Touveneraud, LETTRES, Tome 1, p.80

13 sep 1851 Nîmes, O_NEILL_THERESE Emmanuel ra

Il lui laisse le soin de libeller un prospectus de propagande pour un recrutement éventuel en Angleterre. – Si elle lui procure une vocation, il s’engage à la former pour sa communauté. – Il est convaincu de la nécessité de promouvoir des apôtres indigènes. Il est heureux de la voir se dévouer gratuitement à l’éducation des pauvres. – La situation des masses pauvres et protestantes dans le Midi de la France. – A Nîmes va s’ouvrir un essai d’Université catholique. – L’isolement du missionnaire est souffrance et grâce.

Informations générales
  • T1-080
  • 74
  • Touveneraud, LETTRES, Tome 1, p.80
  • Orig.ms. AC R.A.; D'A., T.D. 35, n. 11, pp. 139-142.
Informations détaillées
  • 1 ACCEPTATION DE LA CROIX
    1 APOSTOLAT DE L'ENSEIGNEMENT
    1 CONGREGATION DES AUGUSTINS DE L'ASSOMPTION
    1 LARGEUR DE VUE APOSTOLIQUE
    1 MISSION D'ANGLETERRE
    1 MISSIONS ETRANGERES
    1 NOVICIAT DES ASSOMPTIONNISTES
    1 PEUPLE
    1 PROGRAMMES DE FORMATION
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 RECHERCHE DE LA PERFECTION
    1 RECRUTEMENT SACERDOTAL
    1 REGLES DES RELIGIEUX
    1 SALUT DES AMES
    1 ULTRAMONTANISME
    1 UNION DES COEURS
    1 UNIVERSITES CATHOLIQUES
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    2 MANNING, HENRY-EDWARD
    2 PIE IX
    2 WISEMAN, NICOLAS
    3 AMERIQUE
    3 ANGLETERRE
    3 CAPENOR
    3 CHINE
    3 IRLANDE
    3 NIMES
    3 NOTTINGHAM
    3 PARIS
  • A SOEUR THERESE-EMMANUEL O'NEILL
  • O_NEILL_THERESE Emmanuel ra
  • le 13 septembre 1851.
  • 13 sep 1851
  • Nîmes,
  • Maison de l'Assomption
La lettre

Ma chère fille,

Si j’ai autant tardé à vous répondre, c’est que depuis longtemps déjà j’ai été bien souffrant, et ne voulant pas vous écrire quelques lignes seulement, en échange de votre bonne et longue lettre j’ai voulu attendre que les forces me fussent un peu revenues pour causer tout à l’aise avec vous. Laissez-moi d’abord vous remercier de l’intérêt que vous portez à notre maison de Paris. Elle se forme très petitement, mais je ne m’en inquiète pas beaucoup, puisque nous avons commencé ici, à Nîmes, absolument de la même manière. Pour le prospectus anglais, si vous jugez à propos d’en faire un, arrangez-le absolument comme vous l’entendrez. Chaque peuple a sa manière propre, sous laquelle il faut lui présenter les choses, et je comprends très fort toutes ces différences et nuances. Ainsi vous avez sur ce chapitre mes pleins pouvoirs, et il n’est aucune main à qui je puisse les confier mieux qu’à vous pour me faire venir des sujets d’Angleterre, si tant est que Dieu le veuille[1].

Il est fort heureux que vous n’ayez pas besoin du prêtre que je vous préparais depuis un an, au dernier moment le courage lui a manqué. Mais voici ce que je vous propose. Puisque, pour quelque temps, les Jésuites peuvent faire vos affaires, nous n’avons pas besoin de nous presser. Trouvez-moi quelque jeune homme qui ait la vocation religieuse et un certain talent, envoyez-le moi; je lui ferai suivre un cours de théologie de quatre ans, et, au bout de ce temps-là, je vous le renverrai prêtre et religieux. Les cours de théologie doivent commencer vers le 1er novembre. Il me semble que la pensée de faire gratuitement les cours de théologie doit faire venir à plus d’un jeune homme, appelé à l’état ecclésiastique, l’envie d’accepter cette proposition. Il me paraît impossible encore que si vous le voulez bien, vous ne puissiez trouver quelque bon jeune homme, en Angleterre ou en Irlande, qui, un jour, vous rendrait de grands services, plus grands à coup sûr que ne pourrait le faire un Français, précisément parce qu’il aurait l’esprit du pays où il serait appelé à exercer son apostolat.

Plus je réfléchis, plus je suis convaincu de la nécessité d’avoir pour chaque peuple des ouvriers évangéliques indigènes. J’en parlais, il y a quelques jours, avec le prieur d’une chartreuse, homme fort remarquable et qui me faisait absolument les mêmes réflexions pour les religieux de son Ordre. Si donc vous voulez vous servir des religieux assomptionistes, il faut que vous les choisissiez et que vous nous les envoyiez, en attendant que nous ayons un noviciat en Angleterre; ce qui ne peut avoir lieu de très longtemps[2].

Je vous avoue pourtant que, selon moi, vous devez désirer d’avoir pour aides et appuis des hommes formés dans le même esprit que vous, qui vous feraient avancer dans l’esprit de vos règles, parce qu’ils les connaîtraient mieux, et qui également recevraient des religieuses une très heureuse influence. Resterait toujours à fixer certaines limites pour éviter certains inconvénients, des empiètements et même des abus; mais ce serait, je pense, traité d’avance, et je dois même vous avouer que c’est une des questions qui me préoccupent le plus dans nos futurs rapports.

Les petites croix qui résultent pour vous des mille petites discussions entre vos Pères ne m’étonnent point. C’est là le triste côté de la nature humaine; son poids se fait toujours plus sentir. Cela prouve après tout que ce ne sont pas les hommes qui ont fait la morale et les règles de la perfection, et qu’elles viennent de plus haut, puisqu’ils savent si difficilement conformer leur conduite à ce qu’ils prêchent. C’est fort triste; Dieu le permet, afin de nous apprendre à ne nous appuyer que sur lui.

Je vous trouve bien heureuse de pouvoir faire quelque bien à vos pauvres protestants. Ici, il n’y a pas moyen de les aborder, mais Dieu semble avoir quelques vues miséricordieuses sur eux. Les gens riches ont peur et reviennent volontiers à des idées d’autorité. Le peuple s’en va vers ce qu’il y a de plus foncé en fait de rouge. Mais peut-être est-ce un moyen, terrible sans doute, de les séparer de l’influence de leurs ministres et de l’esprit de secte. Plus tard, des saints pourront plus aisément agir sur ces tristes masses. Oh! s’il plaisait à Dieu de nous envoyer bientôt des hommes apostoliques!

Je vous fais mon bien sincère compliment de la manière dont vous développez votre oeuvre. Il me paraît que Dieu vous veut pour ses instruments, et l’éducation gratuite des pauvres est un moyen très puissant de procurer sa gloire. Je vous avoue qu’il me répugnerait beaucoup de vous voir tirer une rétribution de pauvres gens[3]. Notre-Seigneur aime qu’on lui fasse l’aumône. Puis, on a plus ses coudées franches pour faire de la classe un véritable apostolat; on peut plus aisément enseigner ce que l’on veut et comme l’on veut. Enfin, vous pouvez avec moins de difficulté et sans que personne trouve rien à redire revenir à votre institution primitive, qui est l’éducation des classes élevées. Or, je crois très essentiel de se rapprocher toujours le plus possible du but primitif de son Institution.

Priez beaucoup pour l’Assomption de Nîmes. Je désire y établir une Ecole normale supérieure, et même cette oeuvre va commencer sous très peu de temps. Nous aurons tout d’abord quatre professeurs, puis un plus grand nombre, s’il est nécessaire. Je commence, ainsi que je vous l’ai dit, un cours de théologie dans la maison. Je voudrais faire là comme le noyau d’une Université catholique, mais d’une Université qui ne relevât que de Rome. Peu à peu il faut espérer que nous en viendrons à bout. Parmi nos enfants il se manifeste un très grand nombre de vocations pour les missions étrangères, et peut-être est-ce là une des causes qui attireront le plus les bénédictions de Dieu sur nous.

L’état crucifiant où Dieu vous met, en vous isolant des appuis que pourraient vous offrir les hommes, peut vous sanctifier admirablement, vous et vos Soeurs, si vous savez le bien prendre. Mais je comprends qu’il en coûte à la nature. C’est l’état où se trouvent ces pauvres missionnaires de l’Amérique et de la Chine, qui passent des temps si loin de toutes relations avec leurs confrères. Mais comme Dieu est près de ceux qui sont loin de tout!

Adieu, ma bien chère fille. J’envoie par vous une bénédiction à tout votre prieuré, qu’il me tarde bien de pouvoir visiter avant quelque temps. Ce sera quand il plaira à Dieu. Tout à vous, ma chère fille, avec une bien vive affection, dans le coeur de Notre-Seigneur.

E. D'ALZON
Notes et post-scriptum
1. En 1851, le mouvement d'Oxford ne cesse de progresser. On peut espérer des vocations. Manning, qui s'était opposé au rétablissement de la hiérarchie en Angleterre par Pie IX, le 29 septembre 1850, a fait son abjuration le 16 avril 1851 et s'est mis à la disposition du cardinal Wiseman qui l'a ordonné prêtre le 15 juin.
2. Un noviciat sera ouvert pour la première fois à Nottingham,le 20 juin 1941, et de nouveau à Capenor le 13 décembre 1948, après la constitution de la province d'Angleterre.
3. En 1855, le P. d'Alzon codifiera dans sa règle ce qu'il a toujours pratiqué: <>.