Touveneraud, LETTRES, Tome 1, p.483

5 nov 1854 Nîmes, DONEY Mgr

Action à entreprendre dans l’Eglise sur le plan du droit. – Le gallicanisme nie les lois promulguées et les tribunaux de l’Eglise; l’ultramontanisme les accepte. Mais les ultramontains en théorie sont gallicans en fait, dès qu’il s’agit des tribunaux de l’Eglise romaine. – Un évêque, en agissant seul, compromettrait le mouvement; il doit demander une direction à Rome. – Aurait- on une encyclique dans ce sens, ou faudrait-il procéder pas à pas?

Informations générales
  • T1-483
  • 449
  • Touveneraud, LETTRES, Tome 1, p.483
  • Minute, ACR, AN 233, et copie, AS 42; D'A., T.D. 39, pp. 168-170.
Informations détaillées
  • 1 AUTORITE DE L'EGLISE
    1 CONCILE DE TRENTE
    1 CONCILE PROVINCIAL
    1 CONCORDATS
    1 CONGREGATIONS ROMAINES
    1 DOCTRINES ROMAINES
    1 DROIT CANON
    1 DROIT COUTUMIER
    1 EGLISE
    1 EGLISE ET ETAT
    1 ENCYCLIQUE
    1 EVEQUE
    1 GALLICANISME
    1 HYPOCRISIE
    1 INFAILLIBILITE PONTIFICALE
    1 JURIDICTION ECCLESIASTIQUE
    1 LOI ECCLESIASTIQUE
    1 PAPE
    1 REVOLTE
    1 SAINT-SIEGE
    1 SOUMISSION DES SUJETS
    1 ULTRAMONTANISME
    1 UNITE CATHOLIQUE
    2 ANTONELLI, GIACOMO
    2 BONALD, LOUIS-JACQUES-MAURICE DE
    2 MATHIEU, JACQUES-MARIE
    2 PIE IX
    2 VECCHIOTTI, SETTIMIO
    3 FRANCE
    3 MARSEILLE
    3 NIMES
    3 ROME
  • A MONSEIGNEUR DONEY, EVEQUE DE MONTAUBAN
  • DONEY Mgr
  • le 5 novembre 1854.
  • 5 nov 1854
  • Nîmes,
  • Maison de l'Assomption
La lettre

Monseigneur[1],

Puisque vous voulez bien mes notes pour Rome, je vous soumettrai, en toute simplicité, ce que je voudrais qui y fût dit par un homme comme vous[2].

Toute doctrine, bonne ou mauvaise, se traduit par des conséquences pratiques analogues à la valeur et à la portée de cette doctrine.

Le gallicanisme, cette théorie hypocrite de la révolte contre l’autorité spirituelle, s’est traduit par une respectueuse et insolente négation des lois promulguées et des tribunaux établis par la plus haute autorité de l’Eglise.

L’ultramontanisme, qui est la doctrine de l’autorité catholique étendue à tout le royaume de Jésus-Christ, se traduit par la soumission franche et entière aux lois promulguées et aux tribunaux établis par la plus haute autorité de l’Eglise.

Or, je suis frappé de cette anomalie qui subjugue les meilleurs esprits de France. Ultramontains en théorie, ils sont gallicans en pratique. Prêts à rompre, du matin au soir, des lances en faveur de l’infaillibilité du Pape, nous n’osons pas accepter franchement et sincèrement les lois et les tribunaux de l’Eglise universelle. Ces lois sont le droit commun, le droit nouveau créé par le Concile de Trente et le bullaire des Papes; ces tribunaux sont les Congrégations romaines.

Le mouvement ultramontain sera une grande contradiction tant que sur les ruines de nos coutumes et de nos libertés, on n’aura pas proclamé les lois et les coutumes[3] de l’Eglise universelle, on n’aura pas reconnu les Congrégations interprètes de ces coutumes, de ces lois, et même des privilèges, dont, quoi qu’on dise, elles ont été toujours prodigues.

Mais faut-il qu’un évêque commence isolément un mouvement pareil? Faut-il que, seul, il proclame par un acte solennel son retour au droit commun? N’est-il pas à craindre qu’au lieu de hâter le mouvement général, il ne le compromette? Ne vaut-il pas mieux procéder pas à pas?

Il me semble que dans une circonstance aussi grave, quand[4] la masse des esprits est si bien préparée, il serait dangereux de perdre une position magnifique pour vouloir aller sans ensemble. Le meilleur est, il me paraît, de se tourner vers Rome et de lui demander une direction.

Voici ce que je proposerais.

Puisque le Pape a fait naguère une encyclique pour inviter l’épiscopat français à retourner aux doctrines romaines[5], pourquoi ne l’engageriez-vous pas, très respectueusement, à faire une nouvelle encyclique pour inviter l’épiscopat français à accepter toutes les lois romaines, c’est-à-dire, le droit commun, ainsi que les tribunaux suprêmes chargés de l’exécution et de l’interprétation de ces lois?

Si le Souverain Pontife ne juge pas à propos de demander un revirement en bloc, il pourrait du moins indiquer les points principaux, par où il convient de commencer ce retour pratique à l’autorité. Ce serait à lui, avec les lumières dont il est investi, à tracer la route à suivre, et cette encyclique, quelle qu’en fût l’énergie, serait un programme pour nos futurs conciles provinciaux; et si, quelque métropolitain se refusait à en convoquer, elle serait encore la règle du développement pratique que chaque évêque pourrait donner dans son diocèse aux principes romains.

Je me résume et je demande: si l’on pourrait solliciter une encyclique indiquant: 1° Si l’on doit travailler au retour au droit commun, ou si l’on doit procéder pas à pas à ce retour; 2° Dans le second cas, quels seraient les points par où il faudrait commencer? 3° La nécessité de reconnaître la juridiction des Congrégations romaines.

Vous connaissez assez les Français, Monseigneur, pour être convaincu comme moi que, si Rome n’agit pas, on la croira bien vite effrayée ou vaincue par les cris de nos gallicans.

Je suis, avec les sentiments que vous me connaissez, Monseigneur, votre très humble et obéissant serviteur.

E. D' ALZON.
Notes et post-scriptum
5. L'encyclique *Inter multiplices,* du 21 mars 1853, blâmant, entre autres choses, le *Mémoire* (anonyme) *adressé à l'épiscopat sur la situation présente de l'Eglise gallicane relativement au droit* *coutumier,* Paris, 1852.1. Le destinataire n'est pas indiqué, ni dans la minute, ni dans la copie; mais tout porte à croire qu'il s'agit de Mgr Doney. En effet, l'évêque de Montauban, en prévision de son voyage à Rome, écrivait au P. d'Alzon le 14 octobre: <>.
2. Dans <> (*Lettres* 449 et 450), le P. d'Alzon va donner son point de vue sur le retour au droit commun pour l'unification de la discipline dans l'Eglise, et qui aboutira au droit canon de 1917. Au XIXe siècle, les *Articles organiques,* annexés au Concordat de 1801 par le gallicanisme politique des légistes, demeuraient un danger réel d'asservissement de l'Eglise par l'Etat, dont le gallicanisme ecclésiastique pouvait être dupe. Par ailleurs, dans une société en voie d'éclatement, le P. d'Alzon éprouvait la nécessité de centrer résolument doctrine, morale, apostolat sur le Siège apostolique, <> (*Ecrits spirituels* p. 1073). - L'ultramontanisme ouvrait une voie de libération (cf.*Lettre* 223, n. 3), mais il lui fallait plus de logique, pensait le P. d'Alzon, pour ne pas, en même temps, exalter le Pape et décrier la Curie romaine. Lorsque le P. d'Alzon se rendra lui-même à Rome, il aura l'occasion, le 30 mai 1855, d'exposer au Pape ses idées et de recevoir ses propres directives (*Lettre* 510).
3. De *coutumes* à *coutumes,* le membre de phrase a sauté dans la transcription déposée, - ce qui rend le sens incompréhensible.
4. La copie et la transcription portent: *lorsque.*