Touveneraud, LETTRES, Tome 1, p.275

3 may 1853 Nîmes, ESCURES Comtesse

Comme gage de son amitié la supérieure de l’Assomption lui demande de se joindre à elle pour lui rendre un service. – Raisons de ses peines actuelles. – S’il s’abstient parfois d’une confidence, c’est pour se priver d’une jouissance d’amitié. – Entre une bonne et une mauvaise impression, elle doit toujours choisir la bonne. – Qu’elle prie le plus possible devant le Saint-Sacrement.

Informations générales
  • T1-275
  • 252
  • Touveneraud, LETTRES, Tome 1, p.275
  • Orig.ms. ACR, AN 29; D'A., T.D. 38, n. 29, pp. 151-153.
Informations détaillées
  • 1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 AMITIE
    1 CHOIX
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 CONFIANCE EN LA SAINTE VIERGE
    1 CONTRARIETES
    1 DETACHEMENT
    1 DEVOTION EUCHARISTIQUE
    1 FIDELITE A LA GRACE
    1 FRANCHISE
    1 GLOIRE DE DIEU
    1 LUTTE CONTRE LA TENTATION
    1 PROGRES DANS LA VIE SPIRITUELLE
    1 PURIFICATIONS SPIRITUELLES
    1 REFORME DE L'INTELLIGENCE
    1 REFORME DE LA VOLONTE
    1 REFORME DU COEUR
    1 REPRESSION DES DEFAUTS DES JEUNES
    1 SATAN
    1 SOUCIS D'ARGENT
    2 CHAVET, VICTOR-JOSEPH
    2 MILLERET, MARIE-EUGENIE
    2 REVOIL, LES
    2 ROUSSEAUX, MESDEMOISELLES
  • A MADEMOISELLE AMELIE DE PELISSIER
  • ESCURES Comtesse
  • 3 mai [18]53
  • 3 may 1853
  • Nîmes,
  • Mademoiselle
    Mademoiselle de Pélissier
    13, avenue Marbeuf, aux Champs Elysées
    Paris.
La lettre

Ma chère fille, laissez-moi vous dire que vous êtes tout à fait dans l’erreur, si vous pensez que je ne veux pas mettre de la réciprocité dans notre amitié, du moment que vous le désirez. Je vous avoue que je ne pensais pas que vous en eussiez besoin; mais, pour mon compte, je ne demande pas mieux, au contraire. Seulement, je vous préviens que vous en subirez les conséquences, car je sais que la supérieure a eu l’idée de vous proposer de vous joindre à elle pour me rendre un service. Songez, s’il faut qu’elle ait l’idée de ce que je vous sois, pour vous proposer de faire de concert avec elle quelque chose pour moi!

Le fond des peines que j’ai en ce moment, c’est l’ennui que je cause à ma pauvre mère qui me croit ruiné, tandis que je prétends, moi, qu’elles [mes affaires] sont bien. Vous comprenez que cela peine un peu le coeur. J’ai découvert dans la maison de Nîmes quelques désordres de moeurs, auxquels, sans doute, j’ai porté un prompt remède, mais il y a toujours là une effrayante responsabilité. Voilà, ma chère enfant, le sujet habituel de mes peines. Maintenant, voudrais-je ne pas en avoir? Franchement, je serais fâché d’en être délivré. En voudrais-je d’autres? Pas davantage. Je veux ce que Dieu veut, il me le semble du moins, mais j’ai besoin de l’aide de Dieu pour marcher toujours comme il le désire.

Vous voyez, ma fille, que je vous parle en toute sincérité et simplicité. Je vous avoue que je ne demande pas mieux que d’être ainsi pour vous, toutes les fois que vous le voudrez. Je crois même que cela vous est assez nécessaire, et, pour mon compte, mon coeur y est tout disposé. Seulement, quand je ne vous parlerai pas, croyez que ce sera parce que je croirai devoir me refuser une véritable jouissance d’amitié. Ceci vous va-t-il ma chère enfant? J’espère que, si Dieu veut que nous travaillions de concert à sa gloire, il permettra que vous compreniez bien tout ce qu’il y a dans mon coeur pour vous, même lorsque je ne vous le dirai pas. Selon moi, l’amitié est quelque chose à deux et non pas à un.

Quant à votre avenir, ma fille, ce que je viens de vous dire doit vous le faire envisager moins pénible; car si vous ne vous faites pas religieuse, vous voyez sur quelle espèce d’appui vous pouvez compter. Je ne crois pas vous manquer jamais au sens que je vous indique; mais il faut, je le pense du moins, que Dieu purifie quelque temps encore votre âme par bien des souffrances.

Vous me dites que vous n’avez des moments de défaillance que loin du Saint-Sacrement, et qu’à ses pieds vous voulez être toute à lui. Voilà une des meilleures indications que vous puissiez me donner. N’est-il pas évident que le diable ne peut pas vous tenter au moment le plus favorable pour entendre la voix de Dieu, et que Notre-Seigneur, s’il vous fait connaître ses désirs, vous les manifeste surtout lorsque vous êtes près de lui? Entre ces deux impressions, dont une est la bonne, ne comprenez-vous pas que la bonne est celle qui part du Saint-Sacrement? L’autre est donc la mauvaise, et, si elle est mauvaise, vous convient-il de l’écouter? Je veux que vous écoutiez la bonne et que vous fermiez les oreilles à la mauvaise.

Vous croyez ne pas faire de progrès. Il me semble qu’en voilà de bien caractérisés. Voilà surtout une porte ouverte pour sortir du cercle, autour duquel vous prétendez tourner: la voix de Notre-Seigneur dans le Saint-Sacrement. A votre place, je m’appliquerais à y passer le plus de temps que je pourrais, à y nourrir mon coeur de pensées de sacrifice et d’immolation; je m’exercerais à dominer mes répugnances naturelles et je consentirais à vivre au jour le jour, jusqu’à ce qu’il plût à Notre-Seigneur d’élargir mon horizon. Tout ce que je vous dis là est une affaire d’expérience pour moi. Evidemment, Notre-Seigneur veut vous réformer par la vie intérieure, où il veut vous faire entrer, et vous y entrerez, j’en suis sûr, pour peu que vous mettiez de générosité à correspondre aux dons de Dieu.

Je ne pense pas que le moment de prendre un parti soit venu, ni pour vous faire religieuse, ni pour autre chose, et je veux que vous vous mettiez, comme une petite fille de quatre jours, entre les bras de la Sainte Vierge pour lui dire: [[Ma bonne mère, vous aurez la bonté de me cacher sous votre manteau jusqu’à ce que je sache où Jésus, votre fils et mon époux, veut que je plante mon pavillon]]. Cette perte absolue de votre volonté pour votre avenir, ce sacrifice de la connaissance de ce que vous devez faire est une des dispositions les meilleures pour devenir un instrument de Dieu, et je veux que vous vous mettiez quelque temps encore dans cet état.

Voyez-vous si je profite du droit d’avoir des volontés? Vous aurez la bonté de me dire ce que vous avez fait, pendant ma neuvaine, en fait d’austérités. Je ne reçois rien de ces demoiselles[1]. Je vous assure que pourtant je leur veux beaucoup de bien pour elles, et surtout pour vous.

J’ai vu, il y a deux jours, M. Chavet; il voulait faire mon portrait. Je n’ai pas voulu, mais je voulais l’engager à se mettre un peu à la peinture religieuse; il ne veut pas. Je l’engage à nous revenir, mais les Revoil ne l’encouragent pas assez. Adieu, ma fille. Je ne me relis pas. Ecrivez-moi bientôt. Tout à vous. Toute l’amitié que vous pouvez désirer pour vous à votre père.

E. D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Les demoiselles des Rousseaux.