Touveneraud, LETTRES, Tome 1, p.100

8 oct 1851 Lavagnac, MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Dieu présent et agissant au fond de notre être est source de consolation. – Le voeu d’étendre le règne de Dieu en nous et autour de nous doit nous être un stimulant. – La situation de soeur Marie-Gertrude est celle de religieuses isolées de la maison-mère.

Informations générales
  • T1-100
  • 92
  • Touveneraud, LETTRES, Tome 1, p.100
  • Orig. ms. ACR, AD 792; D'A., T.D. 21, n.49, p. 35.
Informations détaillées
  • 1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 ACTION DE DIEU DANS L'AME
    1 ADVENIAT REGNUM TUUM
    1 EGLISE
    1 EPREUVES SPIRITUELLES
    1 GOUVERNEMENT DES RELIGIEUX
    1 GRACE
    1 INCARNATION MYSTIQUE
    1 LACHETE
    1 MISSION DU CAP
    1 MISSIONS ETRANGERES
    1 PEUPLE DE DIEU
    1 QUATRIEME VOEU DES ASSOMPTIADES
    1 QUATRIEME VOEU DES ASSOMPTIONNISTES
    1 TRISTESSE
    1 VOIE UNITIVE
    2 DANJOU, JEAN-LOUIS-FELIX
    2 DANJOU, MADEMOISELLE
    2 DEVEREUX, AIDAN
    2 HENNINGSEN, MARIE-GERTRUDE DE
  • A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • 8 oct[obre] 1851.
  • 8 oct 1851
  • Lavagnac,
La lettre

Ma chère fille,

Je n’ai pas précisément grand-chose à vous dire aujourd’hui; cependant je profite du repos que je suis venu chercher à la campagne pour causer un peu plus à l’aise avec vous. Les dernières lettres que j’ai reçues de vous portent une empreinte de tristesse et de découragement, et quoique je sois bien convaincu que c’est un état d’épreuve et en quelque sorte d’enfantement spirituel, mulier cum parit, tristitiam habet[1],il me semble que dans ce moment vous avez un peu plus besoin d’appui que de coutume. Cet appui, Dieu vous l’offre, ma chère fille, alors même que vous semblez le moins vous en apercevoir, car Notre-Seigneur est au fond de votre âme par sa grâce; il y habite par la foi, et alors même que vous êtes la plus sèche et désolée, il est au fond de votre être. Et comme il est toujours ce qu’il est, c’est-à-dire Dieu, il agit en Dieu dans votre âme. C’est pourtant quelque chose de bien étonnant que cette disposition de l’homme qui peut dire: [[J’ai Dieu en moi par sa grâce et par son amour, il est disposé à agir en moi comme Dieu avec toute sa puissance, pourvu que je m’abandonne à lui]], et que cette certitude ne nous suffise pas.

Il y a sans doute une raison très profonde et très catholique de cette insuffisance divine, si je puis m’exprimer ainsi; car si en nous jetant ainsi entre les bras de Dieu, nous pouvions tous et toujours nous passer des créatures, nous serions bien vite protestants, c’est-à-dire isolés, et le lien de la société spirituelle que Dieu a voulu établir entre les âmes par son Eglise, serait bien vite dissous. Mais il n’en est pas moins vrai qu’il est bien humiliant pour nous de penser que Jésus-Christ, régnant dans la plénitude de son amour au fond de notre coeur, ne peut pas nous suffire. Ou bien peut-être faut-il dire qu’il n’y règne pas encore en souverain. Mais dans ce cas pouvons-nous être en repos, tant que son empire ne sera pas inébranlablement établi? Hélas! nous faisons le voeu d’étendre son règne dans les âmes des autres[2], nous ne pensons pas à lui donner la nôtre avec cet abandon absolu qui n’excepte rien. Voilà les réflexions sur lesquelles je m’arrête pour m’exciter à devenir autre que je suis. Tout dans nos épreuves et dans nos souffrances pourrait nous être une occasion de renouvellement et de perfection, et nous restons les mêmes. Oh! ma fille, j’en suis épouvanté, pour mon compte.

J’ai oublié de vous faire une commission de M. Danjou. Il voudrait bien, si vous ne l’avez déjà fait, que vous pussiez dire à sa soeur si réellement elle peut compter sur quelque chose. L’intérêt que je porte à M. Danjou me fait revenir là-dessus, quoique je comprenne bien votre embarras.

J’ai réfléchi sur les espèces de menaces que renfermait le commencement de la lettre de Soeur Marie-Gertrude, de la part de Mgr Dev[ereux]. Je crois que c’est un peu de la fanfaronnade. Il me semble bien impossible que son caractère ne soit pas connu. Dans tous les cas on le ferait bien vite connaître, au besoin. Ce n’est donc pas lui qui me préoccupe, mais bien plutôt l’état de vos filles. Il me semble qu’il faudra établir une fois pour toutes que vous n’enverrez des religieuses en pays étranger que lorsque vous pourrez les faire visiter, et que ce soit une chose parfaitement entendue. Autrement chaque évêque pourra vous mettre dans la situation où vous place Soeur Marie-Gert[rude], et il ne faut pas dire que c’est le caractère de cette Soeur qui fait cela. On peut bien en trouver sans doute d’un caractère opposé, mais au fond toutes les religieuses isolées de l’appui de la maison-mère, comme cela arrive forcément en mission, chercheront un appui ailleurs; et si elles s’adressent aux évêques (leurs protecteurs naturels après tout), il sera très facile à ceux-ci, à moins d’une très grande prudence, de les détacher du tronc principal.

Adieu, ma fille. Vous n’avez pas besoin de répondre à cette lettre, puisqu’elle est comme un extra que je me donne, en dehors de notre correspondance régulière.

Tout vôtre en Notre-Seigneur.

E. D'ALZON
Notes et post-scriptum
2. La mention de ce <> se trouve de fait dans la formule de profession de Mère M.-Eugénie (25 décembre 1844) et dans la formule de profession du P. d'Alzon (25 décembre 185O), conformément à la devise des deux Assomptions: Adveniat regnum tuum, que le P. d'Alzon avait fait admettre par les Religieuses en août 1843, et qu'il donna ensuite à sa fondation.1.Jn 16,21.