Touveneraud, LETTRES, Tome 1, p.242

25 jan 1853 Nîmes, FORNARI Cardinal

MEMOIRE SUR L’ETAT ACTUEL DE L’EGLISE EN FRANCE
ET SUR QUELQUES MOYENS D’Y ASSURER
LE TRIOMPHE DES PRINCIPES ROMAINS

Informations générales
  • T1-242
  • 224
  • Touveneraud, LETTRES, Tome 1, p.242
  • Minute ms. ACR, AO 25; D'A., T.D. 39, n. 3, pp. 245-250.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DU PAPE
    1 APOSTOLAT DE LA CHARITE
    1 APOSTOLAT DE LA VERITE
    1 ASSOCIATIONS OEUVRES
    1 ATHEISME DE L'ETAT
    1 AUTORITE PAPALE
    1 BAS CLERGE
    1 CAUSE DE L'EGLISE
    1 CLASSES SUPERIEURES
    1 CLERGE
    1 CLERGE NIMOIS
    1 COLONIES AGRICOLES
    1 COMITES CATHOLIQUES
    1 DESPOTISME
    1 DEVOIRS DU PRETRE
    1 DOCTRINES ROMAINES
    1 DROITS DE DIEU
    1 EDUCATION RELIGIEUSE
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 ENSEIGNEMENT CATHOLIQUE
    1 ESPRIT CHRETIEN DE L'ENSEIGNEMENT
    1 EVANGELISATION DES PAUVRES
    1 GALLICANISME
    1 LIBERALISME
    1 LIBRE PENSEE
    1 LITURGIE ROMAINE
    1 OEUVRES CARITATIVES
    1 PATRONAGES
    1 PEUPLE
    1 PRATIQUE RELIGIEUSE DES LAICS
    1 PREVOYANCE
    1 PUBLICATIONS
    1 RETOUR A L'UNITE
    1 SAINT-SIEGE
    1 SOUVERAINETE POLITIQUE
    1 ULTRAMONTANISME
    1 UNITE CATHOLIQUE
    1 ZELE APOSTOLIQUE
    2 ALZON, EMMANUEL D'
    2 BERNARD, LOUIS
    2 DEBELAY, JEAN-MARIE-MATHIAS
    2 GAREISO, JOSEPH
    2 GAULTIER, OLIVIER
    2 GOUSSET, THOMAS
    2 GRIVET, ABBE
    2 JOUVE, ESPRIT-GUSTAVE
    2 MARTIN, ABBE-AVIGNON
    2 NAPOLEON III
    3 FRANCE
    3 NIMES
    3 NIMES, DIOCESE
    3 PARIS
    3 REIMS
    3 ROME
    3 TOULON
    3 VALENCE
  • AU CARDINAL FORNARI
  • FORNARI Cardinal
  • 25 janvier 1853
  • 25 jan 1853
  • Nîmes,
La lettre

Observations préliminaires

Nous poserons d’abord quelques faits incontestables:

1° Les humiliations subies par le Saint-Siège de la part des gouvernements européens jusqu’au commencement de notre siècle;

2° L’accroissement continu et irrésistible de la puissance morale de Rome depuis cinquante ans;

3° La réaction gallicane qui fait tous ses efforts pour empêcher le triomphe de ce qu’on appelle l’ultramontanisme;

4° L’état de despotisme, vers lequel la France marche tous les jours un peu plus;

5° La facile prévision que, du despotisme politique, le gouvernement sera tenté de passer au despotisme religieux, s’il trouve des évêques pour le favoriser; et, d’autre part, des évêques gallicans sont bien exposés à la tentation de s’appuyer sur le pouvoir, s’ils ne voient d’autres moyens de faire une opposition efficace aux principes romains.

Si tel est le résumé de la situation religieuse au point de vue qui nous occupe, n’y a-t-il pas obligation de chercher quels remèdes on peut opposer au mal que l’on signale? N’est-il pas nécessaire de donner une impulsion nouvelle aux esprits vers le centre de l’unité?

Etat de la question

De ce que le pouvoir politique peut être entraîné vers le despotisme religieux, il ne s’ensuit pas que nous croyons devoir lui faire opposition[1]. Mais n’est-il pas très nécessaire et de se tenir sur ses gardes, et de se préparer pour une lutte plus ou moins rapprochée et que la prudence permet de prévoir? En pareil état de choses, que doivent faire les catholiques français? Ou, si l’on veut, par quels moyens peut-on pousser les catholiques à se rapprocher de plus en plus du centre de l’unité?

Pour répondre pratiquement à cette question, il faut examiner les hommes sur qui l’on veut agir. Or, trois catégories se présentent: 1° le clergé; 2° les classes élevées; 3° le peuple.

Le clergé

Le clergé du second rang revient tous les jours de plus en plus, et, on peut ajouter,même malgré quelques évêques, aux doctrines romaines. En combien de diocèses les évêques n’ont-ils pas été moralement contraints par les prêtres à reprendre la liturgie romaine? On parle avec connaissance de cause de Valence et de Nîmes. Cette seule preuve suffit, nous n’en donnerons pas d’autre.

Les classes élevées

Ce qui jadis était parlementaire est aujourd’hui libre-penseur[2], et presque tous les catholiques sincères sont comme par instinct portés vers les doctrines romaines. Débarrassés de leurs anciennes préventions contre le principe d’autorité, ils acceptent ce principe avec toutes ses conséquences, et comme il n’y a pas d’autorité sans unité, l’idée de la nécessité d’un centre leur est, pour ainsi dire, naturelle; ils n’ont qu’à en faire l’application à l’Eglise et à son chef pour être dans les doctrines romaines.

Le peuple

Enfin le peuple, qui a reçu des chocs bien violents dans ces derniers temps[3], mais chez qui s’opère, partout où on l’encourage, un retour admirable non seulement vers les idées religieuses, mais vers l’application pratique des principes religieux. A côté du peuple, il y a, comme toujours, dans les classes élevées et même dans le clergé, des hommes pour répéter sans cesse: Non habemus regem nisi Caesarem[4].

Que faire en pratique?

Les moyens d’action sont très nombreux. Les détailler tous serait inutile, parce que l’on ne pourrait en venir à une application immédiate. Parlons de ce qui est possible.

Quelques prêtres, dont trois vicaires généraux, appartenant à divers diocèses, réunis par une convocation de l’archevêque d’Avignon pour une bonne oeuvre, ont profité de la circonstance qui les rapprochait pour examiner s’il ne serait pas important de créer une sorte de Comité directeur, à l’aide duquel on exercerait une action plus une, plus intelligente, plus persévérante. Ils se sont promis de ne reculer devant aucun sacrifice pour atteindre ce but, et, partant des données qui précèdent, ils se proposent d’agir sur le clergé, les classes instruites et le peuple par les moyens suivants:

Sur il clergé

Par des réunions de piété pour les prêtres dans les grandes villes, où se trouvent placés d’ordinaire les jeunes membres du sacerdoce les plus intelligents. On leur parlera des devoirs de leur état; on leur prêchera le zèle pour les bonnes oeuvres, à l’aide desquelles ils exerceront une influence très utile sur les masses; on aura soin de faire revenir avant tout et toujours l’amour de l’unité et de celui qui en est le centre.

Secondement, on donnera [le] plus d’extension possible à une Revue qui compte 800 abonnés, presque tous les prêtres dans la province d’Avignon, et on y traitera avec tout le soin possible les grandes questions théologiques au point de vue romain[5].

En un mot, on s’efforcera de pousser les prêtres ultramontains à l’action, afin que, se posant par la science et la charité, ils puissent à tel moment donné se faire respecter des adversaires de Rome, soit par leur valeur personnelle, soit par les populations dont ils auraient conquis la confiance par les bonnes oeuvres.

[2° Sur les classes instruites]

Il faut aux classes supérieures une éducation, où on [ne] leur inspire plus cette piété individuelle et en quelque sorte protestante qui isole l’âme dans des pratiques solitaires, ou réduit les devoirs envers Dieu à quelques actes de dévotion; mais où on leur élargisse le coeur pour leur faire aimer la cause de Jésus-Christ et de son Eglise. Ceci est plus facile qu’on ne le pense. Dans un temps de révolution comme le nôtre, l’enthousiasme politique s’éteint; l’amour des intérêts matériels domine les hommes faits; mais les jeunes gens ont besoin d’enthousiasme, et si les professeurs l’ont vif et profond pour l’Eglise, ils peuvent le communiquer. Je parle par expérience.

Une lutte s’est établie entre les classes supérieures et le peuple. L’incrédulité égoïste est impuissante et ne peut la terminer que par le pillage ou l’esclavage; la charité chrétienne seule peut l’apaiser et mettre tout dans l’ordre. Les jeunes gens chrétiens, de bonne famille, munis, d’une part, de nos principes, de l’autre, en état d’agir par eux-mêmes et par leur fortune, peuvent rendre d’immenses services. Il faut que l’élément de la charité préside à l’éducation; la science des bonnes oeuvres en donne le goût. Ceci commence à s’appliquer dans plusieurs maisons d’éducation, et les résultats en sont merveilleux. Une Revue qui compte parmi ses abonnés environ 1 0 collèges chrétiens, continuera à développer ces principes[6].

[3° Sur le peuple]

On comprend que le peuple ne peut que profiter des efforts combinés du clergé et des classes supérieures pour son amélioration. Le peuple n’à pas à discuter les questions controversées sur le pouvoir du Pape, mais il peut sentir s’accroître son amour pour Rome, s’il voit les prêtres les plus ultramontains, les riches les plus attachés au Saint-Siège, s’occuper le plus de ses intérêts.

Des écoles, des patronages, des colonies agricoles, une oeuvre de colportage destinée à faire pour les livres catholiques ce que les colporteurs protestants font pour leurs impiétés, des bibliothèques paroissiales, la visite des pauvres à domicile et tant d’autres bonnes oeuvres, qui toutes fructifient entre les mains des prêtres au nom desquels ce mémoire est rédigé, semblent des moyens excellents de véritable propagande.

On s’était proposé d’abord d’indiquer ce que chacun de ces prêtres avait pris pour son lot, dans ce genre d’action; on trouve inutile de donner plus de détails, qu’on est prêt à fournir s’ils sont demandés. On se borne seulement à exprimer le désir que si un plan pareil était jugé digne d’encouragement, on fasse savoir en secret qu’une haute autorité ne le désapprouve pas.

Les prêtres, dont les pages qui précèdent expriment l’opinion, sont: MM. Martin, vicaire général d’Avignon; Bernard, fondateur d’une association de colportage pour les bons livres; Grivet, vicaire général de Valence; Jouve, chanoine de Valence; d’Alzon, vicaire général de Nîmes; Gareizo, directeur du grand séminaire de Nîmes et professeur de droit canon.

Au nom de toutes [les] personnes ci-dessus désignées.

P.S. — Depuis que ces lignes sont rédigées, le supérieur des Maristes, établis à Toulon, fondateur du collège de La Seyne près Toulon, nous promet son concours dans le même sens. M. l’abbé Gaultier, professeur du séminaire du Saint-Esprit, nous approuve sans réserve et nous propose son concours. Enfin, Mgr l’archevêque de Reims offre de prendre sous sa protection active, quoique secrète, la première Revue qui s’adresse à 600 prêtres, et il s’engagerait à nous y fournir des articles de théologie rédigés par des prêtres de sa connaissance.

Paris, 15 février 1853.

E. D'ALZON. v. g. de Nîmes.
Notes et post-scriptum
1. Dans le prolongement du coup d'Etat du 2 décembre 1851, un sénatus-consulte du 7 novembre 1852 a rétabli la dignité impériale dans la famille de Louis-Napoléon, le prince-président, et il est confirmé par le plébiscite des 21-22 novembre; le 2 décembre 1852, Napoléon III a fait son entrée dans Paris. Va-t-on revivre l'ère despotique de Napoléon 1er?
2. Glissement du libéralisme politique au libéralisme doctrinal.
3. Depuis février et juin 1848.
5. La *Revue des Bibliothèques paroissiales.*
6. La *Revue de l'enseignement chrétien.*4. Jn 19, 15.