Touveneraud, LETTRES, Tome 1, p.286

23 may 1853 Nîmes, FORNARI Cardinal

Consultation au sujet des tables tournantes et frappantes et récit qu’on lui a fait le matin même. – Ce que serait l’esprit frappeur. -Expérience qu’il a faite lui-même, ce jour-là, à deux reprises. L’évêque consulté lui ordonne d’en écrire à Rome. – Nouvelle expérience faite le soir. – Il pense qu’il y a là une conjuration diabolique contre la religion. – Faut-il continuer les épreuves avec prudence et discrétion?

Informations générales
  • T1-286
  • 259
  • Touveneraud, LETTRES, Tome 1, p.286
  • Minute, ACR, AO 27; D'A., T.D. 39, n.5, pp. 252-256. L'écriture n'est pas de la main du P. d'Alzon.
Informations détaillées
  • 1 ATHEISME
    1 DOUTE
    1 ENNEMIS DE DIEU
    1 FAUSSE SCIENCE
    1 PRUDENCE
    1 SATAN
    1 SOCIETES SECRETES
    1 SPIRITISME
    1 TRINITE
    2 CART, JEAN-FRANCOIS
    2 CHAMBORD, COMTE DE
    2 DAUMIER, HONORE
    2 FOX, KATIE ET MARGARET
    2 GAVARNI
    2 GEOFFROY
    2 KARDEC, ALLAN
    2 MARIE-ANTOINETTE, REINE
    2 NAPOLEON III
    2 TRIMOLET, JOSEPH-LOUIS
    2 VERNIER, CH.
    2 YZALGUIER, M.-DOMINIQUE-EUGENE D'
    3 AMERIQUE
    3 BORDEAUX
    3 FRANCE
    3 HYDESVILLE
    3 KABYLIE
    3 NEW-YORK, ETAT
    3 NIMES
    3 PARIS
    3 ROME
  • A SON EMINENCE LE CARDINAL FORNARI
  • FORNARI Cardinal
  • le 23 mai 1853.
  • 23 may 1853
  • Nîmes,
  • Evêché de Nîmes
La lettre

Monseigneur,

C’est par ordre de Monseigneur de Nîmes que je viens soumettre à Votre Eminence une série de faits tellement graves que mon évêque a cru devoir demander une direction à Rome.

Votre Eminence a certainement entendu parler des esprits frappeurs d’Amérique. On annonçait que les mêmes phénomènes ne tarderaient pas à se reproduire en France, et, en effet, voici ce dont j’ai été le témoin[1].

Une dame, très pieuse, m’écrivit hier pour me prier de lui donner aujourd’hui, le plus matin possible, un instant d’entretien. Je l’ai vue se présenter à mon parloir avec deux autres personnes. Toutes trois m’ont fait part de la terreur qu’elles éprouvaient. Elles avaient fait tourner une table, et, voyant leur habileté, elles avaient voulu s’amuser à l’interroger. Elles étaient convenues que la réponse oui s’indiquerait par un coup très fort, frappé par un pied de la table, la réponse non par trois petits coups. Quel fut leur étonnement, lorsque la table se mit à répondre! On la questionna sur des choses que l’on ne savait pas et que l’on pouvait vérifier, par exemple: depuis combien de temps avait commencé la nouvelle expédition de la Kabylie. La table frappa un certain nombre de coups qui se trouva juste celui des jours écoulés depuis le commencement de l’expédition. D’autres questions du même genre lui furent posées, et l’on put également vérifier l’exactitude des réponses par les renseignements que l’on prît après coup.

Je ne m’étendrai pas sur ce qu’elle fit croire qu’était l’esprit frappeur. C’eût été, à s’en rapporter à elle, l’âme de Marie-Antoinette. Le duc de Bordeaux devrait débarquer à Bordeaux, le 4 mai 1856, sans aucune révolution; Napoléon, abdiquer, le 16 mai de la même année; Henri V, entrer à Paris, le 20 mai. On demanda à la table combien de jours elle répondrait; elle frappa trois coups, ce qui signifie trois jours.

Le lendemain un homme, parent d’un régicide, étant venu dans la maison, ou lui demanda si elle l’aimait; elle répondit non; si elle le détestait; elle répondit, par un coup très vigoureux, oui, et refusa de manifester aucune indication politique devant lui. Ceci se passait hier soir.

Aujourd’hui, ces dames étant entrées dans mon cabinet, j’ai placé un guéridon à trois pieds devant elles. J’ai demandé à la table si elle voulait répondre devant moi, elle a répondu: oui; — dans mon cabinet: non; — si elle voulait d’autres prêtres avec moi: non; — si elle voulait avec moi M. d’Yzalguier, directeur des études scientifiques de mon établissement; elle a répondu à plusieurs reprises: non; — si elle préférait que je me rendisse chez la dame, où avaient eu lieu les premières questions: oui. J’ai cru devoir céder à ce caprice et, en arrivant, j’ai commencé par ordonner mentalement à la table de ne pas répondre, s’il y avait là quelque opération diabolique. La table, en effet, n’a pas répondu de quelque temps aux questions qui lui étaient faites; puis, l’effort de ma volonté ayant diminué, elle a parlé, comme hier soir, par des coups. Je dois faire observer que, pendant ce temps-là, les trois dames tenaient leurs mains sur la table. Je lui ai demandé un signe extérieur et de faire du bruit dans la cheminée; elle a remué la plaque en tle, mais nous n’avons pas obtenu qu’elle frappât contre le mur; — quel était mon âge, que personne autre que moi ne connaissait: elle a frappé quarante-deux coups très fort et un quarante-troisième plus faible, (en effet, dans trois mois, j’aurai quarante-trois ans); — si elle aimait Jésus-Christ; elle a répondu: non; — si la religion catholique était vraie: oui; — si elle y croyait: oui.

Votre Eminence voudra bien remarquer que, dans un interrogatoire de plus de deux heures, j’ai eu l’air de croire qu’elle était l’âme de Marie-Antoinette. Mais, à la fin, voyant que mes questions étaient faites à haute voix et pouvaient influer sur le mouvement des mains de ces dames, je l’ai interrogée mentalement. D’abord, ses réponses ont été très évasives, parce que ma volonté n’était pas très forte; mais recueillant toute ma puissance d’attention et me mettant en présence de Dieu, je lui ai commandé, deux fois, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, de me dire s’il y avait en elle une action diabolique, et, deux fois, elle m’a répondu très distinctement: oui. Je me suis levé avec une vive émotion. Je n’en voulais pas davantage; mais les personnes présentes paraissant douter qu’il y ait là une intervention du diable, je lui ai fait une troisième interrogation mentale, et, pour la troisième fois, elle a répondu affirmativement.

Je suis allé trouver Monseigneur de Nîmes, qui m’a chargé de vous écrire ces choses. Mais, comme je voulais éclaircir un point, je suis retourné encore, vers 2 heures, dans la même maison. J’ai demandé à la table s’il y avait en elle un effet physique: oui; — un effet spirituel: oui. [[Me direz-vous quand l’effet naturel finit, quand l’effet spirituel commence? — Non]]. Deux fois encore, je l’ai interrogée sur le principe de son action. La première fois, elle a avoué une intervention diabolique; la seconde, que je ne faisais qu’avec peine, ne m’a donné qu’une réponse incohérente.

Ce matin, elle affirmait que j’étais la personne des quatre présentes qu’elle aimait le mieux. Ce soir, on m’a engagé à mettre la main sur la table: à moi seul, elle a refusé de répondre. Les trois dames l’ont reprise et lui ont demandé: [[Répondez-vous à M. d’Alzon? — Non. — Est-ce parce que vous le craignez? — Oui. — Est-ce parce qu’il a dévoilé votre nature? — Oui]]. Je m’en suis allé une seconde fois. L’interrogatoire avait duré trois quarts d’heure.

Enfin, à 4 heures, je suis retourné et j’ai trouvé le curé de la paroisse plus étonné que moi. Ces dames l’avaient fait venir, et il [sic] avait répondu à sa demande faite au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, s’il était un bon esprit: non; — un malin esprit: oui.

J’ai voulu tenter encore et lui demander quel rapport il y avait entre les faits naturels et l’intervention spirituelle, s’il pouvait me le dire. — Il m’a toujours constamment répondu non, qu’il ne le pouvait pas, qu’il ne le voulait pas, et même — si je ne me trompe — que Dieu ne le voulait pas. A la fin, je lui ai demandé mentalement au nom du Père, du Fils et du Saint- Esprit, si ces manifestations serviraient à la guerre, que les sciences préparent contre la religion. Il m’a répondu immédiatement oui, par un coup très fort. Il ne m’en fallait pas davantage, puisque je ne pouvais être éclairé sur la question que je lui avais posée si souvent et à laquelle il avait obstinément refusé de répondre.

Dans ma conviction intime, Monseigneur, ceci n’est qu’un épisode d’une grande conjuration diabolique. Je viens de découvrir qu’à Nîmes et dans plusieurs villes de France un grand nombre de Sociétés se forment, qui n’ont d’autre religion que celles de ces sortes d’esprits. Si les études scientifiques viennent à diriger les intelligences du côté de la matière, et à porter, comme elles l’ont déjà fait, le doute et l’athéisme dans les âmes, Votre Eminence voit-elle où l’on peut aller?

Quoiqu’il en soit, je conjure Votre Eminence de me faire savoir s’il y à faire de nouvelles recherches, avec prudence et discrétion, pour arriver à découvrir quelques raisons à opposer aux impies qui ne manqueront pas de s’emparer de ces faits, ou s’il faut donner l’exemple d’une abstention, que, du reste, nous commençons à prêcher aux simples fidèles[2].

Notes et post-scriptum
1. Depuis l'année 1848 où les soeurs Fox, à Hydesville dans l'Etat de New- York, entendaient d'étranges craquements dans les murs et les meubles, le spiritisme n'avait cessé de progresser. Nous n'avons pas trace, en nos archives, d'une réponse du cardinal Fornari au P. d'Alzon. Mais sa consultation, parmi tant d'autres, est sans doute pour quelque chose dans la publication, le 4 août 1856, du document le plus complet et le plus solennel émanant du Tribunal de l'Inquisition romaine, avant même qu'Allan Kardec ait donné au spiritisme son credo dans son *Livre des Esprits,* paru en 1857.
La bibliothèque de la maison généralice à Rome possède quelques années de *l'Almanach prophétique, utile et pittoresque, publié par un neveu de Nostradamus, rédigé par les notabilités scientifiques et littéraires, et illustré par MM. Gavarni, Daumier, Trimolet, Ch. Vernier et Geoffroy,- Paris, chez Pagnerre, libraire.* Or, pour 1854, nous avons un article sur *les tables tournantes,* qui débute ainsi: <>.,
2. Informée des faits de Nîmes, Mère M.-Eugénie écrit le 30 mai: <<Je suis singulièrement flattée de m'être trouvée par instinct d'accord à l'avance avec vous pour les tables parlantes. Dès l'abord et avant les explications mêmes de *l'Univers,* je me suis permis d'en interdire ici l'essai. On m'a trouvée quelque peu intolérante, et voire même superstitieuse, de sorte que je suis fort heureuse de vous voir craindre aussi le diable dans ces merveilles. Je trouve qu'on a tant de peine déjà à le chasser d'une maison qu'on ne lui a pas ouverte, que je ne veux pas risquer de lui laisser volontairement mettre la patte ici, ni sur une table, ni sur le haut même d'une clef'.