Touveneraud, LETTRES, Tome 1, p.253

3 apr 1853 Nîmes, ESCURES Comtesse

Dans le don absolu de soi à Dieu, il ne faut pas se ménager. – Il voudrait qu’ils missent en commun le mérite de leurs prières. – Autres avis spirituels. – Qu’elle s’exerce à l’humilité et à quelques mortifications. – Qu’elle s’exerce aussi à des lectures spirituelles sérieuses. – Quels sont ses projets d’avenir?

Informations générales
  • T1-253
  • 234
  • Touveneraud, LETTRES, Tome 1, p.253
  • Orig.ms. ACR, AN 26; D'A., T.D. 38, n. 26, pp. 141-144.
Informations détaillées
  • 1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 DISCIPLINE INSTRUMENT
    1 DON DE SOI A DIEU
    1 FRANCHISE
    1 HUMILITE
    1 LIVRES
    1 LUTTE CONTRE LE PECHE
    1 ORAISON
    1 OUBLI DE SOI
    1 PENITENCES
    1 POSSESSION DE DIEU
    1 SAINT-ESPRIT
    1 SALUT DES AMES
    1 SOLITUDE
    1 SYMPTOMES
    1 TIERS-ORDRE FEMININ
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 VIE DE PRIERE
    1 VIE SPIRITUELLE
    2 BOSSUET
    2 DUQUESNAY, ALFRED
    2 O'NEILL, THERESE-EMMANUEL
    2 PENNAUTIER, MADAME PAUL DE
    2 REVOIL, MADAME HENRI-ANTOINE
    2 RUPERT, LOUIS
  • A MADEMOISELLE AMELIE DE PELISSIER
  • ESCURES Comtesse
  • 3 avril [ 18]53.
  • 3 apr 1853
  • Nîmes,
  • Mademoiselle
    Mademoiselle Amélie de Pélissier
    Champs Elysées, 13, avenue Marbeuf
    Paris.
La lettre

Je voudrais vous écrire un peu longuement, ma chère fille, et le temps me manque aujourd’hui. Je voulais me mettre au courant de ma correspondance à Valbonne, et j’y ai été très enrhumé et souffrant de la gorge; je m’y suis ménagé. C’est d’autant plus mal à moi que quelque chose me pousse à vous dire: Ne vous ménagez point, non pas sous le rapport de la santé, il est vrai, mais sur tout le reste et en particulier en matière de don absolu de vous-même à Dieu. Vous touchez à la grande époque de crise que doit traverser toute âme chrétienne. Que ce soit avec une générosité telle que vous ne refusiez absolument rien à Notre-Seigneur de tout ce que vous êtes. Croyez-moi, avancez chaque jour. Puisque vous sentez l’impérieux besoin d’être plus unie à Jésus, donnez-vous, donnez-vous, et, encore une fois, donnez-vous toute à lui.

Il me semble que, malgré votre solitude, vos heures doivent être bien préoccupées. Je ne puis vous dire le bonheur que j’éprouve à vous faire du bien. Je pense bien à vous, je vous assure, mais je veux en revanche une réciprocité, non pas de pensée, mais de prières. J’ai même la prétention de m’emparer du mérite de toutes vos petites bonnes oeuvres, pour arriver au but que je poursuis depuis longtemps: c’est la conversion de quelques mauvais sujets qui me causent bien de l’inquiétude et que je voudrais ramener à Dieu.

Je vous conjure également d’entrer tous les jours dans une disposition plus pure envers Dieu. Il y a une sphère supérieure de droiture, de sincérité, d’abandon intime de soi, vers laquelle je voudrais bien vous voir diriger votre vol. Tenez ferme et immuablement dans l’oraison, malgré toutes vos répugnances, et placez-vous sous l’action du Saint-Esprit. Il me semble que j’aurais à vous dire un jour bien des choses sur le Saint-Esprit, mais pour cela il faudrait un peu plus de temps que je n’en ai en ce moment.

Votre calme, sur lequel vous ne comptiez pas, m’est une bien bonne nouvelle: il me prouve que vous êtes plus à Dieu que vous ne le soupçonniez. Il ne faut pourtant pas vous en tenir là et aller plus avant.

Votre long silence m’avait inquiété. Il me semblait que vous auriez eu plutôt à m’écrire; si pourtant vous vous êtes abstenue par esprit de mortification, je n’ai rien à dire. Ne vous inquiétez pas de savoir si vous priez bien ou mal, priez seulement de tout votre coeur.

Exercez-vous beaucoup à l’humilité. Puisque vous êtes bien avec Soeur Thérèse-Emmanuel, demandez-lui de vous en procurer quelques actes et ne craignez pas d’aller en avant un peu rondement. C’est le temps ou jamais. Vous me direz ce qu’elle vous a dit là-dessus. Je ne vous reproche pas de sortir, mais je suis convaincu que, si vous voulez que votre âme se prenne a l’oraison, vous avez besoin pour un temps de beaucoup de solitude, et de vous éloigner momentanément des visites qui pourraient vous entraîner dans un autre ordre d’idées.

Continuez à faire quelques mortifications. J’approuve la discipline deux fois par semaine. Vous ne me parlez pas de l’effet que la mortification produit sur vous, ni des réflexions qu’elle vous suggère. Je voudrais qu’elle fût pour vous: 1° comme un gage très faible d’amour offert à Notre-Seigneur, et aussi: 2° un moyen de vous exciter à l’horreur du péché. Je ne vous trouve guère charitable pour une fille qui veut mener une vie apostolique; je ne trouve pas cela bien fameux.

Mettez-vous sérieusement à l’étude. Ne vous rebutez pas des ennuis que vous éprouveriez dans les commencements; la tête se fatigue d’abord, mais elle s’accoutume à l’application, et l’on fait alors énormément d’ouvrage. Je vous remercie d’avoir procuré une leçon au bon MM. Rupert; J’espère que vous lui porterez bonheur. Vous avez également bien fait d’aller trouver M. Duquesnay[1], qui, du reste, viendra souvent à l’Assomption.

Laissez tomber le plus vite possible l’affaire Mont.; le meilleur est de ne plus y penser. Vous savez que, dans le temps, je vous y poussais; aujourd’hui, cela me paraît absolument inutile. Ne perdez pas votre temps. J’ai vu Mme Revoil, je la reverrai encore. J’espère lui faire du bien. C’est une nature d’élite, et je veux lui aider, autant que possible, à s’élever vers Dieu, comme Dieu, je crois, le désire. Priez bien pour elle, elle le mérite. Je voudrais vous voir lire les Lettres spirituelles de Bossuet; je suis convaincu qu’en ce moment elles vous feraient un bien infini. Je n’ai point vu votre protégée[2].

Vous ne me parlez pas de vos projets. Est-ce que vous y renoncez? Pour moi, j’y pense, je m’en occupe, je cherche à préparer les choses de loin, et je vous engage à prier à cette intention. Je souhaite que vous voyiez sous chacune de mes paroles tout ce que je veux être pour vous: un père et un ami, un appui pour votre âme, afin de la contenir dans la voie de perfection où vous voulez avancer.

Ecrivez-moi bientôt, ma chère fille. Je prends tous les jours pour vous une sollicitude plus grande. Je vous envoie la plus paternelle et la plus affectueuse bénédiction. Tout à vous en Notre-Seigneur. Je ne me relis pas..Sentez-vous, comme je le sens, la révolution qui se fait en vous?

E. D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Doyen de Sainte-Geneviève à Paris, l'abbé Duquesnay (1814-1884) s'occupait du Tiers ordre féminin de l'Assomption. Il devint, en 1871, évêque de Limoges et archevêque de Cambrai, en 1881.
2. Blanche, nièce d'Amélie.