé d'Alzon, Saint-Marc Girardin, Frédéric Cuvier.
4. En fait, il s'agit d'une double note sur l'interprétation de l'article 70 de la loi vis-à-vis des petits séminaires ci-après et vis-à-vis des écoles secondaires libres (cf. 16).
5. De Parieu, qui avait fait passer la loi Falloux.
6. Victor Cousin (1782-1867) philosophe et homme politique.
7. Pour pallier une telle situation et prévenir la création d'universités libres, comme le P. d'Alzon en pressentait la nécessité, le gouvernement voudra obtenir du pape, mais sans résultat, une bulle d'institution canonique pour les facultés de théologie de l'université d'Etat.
8.Le P. d'Alzon défend ici la cause des évêques qui voulaient limiter le plus possible le droit de "surveillance" ou d'"inspection" de l'Etat sur les petits séminaires. Outre la lettre demandée ici à l'évêque de Nîmes, Mgr Cart écrira, le 22 mai, aux inspecteurs généraux de l'instruction publique pour les dissuader d'inspecter les petits séminaires, et pour le moins de ne pas se présenter au petit séminaire de Beaucaire, le 26 mai, jour où lui-même y donnera la confirmation, non pas qu'il ne veuille pas les recevoir pour régler d'autres situations. Mgr Doney, évêque de Montauban et ami du P. d'Alzon, sera autrement logique et ferme dans son "Observation sur l'inspection des petits séminaires", publiée également en mai 1851.
9. Le principe de "la publicité" avait été, dès le début, celui du P. d'Alzon dans ses rapports annuels sur l'état de son collège.
10. Nous n'avons pas trace que cette seconde lettre ait été écrite.
11. La visée pastorale de l'enseignement chrétien, selon le P. d'Alzon, est donc de promouvoir des établissements scolaires aussi dignes de l'Eglise que de l'Etat, et ceci en toute lumière; avec cette précision que, du point de vue de l'Eglise, ces établissements doivent favoriser sous la direction de l'épiscopat la pleine intégration en Eglise des élèves.