Touveneraud, LETTRES, Tome 1, p.66

19 aug 1851 Nîmes, FORNARI Cardinal

Il a l’intention de fonder une université libre, à défaut d’Université catholique. – La loi sur l’enseignement supérieur n’étant pas encore votée, il commencera par une Maison de hautes études. – A ce dessein, Mgr Cart a déjà écrit à ses collègues dans l’épiscopat. – Pour répandre les idées romaines, il désirerait un professeur de droit canon et d’histoire ecclésiastique. – Les cours seraient en latin et l’on prononce à Nîmes le latin à la romaine. – La question des honoraires serait tranchée par son Eminence. – Il désirerait une bénédiction apostolique.

Informations générales
  • T1-066
  • 62
  • Touveneraud, LETTRES, Tome 1, p.66
  • Minute, ACR, AO 22; D'A., T.D. 39, n. 1, pp. 239-240.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DU PAPE
    1 DOCTRINES ROMAINES
    1 ENSEIGNEMENT DE L'HISTOIRE ECCLESIASTIQUE
    1 ENSEIGNEMENT DE LA LITTERATURE
    1 ENSEIGNEMENT DU DOGME
    1 ENSEIGNEMENT DU DROIT CANON
    1 ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
    1 ESPRIT DE L'EGLISE
    1 FACULTES DE THEOLOGIE
    1 GALLICANISME
    1 LATIN LITURGIQUE
    1 LIBERTE DE L'ENSEIGNEMENT
    1 LOI CIVILE
    1 MAITRES CHRETIENS
    1 PAPE GUIDE
    1 ULTRAMONTANISME
    1 UNIVERSITES CATHOLIQUES
    2 BAINES, PETER-AUGUSTINE
    2 BENSA, ANTOINE
    2 CART, JEAN-FRANCOIS
    2 COUDERC, FELIX
    2 DONEY, JEAN-MARIE
    2 DU LAC, JEAN-MELCHIOR
    2 FRANSONI, LUIGI
    2 GARIBALDI, ANTONIO
    2 LAURENT, CHARLES
    2 LEQUEUX, ABBE
    2 MONTALEMBERT, CHARLES DE
    2 PARISIS, PIERRE-LOUIS
    2 PITRA, JEAN-BAPTISTE
    2 SIBOUR, MARIE-DOMINIQUE
    2 VAILHE, SIMEON
    3 AVIGNON
    3 CLICHY-LA-GARENNE
    3 PARIS
    3 PARIS, ARCHEVECHE
    3 PARIS, ECOLE DES CARMES
    3 ROME
  • A SON EMINENCE LE CARDINAL FORNARI
  • FORNARI Cardinal
  • le 19 août 1851.
  • 19 aug 1851
  • Nîmes,
  • Evêché de Nîmes
La lettre

Monseigneur[1],

La bonté si parfaite avec laquelle Votre Eminence a bien voulu me traiter toujours m’encourage à lui faire part de nouveau d’un projet, dont j’ai eu l’honneur de l’entretenir à Paris.

Depuis longtemps, je suis préoccupé de la pensée de fonder une Université libre, puisque l’on ne peut encore s’occuper de fonder une université catholique[2]. Mais là encore il y a de grands obstacles, parce que l’on prétend que la loi sur l’enseignement supérieur n’étant pas faite, il est impossible de prendre à l’avance la liberté qu’elle consacrera un jour. Aussi ai-je cru devoir me restreindre à une Maison de hautes études pour commencer. J’ai obtenu que l’évêque de Nîmes écrivit à ses collègues dans l’épiscopat[3], pour les engager à m’envoyer des sujets qu’ils voudraient préparer, pour plus tard, à la carrière du professorat. Quelques évêques ont déjà répondu[4]. Je ne crois pas, il est vrai, que le nombre des sujets que l’on me confiera soit bien considérable pour commencer. Mais je ne me décourage pas. Je sais quelles difficultés j’ai eu à vaincre pour établir la maison d’éducation que je dirige, je ne me laisserai pas arrêter par quelques obstacles du commencement.

Mais, Monseigneur, à côté de cette Maison de hautes études littéraires, je cherche à établir autre chose encore, c’est une Maison de hautes études théologiques, et voici le point sur lequel je souhaite très vivement que Votre Eminence veuille bien m’honorer du concours de ses lumières et de ses conseils.

Vous savez, Monseigneur, qu’à Paris va se former une maison de ce genre, sous la conduite de l’abbé Lequeux[5]. C’est dire dans quel esprit elle sera dirigée. Je voudrais fonder dans le Midi un contrepoids à cet esprit, et pour cela avoir des professeurs réellement romains. Ne pourrais-je pas compter sur le concours de Votre Eminence, pour me procurer un professeur de droit canon et un professeur d’histoire ecclésiastique? J’ai déjà un professeur de dogme, dont je crois pouvoir répondre[6]. Il va sans dire que, la première année, le nombre des auditeurs serait extrêmement restreint. Mais il s’agit de commencer, et, si Dieu bénit cette idée, je ne doute pas qu’elle produise les plus heureux résultats.

Les oeuvres de Dieu ont toujours commencé petitement, c’est le grain de sénevé. Pourquoi ce grain ne nous serait-il pas envoyé de Rome? Des papes ont cru devoir envoyer des chantres de leur chapelle aux rois francs pour introduire chez nos pères le chant grégorien. Pourquoi Rome ne nous enverrait- elle pas des professeurs, qui nous redonneraient le véritable esprit de l’enseignement catholique?

Les cours se feraient en latin, ce qui ne souffrirait pas de difficulté, parce que je tiens beaucoup à ce que l’on parle latin et que je le fais prononcer chez moi comme à Rome. On serait préparé d’avance à entendre une prononciation un peu différente de la nôtre[7], Si le projet était agréé de Votre Eminence, je la conjurerais de vouloir bien elle-même me choisir, dès cette année, un ou deux hommes qui se dévoueraient à venir passer quelque temps parmi nous. La question d’argent n’en serait pas une; elle serait remise entre les mains de Votre Eminence, qui la traiterait, j’en suis sûr, avec toute la prudence nécessaire à une oeuvre qui commence dans de très petites proportions.

Si le projet que je soumets à Votre Eminence lui paraît digne d’attention, serait-il bien indiscret de solliciter pour les commencements de ces travaux une bénédiction du Souverain Pontife? On ne peut combattre le venin gallican qu’en répandant à flots les doctrines romaines et en préparant des établissements, où ces doctrines seront enseignées au grand jour. Un encouragement, de la part du chef de l’Eglise, servirait à prouver qu’il connaît les siens et décuplerait le courage de ceux-ci.

Je prie Votre Eminence d’excuser la longueur de cette lettre, mais il me semble y avoir parlé d’un projet qui touche d’assez près à la cause de l’Eglise pour espérer mon pardon.

Je suis avec un profond respect, Monseigneur, de Votre Eminence, le très humble et obéissant serviteur.

E. D'ALZON
Notes et post-scriptum
1. Raffaele Fornari (1788-1854), promu (1846) et créé (1850) cardinal, ancien nonce à Bruxelles et à Paris, était, en 1851, préfet de la Congrégation des Séminaires et Universités.
2. En septembre 1834, l'abbé d'Alzon avait été séduit par un projet d'Université que Mgr Baines, vicaire apostolique en Angleterre, voulait réaliser en sa résidence de Bath, dans le diocèse actuel de Clifton. <>. Cette idée lointaine réaffleure dans son esprit, en 1849, au concile d'Avignon et il s'en entretient avec le nonce à Paris. Le 16 août 1851, en son discours des prix, le P. d'Alzon alerte l'opinion d'un essai de réalisation immédiate, à l'exemple de ce qui se faisait à Paris à l'Ecole des Carmes. Il n'était pas sans savoir que Rome et la hiérarchie ménageaient les susceptibilités de l'Université d'Etat qui avait ses propres facultés de théologie. Aussi parle-t-il d'Université libre.
3. Lettre du 19 juillet 1851.
4. Le 16 Juillet 1851, Mgr Doney, évêque de Montauban, pressenti par le P. d'Alzon, lui écrivait: <>. D'autres aussi furent informés: Mgr Parisis, Dom Pitra, Montalembert, les rédacteurs de l'Univers, etc., et ne répondirent que par des encouragements (cf VAILHE, Vie du P. d'Alzon, II, p. 82-104).
5. Cet abbé, supérieur du séminaire de Soissons, venait d'être appelé à Paris comme grand vicaire; il se rattachait à l'école gallicane, et la Congrégation de l'Index avait condamné son Compendium juris canonici, jugé trop favorable à l'autonomie épiscopale et au droit coutumier. Mgr Sibour l'engagea à résister, mais il préféra se soumettre sans pouvoir pour autant faire lever la sentence contre son manuel.
6. L'abbé Bensa du diocèse de Nice.
7. On lit à ce propos, dans une lettre du P. Laurent, du 21 mai 1851:<<Nous avons eu la visite de Mgr l'archevêque de Turin [Mgr Fransoni]. A son entrée dans la chapelle, j'ai entonné le Non est inventus, et puis le psaume Principes persecuti sunt me gratis. Jamais je n'ai chanté avec autant de foi que devant cet évêque si simple, si doux et cependant si terrible au pouvoir politique. Nous avons chanté, bien entendu, à l'italienne, ce qui a été trouvé comme une idée délicieuse par M. le chanoine Couderc: <>. Cependant, le P. Laurent écrira aussi de Clichy que la prononciation du latin à la romaine est un obstacle au recrutement des élèves.
8. Cette lettre ne parvint pas à son destinataire (cf. lettre 93).