Touveneraud, LETTRES, Tome 2, p.573

5 dec 1858 Nîmes. MONTALEMBERT

Il félicite Montalembert de refuser la grâce de l’empereur et serait heureux de le voir mettre sa vigueur au service de la cause de l’Eglise, comme au temps de leur ancienne amitié.

Informations générales
  • T2-573
  • 1155
  • Touveneraud, LETTRES, Tome 2, p.573
  • Orig.ms. ACR, AO 110; D'A., T.D. 39, p. 354.
Informations détaillées
  • 1 ADMINISTRATION PUBLIQUE
    1 AMITIE
    1 CAUSE DE L'EGLISE
    1 CLERGE SECULIER
    1 DESPOTISME
    1 DISTINCTION
    1 EGLISE ET ETAT
    1 ENERGIE
    1 LIBERTE DE L'ENSEIGNEMENT
    1 OPPORTUNISTES
    1 ORDRES CONTEMPLATIFS
    1 POLEMIQUE
    1 POLITIQUE
    1 PRESSE
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    2 BROSSAIS-SAINT-MARC, GODEFROID
    2 FALLOUX, ALFRED DE
    2 LOUIS-PHILIPPE Ier
    2 LOUIS, SAINT
    2 MEAUX, VICOMTESSE CAMILLE DE
    2 MORLOT, FRANCOIS-NICOLAS
    2 NAPOLEON III
    3 ANGLETERRE
    3 BRETAGNE
    3 FRANCE
    3 INDES
    3 PARIS
    3 RENNES
    3 SEINE, DEPARTEMENT
  • A MONSIEUR LE COMTE DE MONTALEMBERT
  • MONTALEMBERT
  • le 5 décembre 1858.
  • 5 dec 1858
  • Nîmes.
  • Evêché de Nîmes,
La lettre

Mon cher ami,

Permettez-moi de venir ajouter mes félicitations à celles dont vous êtes certainement l’objet, de bien des côtés, pour la noblesse avec laquelle vous repoussez les grâces du 2 décembre(1). Peut-être eussé-je souhaité que vous vous les fussiez attirées pour un motif supérieur à l’éloge de l’Angleterre, mais je ne puis vous dire quelle joie me cause cette manifestation d’un caractère fidèle à lui-même. Laissez-moi désirer seulement que cette vigueur, si rare aujourd’hui, soit consacrée comme autre[fois] à cette cause, dont l’Eglise vous a fait l’honneur d’être le chef en France.

Tout à vous, mon cher ami, avec la plus cordiale admiration.

E. D'ALZON(2).
Notes et post-scriptum
1. Le P. d'Alzon avait d'abord écrit: les *impertinences* du 2 décembre. -Rappelons les faits. Dans *le Correspondant* du 25 octobre 1858, Montalembert avait publié un article à l'éloge de l'Angleterre, qui, aux termes de la révolte des Cipayes aux Indes, préféra la clémence à la répression. Cet article intitulé: *Un débat sur l'Inde au Parlement anglais* pouvait apparaître en France comme un éloge du parlementarisme et, par là même, une offense au gouvernement impérial. Aussi Napoléon III autorisa des poursuites contre Montalembert qui comparut devant le juge d'instruction, le 4 novembre et, le 24, devant la VIe chambre du tribunal de la Seine. Il fut condamné et, malgré l'intervention de hautes personnalités, comme Mgr Morlot, il demanda de passer devant la cour d'appel. C'est alors qu'ouvrant *le Moniteur*, il y trouva ces lignes: "L'empereur, à l'occasion du Deux-Décembre, a fait grâce à M. de Montalembert de la peine prononcée contre lui". Montalembert répliqua: "Aucun pouvoir en France n'a eu jusqu'à présent le droit de faire remise d'une peine qui n'est pas définitive. Je suis de ceux qui croient encore au droit et n'acceptent pas de grâce". Il fallut bien le juger encore une fois; ce fut le 21 décembre; mais, le 28, Napoléon III lui imposa sa grâce de la nouvelle sentence prononcée contre lui.1. Le P. d'Alzon avait d'abord écrit: les *impertinences* du 2 décembre. -Rappelons les faits. Dans *le Correspondant* du 25 octobre 1858, Montalembert avait publié un article à l'éloge de l'Angleterre, qui, aux termes de la révolte des Cipayes aux Indes, préféra la clémence à la répression. Cet article intitulé: *Un débat sur l'Inde au Parlement anglais* pouvait apparaître en France comme un éloge du parlementarisme et, par là même, une offense au gouvernement impérial. Aussi Napoléon III autorisa des poursuites contre Montalembert qui comparut devant le juge d'instruction, le 4 novembre et, le 24, devant la VIe chambre du tribunal de la Seine. Il fut condamné et, malgré l'intervention de hautes personnalités, comme Mgr Morlot, il demanda de passer devant la cour d'appel. C'est alors qu'ouvrant *le Moniteur*, il y trouva ces lignes: "L'empereur, à l'occasion du Deux-Décembre, a fait grâce à M. de Montalembert de la peine prononcée contre lui". Montalembert répliqua: "Aucun pouvoir en France n'a eu jusqu'à présent le droit de faire remise d'une peine qui n'est pas définitive. Je suis de ceux qui croient encore au droit et n'acceptent pas de grâce". Il fallut bien le juger encore une fois; ce fut le 21 décembre; mais, le 28, Napoléon III lui imposa sa grâce de la nouvelle sentence prononcée contre lui.
2. Il n'est pas d'autre commentaire à cette lettre que de citer la réponse de Montalembert (ACR, EB 540; lettre inédite à ce jour).
Paris, ce 5 janvier 1858. [sic]
Monsieur l'abbé et respectable ami,
Permettez-moi d'emprunter la main de ma fille [Elisabeth, qui épousera le vicomte M.-Camille de Meaux - précision ne figurant pas dans l'édition (II,p.573) et communiquée par J.P. Périer-Muzet, novembre 2000] pour vous remercier du précieux souvenir qui m'est venu de vous à l'occasion de mon procès. Je vous avoue que je me croyais tout à fait oublié par vous; j'en ai été d'autant plus sensible à la marque d'intérêt que vous m'avez donnée en cette crise importante de ma vie. Je ne sais si, à la distance où vous êtes de Paris et vu le silence imposé à la presse sur les débats de la justice, vous avez pu vous faire une idée exacte du résultat que j'ai obtenu en cour d'appel. Ce résultat a été une victoire inespérée, due surtout à la prodigieuse éloquence de mes illustres défenseurs. L'arrêt a écarté toutes les dispositions injurieuses et dangereuses du premier jugement et n'a laissé qu'une pénalité insignifiante à l'application de cette grâce déjà refusée et dépouillée de tout son venin.
Vous ne sauriez douter de la satisfaction que j'éprouverais, sous tous les rapports, à me re trouver dans la situation que vous me rappelez en me parlant de mes anciennes luttes pour la liberté de l'Eglise. Mais vous devriez bien m'expliquer comment il faudrait s'y prendre pour défendre aujourd'hui, dans l'ordre politique, la cause d'un clergé qui a renié, ou laissé renier en son nom, tous les principes qu'il professait naguère. Vous n'avez sans doute pas oublié que, depuis les premiers jours de ma carrière en 1830, je n'ai jamais compris ni pratiqué la défense de la cause catholique en dehors des libertés religieuses et politiques qui sont l'âme de la société moderne. Le clergé français avait adopté et professé ces libertés pendant tout le règne de Louis- Philippe; en 48, il a fallu des efforts considérables pour réprimer son républicanisme *exagéré*, et maintenant il occupe le premier rang parmi les adulateurs et les soutiens du despotisme. Non contents d'arborer la doctrine de la compression en tout, ses chefs et ses organes attitrés révoltent les gens d'honneur par l'excès de leurs flatteries envers le pouvoir absolu. Ils ne craignent pas de saluer comme la *restauration de la monarchie chrétienne* et le *règne d'un nouveau Saint Louis*, un régime qui, comme nous le voyons en ce moment, pour la question de la paix ou de la guerre, met à la merci d'un seul homme, sans contrôle et sans frein quelconque, les destinées de 36 millions de Français et même de toute l'Europe chrétienne! Quelle sympathie voulez-vous que j'aie désormais avec les hommes qui, malgré tous les avertissements, ont établi une détestable solidarité entre l'Eglise de France et l'autocratie impériale? J'espère que vous avez eu connaissance de la belle lettre de M. de Falloux sur le voyage de l'Empereur en Bretagne. Elle vous aura montré quels sont les sentiments qu'un langage comme celui de l'évêque de Rennes fait naître dans les coeurs les plus dévoués à l'Eglise.
Les hommes qui, comme moi, ont désiré servir la liberté et la dignité de l'Eglise n'ont d'autre ressource que de se réfugier dans le passé. C'est ce que je fais en continuant un travail commencé il y a 20 ans sur les ordres monastiques. Vous en avez vu un échantillon dans le *Correspondant* du 25 novembre.
Je serai toujours heureux, mon cher et vénérable ami, de recevoir de vos nouvelles et je me recommande à vos prières en vous renouvelant l'assurance de mon ancien et affectueux dévouement.
Ch. de Montalembert.