Touveneraud, LETTRES, Tome 2, p.103

16 jun 1856 Lamalou, SAINT_MAUR

La voie royale de la croix demande notre abandon total à Notre-Seigneur. De sa naissance à sa mort, Jésus-Christ a souffert, et il veut que nous souffrions. -Ces conseils ne sont pas seulement pour les religieuses, mais pour toutes les chrétiennes; saint Paul n’en donnait pas d’autres. -L’amour de Notre-Seigneur est la mesure de nos sacrifices.

Informations générales
  • T2-103
  • 701
  • Touveneraud, LETTRES, Tome 2, p.103
  • Orig.ms. ACR, AM 369; D'A., T.D. 38, n. 6, pp. 86-89.
Informations détaillées
  • 1 ABANDON A LA MISERICORDE DE DIEU
    1 AMOUR DU CHRIST
    1 AUTEURS SPIRITUELS
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 CHOIX
    1 COUVENT
    1 DEVOIRS DE CHRETIENS
    1 GENEROSITE
    1 IMITATION DE DIEU
    1 PERFECTION
    1 PORTEMENT DE LA CROIX PAR LE CHRETIEN
    1 RENONCEMENT
    1 SOUFFRANCE APOSTOLIQUE
    1 SOUFFRANCES DE JESUS-CHRIST
    2 PAUL, SAINT
    2 SACY, LOUIS ISAAC LE MAISTRE DE
  • AUX ANCIENNES ELEVES DE SAINT-MAUR
  • SAINT_MAUR
  • 16 juin [18]56.
  • 16 jun 1856
  • Lamalou,
La lettre

Mes chères enfants,

On me dit que ma dernière lettre vous a fait quelque bien. Je suis tout heureux de pouvoir correspondre de temps en temps avec vous et de vous donner quelques avis qui puissent vous porter à devenir meilleures. Je vous engage d’abord à lire très attentivement les chapitres 17 et 18 du IIIe livre de l’Imitation de Notre-Seigneur. Voyez que dans ces pages tout vous est applicable; voyez aussi dans quelle mesure vous voulez vous les appliquer et concluez de là la mesure de votre générosité. Si vous voulez être réellement chrétiennes, il ne faut point faire d’exception à cet abandon total à Notre-Seigneur. Si vous en faites, vous pouvez l’aimer de bouche, vous ne l’aimez pas de coeur. Vous pensez comme les hommes, vous sentez en beaucoup de choses selon le sens humain, mais non pas selon le sens chrétien. Eh bien! quelle manière de juger, de sentir, de faire, voulez-vous prendre désormais? Voulez-vous penser, parler, agir en filles d’Eve ou en filles de Marie? Si c’est comme filles d’Eve, je n’ai plus rien à dire; si c’est, au contraire, comme Jésus et Marie que vous voulez vivre, dites avec l’Imitation: Seigneur, je souffrirai volontiers pour vous tout ce qui vous plaira qu’il m’advienne; et quand vous l’aurez dit, vous vous souviendrez que qui dit tout n’excepte rien. Alors vous lirez ce terrible chapitre 18, vous entendrez Notre-Seigneur dire: Depuis l’heure de ma naissance jusqu’à mon dernier soupir sur la croix je n ‘ai jamais été un instant sans souffrir; et vous entendrez l’âme fidèle le remercier de nous avoir enseigné cette voie bonne et droite pour arriver au royaume éternel.

Souffrir, souffrir avec Jésus-Christ, voilà cette voie royale de la croix qui se dirige dans un sens si opposé à la voie du monde. N’est-ce pas à de jeunes chrétiennes, surtout au moment de choisir un état, à se demander: « Quel sera mon chemin? » La joie ou la tristesse, le plaisir ou la douleur, la vie des sens ou la vie d’immolation, d’une part, il faut choisir; d’autre part, Notre-Seigneur ne dissimule rien. Si vous penchez de son coté, il faudra porter la croix, vous dévouer, vous sacrifier, vivre sous le joug du devoir, vivre de guerres et de combats, accepter pour ennemi tout ce qui charme, n’être pas un seul moment sans souffrir, comme votre Maître et votre modèle, et vous réjouir de la souffrance comme d’un bienfait.

Je suis sûr que plus d’une d’entre vous dit en écoutant ce qui précède: « Mais l’on s’est trompé! Tout cela s’adresse à des religieuses et non pas à des personnes du monde. Quelle cruauté de nous parler ainsi! » A l’époque où saint Paul écrivait aux Ephésiens, les couvents n’existaient pas encore. Ecoutez comme il parle dans un chapitre, où il donne des conseils aux maris et aux femmes: Soyez les imitateurs de Dieu, comme des enfants bien-aimés. Marchez dans la charité comme Jésus-Christ qui nous aime, et, à cause de cet amour, s’est livré pour nous, comme une oblation et une victime d’agréable odeur à Dieu.(1) Ainsi, notre modèle, c’est Dieu; voilà la perfection du but à atteindre; le moyen, c’est l’oblation de soi-même et l’immolation, à l’exemple de Jésus-Christ. Comprenez-vous? Saint Paul invite tous les chrétiens à souffrir et à s’immoler, comme Jésus-Christ lui-même. Pourquoi? Pour arriver à l’imitation de Dieu. N’est-ce pas désespérant? Oui, sans doute, et très désespérant, si nous ne voyons pas la force secrète que saint Paul nous montre.

Marchez dans la charité, dans la tendresse, c’est le mot.(2) Pourquoi ne marchons-nous pas, n’avançons-nous pas? C’est que nous n’aimons pas. Si nous aimons beaucoup, nous offrirons, nous immolerons tout. Si nous aimons peu, nous donnerons peu. Si nous n’aimons pas, nous ne sacrifierons rien. C’est toute notre histoire. Voilà une très triste mais très claire explication de notre passé. Nous avons donné, selon que nous avons aimé Notre-Seigneur. L’amour de Notre-Seigneur est la mesure de nos sacrifices, et si nous en avons fait si peu, peut-être, c’est que nous ne l’aimons point, malgré toutes nos protestations. Aimons Jésus-Christ et tout changera. Le sacrifice nous deviendra une nécessité. Nous ne croirons avoir jamais assez offert, assez sacrifié, et ce besoin d’immolation et de prouver notre amour par le sacrifice nous rendra les enfants bien-aimés de Dieu, dont nous deviendrons les imitateurs. Telle est la perfection, pour laquelle vous êtes toutes faites et que je vous souhaite à toutes du fond du coeur.

E. D'ALZON.
Notes et post-scriptum
2. *Agapé* (texte grec) *dilectio* (vulgate); "l'amour et la charité" (traduction Lemaistre de Sacy).1. EP 5, 1-2.