Touveneraud, LETTRES, Tome 1, p.247

4 mar 1853 [Paris, FORNARI Cardinal

Il se prépare contre le Pape une grande réaction, si Rome ne soutient pas ses défenseurs. Les évêques sont moins romains que le reste du clergé, qu’ils accusent de presbytérianisme. – Ces évêques disparaîtront. – Il faut encourager les prêtres qui les remplaceront un jour à connaître bien positivement la voie où le Saint-Siège veut les voir s’engager.

Informations générales
  • T1-247
  • 228
  • Touveneraud, LETTRES, Tome 1, p.247
  • Minute, ACR, AO 26; D'A., T.D. 39, n. 4, pp. 250-252.
Informations détaillées
  • 1 BREVIAIRE ROMAIN
    1 CLERGE
    1 CRAINTE
    1 DROIT COUTUMIER
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 ETUDES ECCLESIASTIQUES
    1 EVEQUE
    1 GALLICANISME
    1 MINISTRE
    1 PRETRE
    1 RETOUR A L'UNITE
    1 SAINT-SIEGE
    1 SCHISME
    1 SEMINAIRES
    1 THEOLOGIE
    1 ULTRAMONTANISME
    2 AUBERT, ROGER
    2 DONEY, JEAN-MARIE
    2 DONOSO-CORTES, JUAN-FRANCISCO
    2 DUPANLOUP, FELIX
    2 GADUEL, JEAN-PIERRE
    2 GUIBERT, JOSEPH-HIPPOLYTE
    2 LA TOUR D'AUVERGNE, HUGUES
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 PIE IX
    2 SIBOUR, MARIE-DOMINIQUE
    2 VEUILLOT, LOUIS
    3 ARRAS
    3 MONTAUBAN
    3 ROME
  • A SON EMINENCE LE CARDINAL FORNARI
  • FORNARI Cardinal
  • le 4 mars 1853].
  • 4 mar 1853
  • [Paris,
La lettre

Monseigneur,

Je crains de fatiguer Votre Eminence, et cependant les circonstances sont si graves que je me crois permis de lui remettre encore quelques réflexions[1].

Ainsi que j’ai eu l’honneur de le faire observer, dans une précédente lettre, à Votre Eminence, on se prépare pour une nouvelle lutte, et, selon l’expression d’un Sulpicien que me citait l’évêque de Montauban, il se prépare contre le Pape une réaction terrible[2]. Ces paroles sont celles, non pas d’un seul homme, mais de tout un parti. Cette réaction a commencé. Que fera t-on? Faut-il résister ou céder? Céder, en ce moment, c’est reculer pour des siècles la victoire définitive des principes romains. Résister implique la nécessité de venir en aide à ceux qui ont ouvert la brêche et qui ont attiré sur eux toutes les décharges de l’ennemi.

Jusqu’à présent on a agi en ce sens à Rome, au moins depuis quelques années; mais devant les menaces de toutes sortes qu’emploient les gallicans, ne s’effraiera-t-on pas? Je crois devoir soumettre à Votre Eminence une remarque, qui lui donnera la mesure des craintes que peuvent inspirer certaines réclamations. Le mouvement romain qui s’est opéré dans les séminaires, et, par conséquent dans le clergé, a eu lieu depuis environ vingt ou vingt-cinq ans[3]. Or, presque tous les évêques assis sur les sièges épiscopaux, en France, étaient, à cette époque, sortis du séminaire; leurs études théologiques avaient été faites sous une autre direction. Il n’est pas étonnant qu’ils soient effrayés de voir les jeunes prêtres aller plus loin qu’eux.

Mais, dira t-on, ces jeunes prêtres poussent au presbytérianisme. Monseigneur, on vient de découvrir dans les papiers de l’ancien évêque d’Arras une dénonciation de Mgr de la Tour d’Auvergne[4] contre un de ses prêtres, avec cette suscription: tentative de schisme. Qu’est-ce que ce bon cardinal dénonçait donc au ministre des Cultes? La permission que ce prêtre demandait de réciter le bréviaire romain, malgré la défense formelle que l’évêque en avait faite. Je crois que presque toutes les accusations de presbytérianisme remontent là. On est presbytérien, dès que l’on est plus romain que son évêque[5].

Mais cette couche de prélats aura son temps, et les générations qui arrivent seront plus romaines si on les encourage. Car tout est là. Il faut, malgré certaines oppositions épiscopales, favoriser le mouvement vers Rome, qui s’opère dans la portion du clergé qui se trouve en ce moment âgé de vingt-cinq à quarante ans et qui, dans dix ans, en aura cinquante. La remarque n’est pas de moi seul; je la trouve dans le fameux Mémoire sur le droit coutumier[6], quoique dans un autre sens. Et il ne faut pas dire: [[Laissons faire]], car voici le danger. La plupart des postes étant remplis, il se trouve que le clergé a plus de temps pour étudier et se fortifier dans les idées vers lesquelles on le dirigera. Si on ne donne pas une impulsion ferme et constante, on peut être sûr que les gallicans la donneront; ils s’y préparent. Il est donc de la plus haute importance que le jeune clergé, celui qui, un jour, pourra être savant, connaisse bien positivement la voie où le Saint- Siège veut qu’il entre. On lui répète sans cesse: [[Rome n’est pas si exigeante que quelques exagérés le prétendent]]. Le jeune clergé est bien disposé, mais il faut qu’on lui dise: [[Allez jusque-là]], pour qu’il y aille.

Je conjure Votre Eminence de réfléchir à la puissance que Rome peut manifester si elle veut donner d’une manière un peu nette sa pensée sur les controverses qui vont commencer, à moins qu’on ne les termine par voie d’autorité.

Je suis avec un profond respect, Monseigneur, de Votre Eminence, le très humble et obéissant serviteur.

E. D'ALZON. v.g. de Nîmes. Paris, 4 mars 1853.
Notes et post-scriptum
1. Pour comprendre la différence de ton entre la première et la seconde intervention du P. d'Alzon, il faut savoir qu'en arrivant à Paris, il apprend que le livre de Donoso Cortes: *Essai sur le catholicisme, le socialisme et le libéralisme,* a été critiqué pur l'abbé Gaduel, vicaire général de Mgr Dupanloup; que cette critique a été relevée par Veuillot; que Mgr Sibour, en accord avec Mgr Dupanloup, vient d'interdire *l'Univers* par ordonnance datée du 17 février, - alors que Veuillot, parti pour Rome, est absent. - Sur <>, voir AUBERT, *Pontificat de Pie IX,* pp. 270-276.
2. Lettre de Mgr Doney au P. d'Alzon, 26 février 1853.
3. C'est dans le cercle de Lamennais que le mot d'<> est devenu dans l'Eglise un projet de libération contre les forces locales, politiques ou religieuses, qui auraient porté atteinte à son unité.
4. Mgr Hugues Robert Jean Charles de La Tour d'Auvergne-Lauraguais, évêque d'Arras de 1802 à 1851, cardinal en 1839.
5. Il y avait bien d'autres indices de presbytérianisme (cf. AUBERT, p. 274, note 1) qui avaient inquiété à Viviers, Mgr Guibert, et à Digne, Mgr Sibour. 6. Mémoire anonyme de la "résistance gallicane".