Touveneraud, LETTRES, Tome 2, p.527

19 sep 1858 Lamalou COMBIE_JULIETTE

La Providence semble vouloir les rapprocher pour qu’elles avancent dans la tendresse chrétienne de deux soeurs. -Cette affection spirituelle sera pour l’une et l’autre un moyen de perfection.

Informations générales
  • T2-527
  • 1107
  • Touveneraud, LETTRES, Tome 2, p.527
  • Orig.ms. AC P.S.A.; D'A., T.D. 34, n. 11, pp. 63-65.
Informations détaillées
  • 1 ACTION DE DIEU DANS L'AME
    1 AMITIE
    1 EFFORT
    1 ENFANTEMENT DES AMES
    1 PATERNITE SPIRITUELLE
    1 PRATIQUE DES CONSEILS EVANGELIQUES
    1 PROVIDENCE
    1 REFORME DU CARACTERE
    1 SAINT-ESPRIT
    1 SAINTE COMMUNION
    1 SAINTS
    1 UNION DES COEURS
    1 VERTUS
    2 COMBIE, JULIETTE
    2 DOUMET, MADAME EMILE
    2 THERESE, SAINTE
    3 LAMALOU-LES-BAINS
    3 NIMES
    3 NIMES, EVECHE
    3 VICHY
  • A MADEMOISELLE JULIETTE COMBIE ET A MADAME DOUMET
  • COMBIE_JULIETTE
  • Nîmes, le 19 sept[embre] 1858(1).
  • 19 sep 1858
  • Lamalou
La lettre

Ceci est pour mes deux filles Juliette et Delphine.

Mes chères filles,

J’éprouve le besoin de vous écrire à toutes les deux. Il est des choses que l’on dit mieux seul à seul; il y en a d’autres qu’il me semble, on dit mieux à trois.

Il me semble impossible de ne pas voir une disposition de la Providence, qui vous a séparées quelques années et qui a ménagé un douloureux concours de circonstances pour vous rapprocher aujourd’hui. Vous vous êtes retrouvées toutes les deux sur des terrains divers: Juliette ayant renoncé au mariage, hésitant encore pour voir si ses dernières années ne finiraient pas dans un couvent; Mme Doumet, brisée par le malheur, et voulant revenir à des idées et des sentiments endormis. Après une année passée à vous ressaisir, à vous essayer l’une l’autre, le moment me semble venu (sauf la volonté de Dieu) de rapprocher encore plus vos deux vies dans un élément, dont vous avez en vous le principe, mais qu’il faut développer. Vous vous aimez certainement. Je ne sais si vous avez, autant que vous pouvez l’avoir, la tendresse chrétienne de deux soeurs, chez qui l’amitié de l’âme est plus forte encore que les liens du sang. Sainte Thérèse parle quelque part de cette amitié et souhaiterait en être le but(2), parce qu’elle est utile à celle qui en est l’objet, et qu’elle est une vertu chez l’âme qui la possède.

Voulez-vous désormais vous aimer ainsi? Vous répondez oui, assurément, et ce n’est pas là une de ces questions qui embarrassent et qui troublent quelqu’un de ma connaissance. Eh bien! si votre réponse est affirmative, il faut que vous fassiez l’une et l’autre la promesse de vous supporter réciproquement, de ne plus écouter les petites misères qui mirent un peu de froid entre vous, à l’époque du départ de Juliette pour Vichy. Ce n’est pas tout, ou plutôt ce n’est rien; il faut que, dans une communion que vous ferez l’une pour l’autre, vous demandiez à Notre-Seigneur la force d’accomplir les devoirs mutuels qui pèsent sur deux personnes résolues à s’exciter réciproquement à la perfection. Ce ne sera pas toujours facile. Le caractère de chacune de vous voudra quelquefois reprendre le dessus; l’une sera trop vive, l’autre sera trop sombre; l’une se découragera quand l’autre sera en ferveur. Il n’en est pas moins vrai que le Saint-Esprit a dit: « Le frère aidé par son frère est comme une citadelle fortifiée »(3). Et, en effet, quelle puissance n’a pas, pour nous soutenir, l’affection dont on est sûr? Et quelle force cette affection n’acquiert-elle pas lorsqu’elle est un moyen de perfection, et qu’elle est sûre de franchir les limites du temps et de remonter à son principe qui est Dieu?

Je ne sais pourquoi je crois vous révéler comme un monde nouveau. Je ne puis voir rien de beau comme deux soeurs qui s’aiment d’une affection, dont Dieu, qui est amour, est la source et le terme, et dont la vie n’est qu’un commun effort vers la pratique des vertus qui font les saints. Ceci, vous le voyez, est sérieux et si, comme je n’en doute pas, mes paroles trouvent une libre entrée dans vos âmes, voici ce que je vous propose. J’offrirai pour vous une des premières messes que je dirai à mon retour à Nîmes, et vous y promettrez, au moment de communier, de vous dévouer mutuellement à la sanctification l’une de l’autre. D’ici-là, exercez-vous à vous ouvrir réciproquement vos sentiments, vos pensées. D’abord vous y aurez de la peine; c’est le côté par où l’affection que je vous propose est une vertu. Quand on veut faire une chose sainte, il faut envisager plus le mérite que la jouissance, mais la jouissance aussi viendra vite, croyez-le; la force surtout vous sera donnée, et vous ferez dix fois plus de progrès que si vous fussiez restées dans l’isolement.

Adieu, mes filles. En vous écrivant ainsi, je me laisse peut-être trop aller au bonheur d’être votre père. Il me semble pourtant vous donner un moyen voulu de Dieu de devenir des saintes, destinées à porter la double couronne des vertus que vous aurez acquises, et celles que vous vous serez aidées à acquérir.

Tout vôtre en Notre-Seigneur.

E. D'ALZON.
Notes et post-scriptum
2. *Le chemin de la perfection*, ch. VII.1. Le P. d'Alzon écrit de Lamalou en utilisant un papier à l'en-tête de l'évêché de Nîmes.3. Pr 18,19.