Touveneraud, LETTRES, Tome 2, p.54

2 apr 1856 Montpellier, MOREAU Basile csc

Si l’union se fait, quel est celui des deux esprits, de l’Assomption ou de Sainte-Croix, qui l’emportera? -Une foule de prescriptions ou une grande forme monastique? -La pauvreté sera-telle la plus grande possible?

Informations générales
  • T2-054
  • 654
  • Touveneraud, LETTRES, Tome 2, p.54
  • Orig.ms. Archives de Sainte-Croix; cop.conf. ACR, DL 112; autre copie ACR AO 112; D'A., T.D. 39, n. 3, pp. 359-360.
Informations détaillées
  • 1 DEFAUTS
    1 ESPRIT D'OUVERTURE A L'ASSOMPTION
    1 ESPRIT DE L'ASSOMPTION
    1 FORMES MONASTIQUES DES ASSOMPTIONNISTES
    1 NOVICIAT DES ASSOMPTIONNISTES
    1 PRATIQUE DE L'OBEISSANCE
    1 PRATIQUE DE LA PAUVRETE
    1 PROJET D'UNION AVEC LES PERES DE SAINTE-CROIX DU MANS
    2 GALABERT, VICTORIN
    2 LEVY, MARIE-JOSEPH
    2 PICARD, FRANCOIS
    2 VAILHE, SIMEON
    3 ROME
  • AU R. PERE MOREAU
  • MOREAU Basile csc
  • 2 avril 1856(1).
  • 2 apr 1856
  • Montpellier,
La lettre

Mon Très Révérend Père,

Je vous répondrai sous peu sur les points qui vous paraissent encore douteux(2), mais aujourd’hui je vous demande la permission d’aborder la question capitale et devant laquelle les autres ne sont rien. S’il y a quelque chose de net et de tranché, c’est l’esprit de l’Assomption. L’esprit de Sainte-Croix l’est-il autant? S’il y a fusion, qui des deux esprits l’emportera?(3) Consultez le Fr. Picard, le Fr. Marie-Joseph, le Fr. Galabert, vous saurez quel est notre esprit. Ne vous fait-il pas peur? Acceptez-vous que, sauf les défauts des individus, nous modifions, à Sainte-Croix ce qui ne sera pas dans ce sens?

Je vous demande pardon de ce que je vais dire; mais enfin, de bien des côtés on est effrayé en pensant que ce qui fait le propre de l’esprit de l’Assomption dans ce qu’il a de large, d’ouvert, de franc, ne s’absorbe dans une foule de prescriptions qui sont bonnes, mais qui ôtent une certaine liberté chez les vôtres. Ce à quoi nous tenons pour l’extérieur, c’est aux grandes formes monastiques. Vous paraissez moins y tenir(4). Nous tenons à une grande largeur de coeur dans l’obéissance, et je vous avoue que ce que j’ai vu de vos Soeurs me semble tellement plein d’arrière-pensées et d’absence de franchise que si les hommes sont ainsi nous ne pourrions longtemps marcher ensemble. La pauvreté doit être la plus grande possible. Il me semble que vous êtes moins sévères que nous(6). Ce ne sont que des détails qui se résument dans cette question: voulez-vous qu’après la fusion, ce soit l’esprit de l’Assomption qui domine, ou bien celui de Sainte-Croix?

Voilà la question vitale.

Je crois que nous devons demander, chacun de notre côté, vous, l’autorisation pour les vôtres, moi, la permission de faire un noviciat d’Augustins. Si nous nous séparons, nous resterons chacun avec nos droits. Si nous nous réunissons, Rome ratifiera sans difficulté l’union.

Veuillez agréer, mon Révérend Père, l’hommage de mes sentiments très dévoués et très respectueux.

E. D’ALZON

Les petits embarras matériels sont, ici, presque entièrement aplanis. Il n’y a plus aucun sujet de difficulté de ce côté(7).

E.D'ALZON
Notes et post-scriptum
2. Allusion à la lettre du P. Moreau, datée de Rome, le 26 mars, et relatant ses réactions sur la lettre que le P. d'Alzon lui avait adressée en réponse aux articles de sa note sur le projet d'union. Au terme de cette lettre, le P. Moreau, ne voyant que des divergences mineures, demandait "un *amen* par le courrier prochain". (EA 461).
3. Le P. Moreau répond sur cette question, le 10 avril: "Ni l'un ni l'autre, sans quoi il n'y aurait plus fusion, mais absorption de l'un par l'autre, et dans ce cas, j'oserais appliquer le *pars major trahit minorem*; car nous sommes 600 y compris nos Soeurs, et, sans elles, (puisqu'elles devront faire comme les vôtres une Congrégation à part), nous sommes encore plus de 300 Frères dont 75 Salvatoristes. Mais je vois trop peu de différence dans l'esprit de nos deux Congrégations, si j'en juge par nos règles ou constitutions et les hommes que je vois ici, pour qu'on doive s'en préoccuper".
Le Fr. Picard ne chicane pas sur les chiffres en les ramenant à 360, dont 300 Frères, mais souligne qu'en cas d'union, Sainte-Croix risque la scission entre les Pères Salvatoristes et les Frères Joséphites, et que le P. Moreau ne consentira jamais à donner "le signal de la désertion", en voulant les intégrer, comme le pense le P. d'Alzon, dans un *Ordre*. (Lettre du 30 mars).
7. Il ne fait pas de doute que cette lettre marque un moment critique dans les pourparlers d'union. Pour le P. Vailhé, le P. d'Alzon se ressaisit: "Sans être imminente la fusion s'imposait de plus en plus à l'esprit du P. d'Alzon, terrassé par la maladie, éloigné de sa famille religieuse, en butte aux difficultés financières. C'est à ce moment qu'interviennent ses religieux, surtout ses étudiants de Rome, les Frères Picard et Galabert [...] Il prit l'affaire de haut, comme elle le méritait, et la posa sur un terrain, où, de toute évidence, l'accord aurait entraîné la disparition de l'une ou de l'autre Congrégation" (*Vie du P. d'Alzon*, II, p. 258-260). -"Question primordiale en effet, écrit de son côté le chanoine Catta. Il ne se demande pas si, de la fusion, ne pourrait pas naître un esprit *nouveau*, commun aux deux éléments. Il pose la question... Sans faire ici d'hypothèses imaginaires, tout ce que nous savons des personnalités en cause [le P. d'Alzon et le P. Moreau], de leur spiritualité respective, nous permet de penser que la fusion, un instant entrevue, n'aurait pu résister à quelques mois d'expérience (*Le T.R.P. Moreau*..., II, p. 284-287).1. Au lieu de Montpellier, la cop.conf. porte *Mont de l'Air* (?).
2. Allusion à la lettre du P. Moreau, datée de Rome, le 26 mars, et relatant ses réactions sur la lettre que le P. d'Alzon lui avait adressée en réponse aux articles de sa note sur le projet d'union. Au terme de cette lettre, le P. Moreau, ne voyant que des divergences mineures, demandait "un *amen* par le courrier prochain". (EA 461).
3. Le P. Moreau répond sur cette question, le 10 avril: "Ni l'un ni l'autre, sans quoi il n'y aurait plus fusion, mais absorption de l'un par l'autre, et dans ce cas, j'oserais appliquer le *pars major trahit minorem*; car nous sommes 600 y compris nos Soeurs, et, sans elles, (puisqu'elles devront faire comme les vôtres une Congrégation à part), nous sommes encore plus de 300 Frères dont 75 Salvatoristes. Mais je vois trop peu de différence dans l'esprit de nos deux Congrégations, si j'en juge par nos règles ou constitutions et les hommes que je vois ici, pour qu'on doive s'en préoccuper".
Le Fr. Picard ne chicane pas sur les chiffres en les ramenant à 360, dont 300 Frères, mais souligne qu'en cas d'union, Sainte-Croix risque la scission entre les Pères Salvatoristes et les Frères Joséphites, et que le P. Moreau ne consentira jamais à donner "le signal de la désertion", en voulant les intégrer, comme le pense le P. d'Alzon, dans un *Ordre*. (Lettre du 30 mars). 4. "Si vous entendez, répond le P. Moreau, le 10 avril, par forme monastique l'office du choeur, c'est vrai, je n'y tiens pas autant que vous, et même je ne pourrais m'engager à cela hors de nos noviciats. Pourquoi? -1° Parce que ni les missionnaires, ni les professeurs de nos collèges ne pourront jamais être fidèles observateurs de cette forme monastique qu'en négligeant des devoirs essentiels à leur vocation, et là-dessus j'en appellerais volontiers à l'expérience des vôtres. -2° Parce que, dans les anciens monastères, dont les religieux étaient nombreux, quelques-uns seulement se livraient à l'enseignement ou à l'apostolat, ce qui leur était facile ne l'est plus aujourd'hui. -3° Enfin, parce que les Jésuites ont prouvé que pour bien réussir sous ce double rapport, il faut une liberté dans la disposition de son temps, qu'il est impossible dans votre disposition de concilier avec ce double ministère; et les Dominicains eux-mêmes ne peuvent dire l'office en choeur à l'étranger.
"Quant aux pratiques de détail, j'ignore quelles sont les vôtres; mais les nôtres sont bien déterminées depuis des années, imprimées dans nos directoires et observées généralement dans nos 80 maisons, sans qu'on en soit vraiment gêné. Il importe d'ailleurs beaucoup que tout cela soit bien précisé avant l'ouverture du noviciat, et si vous n'avez pas un Augustin pour maître des novices, ou vos exercices bien fixés d'avance, avec le chapitre des coulpes, etc., etc., le noviciat ne pourra être qu'un essai et un tâtonnement; tandis que pour former les sujets, il faut un *moule* bien fait pour imprimer la forme voulue; car c'est là que se puisera l'esprit de la nouvelle Congrégation. Pour vous dire toute ma pensée à ce sujet, il faut avoir été novice et vu façonner des novices, pour en former à son tour: *fabricando fit faber*".
5. "Je ne voudrais pas plus, poursuit le P. Moreau, vous voir juger de nos prêtres et de nos Frères par nos trois Soeurs, qui sont gênées, déplacées maintenant dans votre collège, où elles sont confondues avec les internes, que je ne veux juger de vous et des vôtres par ce qu'elles pourraient m'en dire. Je puis vous assurer que parmi nous règnent une grande liberté d'esprit, beaucoup de franchise et un grand esprit de famille, ainsi que parmi nos élèves, à qui nous n'imposons d'autres pratiques chrétiennes que celles qu'ils pourront et devront suivre dans le monde".
6. "Nous sommes, en effet, moins sévères que vous pour l'étendue du voeu [de pauvreté], qui chez nous n'affecte que l'usage, tandis que chez vous il comporte même le renoncement à la propriété; mais nous le sommes probablement plus que les vôtres dans la pratique; et ici [à Rome] l'on approuve ce voeu tel que nous le faisons, ce dont nous trouvons le motif dans la législation française, et la nécessité où nous serions un jour, sans cela, de garder des sujets scandaleux ou de leur assurer une existence dans le monde".
7. Il ne fait pas de doute que cette lettre marque un moment critique dans les pourparlers d'union. Pour le P. Vailhé, le P. d'Alzon se ressaisit: "Sans être imminente la fusion s'imposait de plus en plus à l'esprit du P. d'Alzon, terrassé par la maladie, éloigné de sa famille religieuse, en butte aux difficultés financières. C'est à ce moment qu'interviennent ses religieux, surtout ses étudiants de Rome, les Frères Picard et Galabert [...] Il prit l'affaire de haut, comme elle le méritait, et la posa sur un terrain, où, de toute évidence, l'accord aurait entraîné la disparition de l'une ou de l'autre Congrégation" (*Vie du P. d'Alzon*, II, p. 258-260). -"Question primordiale en effet, écrit de son côté le chanoine Catta. Il ne se demande pas si, de la fusion, ne pourrait pas naître un esprit *nouveau*, commun aux deux éléments. Il pose la question... Sans faire ici d'hypothèses imaginaires, tout ce que nous savons des personnalités en cause [le P. d'Alzon et le P. Moreau], de leur spiritualité respective, nous permet de penser que la fusion, un instant entrevue, n'aurait pu résister à quelques mois d'expérience (*Le T.R.P. Moreau*..., II, p. 284-287).