TEXTES AYANT TRAIT AU COLLEGE DE NIMES|RAPPORTS

Informations générales
  • TD 1-5.131
  • TEXTES AYANT TRAIT AU COLLEGE DE NIMES|RAPPORTS
  • RAPPORT DE M. L'ABBE D'ALZON, DIRECTEUR.
  • Rapport de M. d'Alzon, directeur (Dans: Maison de l'Assomption à Nîmes. Nîmes, Typographie Ballivet et Fabre, 1851, p. 5-27).
  • DU 13; TD 1-5. P. 131
Informations détaillées
  • 1 ARMEE
    1 BACCALAUREAT
    1 BONNES OEUVRES DES LAICS
    1 CHEFS D'ETABLISSEMENT
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 COLLEGES
    1 CONSEIL SUPERIEUR DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE
    1 DISCIPLINE SCOLAIRE
    1 DISTINCTION
    1 EDUCATION RELIGIEUSE
    1 ENSEIGNEMENT CATHOLIQUE
    1 ENSEIGNEMENT DE LA LITTERATURE
    1 ENSEIGNEMENT DES SCIENCES
    1 ENSEIGNEMENT OFFICIEL
    1 ESPRIT CHRETIEN
    1 ESPRIT CHRETIEN DE L'ENSEIGNEMENT
    1 EXTERNATS
    1 FRANCHISE
    1 INSPECTION SCOLAIRE
    1 INSTITUTS RELIGIEUX
    1 LIBERTE DE L'ENSEIGNEMENT
    1 LIVRES DE CLASSE
    1 MAISONS D'EDUCATION CHRETIENNE
    1 MAITRES
    1 PARENTS D'ELEVES
    1 PARESSE
    1 PLEIN EXERCICE
    1 QUERELLE DES AUTEURS CLASSIQUES
    1 RAPPORTS ANNUELS
    1 REPRESSION DES DEFAUTS DES JEUNES
    1 TRAVAUX SCOLAIRES
    1 UNIVERSITES CATHOLIQUES
    2 AFFRE, DENIS
    2 ALAUZIER, GUSTAVE D'
    2 BALLIVET ET FABRE
    2 BARAGNON, JULES
    2 BERAGE, FERDINAND
    2 BES DE BERC, LUDOVIC
    2 BOISSIER, CHARLES
    2 BOUZIGE, ERNEST
    2 BRIGNAC, RAYMOND DE
    2 CART, JEAN-FRANCOIS
    2 CONTE, LEON
    2 FERRY, CAMILLE
    2 GARNIER, PAULIN
    2 GRANIER, HIPPOLYTE
    2 LABAUME, CHARLES DE
    2 MALOSSE, PAULIN
    2 MAURIN, EDWARD
    2 MONNIER, EMMANUEL
    2 MONTAL, ALBERT DE
    2 PEGAT, GEORGES
    2 PIELAT, JOSEPH
    2 POLGE, JULIEN
    2 REDIER, JOSEPH
    2 RICHARD DU ROCHER, AUGUSTE
    2 ROBINET DE CLERY, ADRIEN
    2 ROBINET DE CLERY, FELIX
    2 ROUSSET, ALBERT
    2 SAUVAGE, LEON
    2 SOULEZE, AUGUSTE
    2 VAN GAVER, LEOPOLD
    2 VEUILLOT, LOUIS
    3 SAINT-CYR-L'ECOLE
  • 16 août 1851
  • Nîmes
La lettre

Messieurs,

Cette cérémonie ne sera point précédée du discours d’usage, où l’un de nos collaborateurs venait, les années précédentes, vous exposer quelqu’une des pensées qui président à notre système d’éducation. Si je me suis réservé le droit de me lever seul aujourd’hui devant vous, c’est que je crois avoir beaucoup de choses à vous dire, et que c’est à moi de vous les dire.

Les conséquences de la nouvelle loi sur l’enseignement commencent à se faire sentir. On prétend déjà pouvoir juger du régime de la liberté par ses fruits. Les uns regrettent l’ancien état de choses, et pour eux, dans le système actuel, les inconvénients paraissent se multiplier à chaque pas; les autres, au contraire, trouvent qu’on n’a pas assez accordé à la liberté. Pour nous, tout en partageant l’avis de ces derniers, nous nous rappelons que le chef de l’Eglise a invité les Evêques de France à prêter, par esprit de conciliation, un concours loyal à ce qui semblait fait en faveur des catholiques. Au milieu de cette incertitude des idées, nous avons été heureux de nous soumettre à une direction qui nous sera toujours de toutes la plus chère, et nous venons vous dire ce que nous pensons de l’état présent de l’instruction en France, ce que nous avons entrepris pour mettre en oeuvre notre part de liberté.

Le premier reproche que nous avons entendu faire à la loi, ce serait d’avoir abaissé le niveau des études. La suppression des formalités exigées pour le baccalauréat aurait produit une désertion affligeante dans les hautes classes des collèges; et, grâces aux envahissements d’une industrie nouvelle, on risquerait de n’avoir bientôt plus que des fabriques de bacheliers.

Le reproche est, selon nous, complètement inexact. Premièrement, est-il vrai que nous ayons à redouter si fort de voir les études livrées en proie à la spéculation? Voici des faits: dans les quelques départements d’où nous viennent les élèves, cinq ou six collèges libres ont été établis. Ces collèges se sont remplis; il semblait que nous dussions en souffrir; pourtant, nous avons compté, cette année, cinquante élèves de plus que l’année dernière: et nous aurions probablement un accroissement pareil à la rentrée prochaine, si nous avions voulu agrandir nos bâtiments. Or, nous ne sommes pas les seuls dans ce cas: de nouvelles Maisons se sont fondées ailleurs, et les élèves qu’elles ont reçus ne venaient pas des anciens Etablissements libres. Il est vrai qu’ils sortent de quelque part.

Peut-on dire plus justement que le niveau de l’enseignement ait si fort baissé depuis la nouvelle loi? J’en prends à témoin les personnes les plus compétentes et les plus désintéressées, la décadence a commencé il y a vingt ans. La belle époque des études universitaires fut de 1815 à 1830; depuis, elles ont constamment décliné. La législation actuelle a mis à nu le mal, elle ne l’a pas produit.

Toutefois nous l’avouerons sans peine, les études, en France, sont généralement très-faibles aujourd’hui, et nous tenons à ce que le fait soit constaté, afin que l’on sache bien en quel état les maîtres de l’enseignement libre trouvent l’instruction, au moment où ils viennent en partager la responsabilité avec ceux qui, jusqu’à présent, en avaient eu le monopole; et, comme il nous répugnerait de mettre en cause les hommes honorables auxquels la jeunesse française était confiée, nous nous hâtons de le déclarer avec les autorités les plus graves aux yeux de tous, il faut attribuer surtout cette décadence à l’absurdité profonde du programme du baccalauréat. Nous dirons à notre tour: Oui, l’industrie et la spéculation ont jeté un regard de convoitise sur les élèves des classes supérieures; elles ont vu là ample matière à exploitation. Appuyées sur deux puissants auxiliaires, la faiblesse des parents qui trouvent bien coûteux le temps passé au collège, et la paresse des écoliers pressés d’en finir, elles ont cherché à tirer parti d’une situation encore douteuse. Et voilà qu’écoliers, parents, spéculateurs ont signé un triple contrat en vue d’un triple bénéfice de temps, de travail et d’argent. Et l’on a vu des préparateurs, exploitant la faiblesse des familles, organiser, pour je ne sais quel prix, l’avortement des intelligences. Tout ceci serait parfaitement ridicule, si ce n’était effrayant pour l’avenir; mais à qui la faute? A ceux qui avaient rédigé le programme du baccalauréat. Ce programme, comme on l’a dit si souvent, n’avait-il pas été, en effet, un acte de défiance contre les essais de liberté tentés il y a longtemps déjà? Aussi plusieurs pensent-ils aujourd’hui (et ce ne sont pas seulement les amis de la liberté) que le meilleur moyen de réparer le mal serait de supprimer, avec le programme, le baccalauréat lui-même. Sans doute on n’en viendra pas là tout d’abord; mais je ne crois pas dépasser les limites de la discrétion qui m’est imposée, en invitant les amateurs des méthodes expéditives à se hâter; ils n’ont plus que quelques mois à jouir de leur faveur. Des mesures que l’on est résolu à rendre efficaces vont être prises pour couper court à ces déplorables abus.

Or, quand tous ces trafics auront été supprimés, que restera-t-il? Une concurrence franche et loyale entre des hommes qui tendent au même but, quoique par des moyens divers, et qui engageront une lutte honorable sur le terrain de la liberté: d’une part, l’enseignement public avec ses puissantes racines et la majesté de l’Etat; de l’autre, l’enseignement libre avec la majesté des Evêques et la confiance des familles. Qu’y a-t-il là, je le demande, qui puisse faire craindre pour la force des études?

Mais lors même que de graves abus devraient, dans les premiers temps, résulter de la liberté; quand même un baccalauréat facile dépeuplerait les classes élevées des collèges et préparerait, par la perte du goût, une littérature plus barbare encore que celle du jour; quand même les éleveurs à bon marché menaceraient de compromettre l’avenir de l’éducation en France, à quoi cela aboutirait-il? A faire comprendre de plus en plus la nécessité de donner l’enseignement à de moins rigoureuses conditions. Mais c’est là précisément ce qu’on a déjà réalisé dans une foule d’établissements fondés par les Evêques. C’est ce qu’ont parfaitement saisi les hommes qui ont ouvert de nombreux externats gratuits; et, s’il nous était permis de parler de nous, c’est ce qui nous a poussé à contribuer, par nos sollicitations auprès de notre pieux Evêque, à la fondation, dans cette ville même, d’une seconde Maison de plein exercice. On est fort, croyez-moi, pour offrir, sans spéculation, l’enseignement à bon marché, lorsque l’on peut s’entourer de maîtres qui, dans la glorieuse solitude du célibat, ne demandent, avec le pain de chaque jour, d’autre traitement que ce qu’il faut pour acheter une soutane et quelques livres.

Mais lorsque les établissements publics soutenus par le budget, et les établissements religieux soutenus par le désintéressement des maîtres, rivaliseront d’efforts pour rendre l’enseignement et meilleur et plus accessible à tous, je ne vois pas ce que les études pourront y perdre; et, en supposant même que les mesures contre les bacheliers de serre-chaude eussent été inefficaces, les améliorations produites par la concurrence ne tarderaient pas à dévoiler les tristes effets de ces préparations hâtives.

Nous venons de vous montrer comment les collèges, avec le budget de l’Etat, et les maisons ecclésiastiques, avec la supériorité du dévoûment et les avantages de la pauvreté religieuse, pourront se maintenir et se développer sous le régime de la liberté, tout en fortifiant les études. Peut-être vous demanderez-vous maintenant si les établissements intermédiaires de la nature du nôtre pourront subsister au milieu d’une si redoutable concurrence. Franchement, il nous est impossible d’être bien inquiets sur leur avenir. Les parents comprendront à merveille certaines nuances; ils viendront frapper à notre porte, parce que d’autres n’y frapperont pas, et voudront être protégés par une barrière que tous n’auront pas pu franchir.

D’ailleurs, ces établissements ont un caractère d’utilité incontestable? et la confiance qui les entoure, l’influence qu’ils exercent, leur donnent, avec une mission spéciale, les moyens de l’accomplir. Le concours des laïques sert à dissiper bien des préventions. Il facilite au dehors l’exercice de la charité par la visite des pauvres, le patronage des apprentis, etc. L’exemple habituel de maîtres qui savent allier la vie du monde à la pratique journalière des devoirs de la vie chrétienne, révèle à nos enfants ce qu’eux-mêmes pourront être un jour. Et, à une époque où les ouvriers manquent à l’Eglise pour étendre son action et répondre à tous les besoins, quels services ne peut-elle pas retirer de chrétiens qui, sans être appelés à la vie religieuse, lui offrent le tribut de leur science et de leur dévoûment

Pénétrés de l’importance de notre oeuvre, puisqu’elle peut produire de tels fruits, et sentant plus que jamais la nécessité de lui donner tout son développement, nous avons compris que le temps était venu d’agir et de profiter au plus tôt des conditions nouvelles de l’enseignement. Nous allons vous dire ce que nous avons fait, ce que nous nous proposons de faire, pour donner plus d’unité à notre enseignement littéraire, pour introduire une pensée plus morale dans l’enseignement scientifique, pour préparer enfin, au-dessus de l’enseignement secondaire, la liberté de l’enseignement supérieur.

Et d’abord, unité dans l’enseignement littéraire.

Nous profitons du bénéfice de la loi qui proclame la liberté des méthodes, afin de nous faire la nôtre. Nous sommes loin, toutefois, de vouloir céder à l’engouement général pour ces procédés faciles, à l’aide desquels on est censé apprendre en très-peu de temps, parce qu’en définitive on apprend très-peu, si tant est que l’on apprenne quelque chose. Il ne s’agit pas de méthodes plus aisées, mais de méthodes meilleures. Le Conseil supérieur lui-même s’efforce, depuis plusieurs mois, de préparer de profondes modifications dans les études des écoles publiques.

Témoin des efforts sincèrement tentés pour parer aux nombreux inconvénients des systèmes actuels, il nous est permis sans doute, dans notre liberté, de choisir, parmi ces améliorations, celles qui nous paraissent devoir être introduites chez nous. Mais, le dirons-nous? ce que nous posons avant tout comme principe de notre enseignement, c’est ce qui ne se trouve pas, ce qui ne peut pas se trouver dans les collèges de l’Etat: l’unité de la méthode. Admettons, si l’on veut, que les plans d’études dans l’enseignement public seront meilleurs que les nôtres; que les professeurs seront individuellement plus instruits, plus habiles dans l’art de communiquer la science; nous aurons toujours, nous, membres de l’enseignement libre, un immense avantage: le droit d’imposer à nos collaborateurs la loi nécessaire de l’unité.

Cette unité, jusqu’à présent, a été incompatible avec ce que l’on est convenu d’appeler l’indépendance du professeur. Il faut bien qu’on se résigne à cette situation, qui est la conséquence de ce qu’on est encore convenu d’appeler l’émancipation de l’esprit humain. Comment voulez-vous qu’un homme dont la vie s’est écoulée dans de consciencieux labeurs, qui a rapporté de ses longues méditations un système à lui, renonce à ses idées, en fasse complètement abstraction dans son enseignement? Plus il les aura mûries dans le silence de la réflexion, et plus il s’y sera attaché; mais ce système, c’est son oeuvre, c’est l’enfant de son intelligence, c’est quelque chose de lui-même; et vous voulez qu’exposé à la tentation de l’appliquer, de le développer, il l’abandonne, il le sacrifie, à quoi? à une convenance légale. C’est bien assez qu’il s’arrête devant certaines prohibitions, et ne dise point tout ce qu’il a dans la pensée, en matière de dogme et de morale. Extérieurement, il acceptera bien jusqu’à un certain point ce qui lui est prescrit; mais il est de ces choses intimes, vivantes, que le geste, le regard, peuvent seuls communiquer; il n’en donnera que ce que son inspiration, sa pensée propre, lui permettront d’en donner, et il aura raison. Et c’est par là que péchera toujours l’enseignement public, confié même à des hommes supérieurs. Quelle serait, en effet, dans l’ordre des idées actuelles, l’autorité assez forte pour leur imposer l’unité?

C’est par là, au contraire, que les établissements libres se relèveront toujours, quand on le voudra. Les Institutions ecclésiastiques ou les Associations chrétiennes possèdent seules cette autorité qui, pour s’exercer sur les détails de l’enseignement, doit être fondée sur la conscience; seules, maîtresses de choisir leurs collaborateurs, elles ont le pouvoir d’imposer l’unité, et la liberté du contrat leur donnerait au besoin toute facilité pour l’obtenir.

Mais suffit-il que des maîtres aient un plan commun? Ne faut-il pas encore qu’une pensée commune soit le principe et comme l’âme de leur enseignement? Pour nous, laissant à d’autres la doctrine des libres penseurs, nous prétendons que la vérité est une, et que la pensée dans l’enseignement doit être une comme la vérité. Cette unité doit se reproduire même dans les applications de tous les jours. Ceci est difficile, sans doute; mais nous ne reculerons devant aucun sacrifice pour en venir à bout. Et, toutefois, vous comprenez de quel secours peut être contre de tels obstacles l’idée chrétienne, si nette, si précise par elle-même; vous comprenez également avec quelle force elle pénètre dans les jeunes intelligences, lorsque, toujours la même de classe en classe, la voix du professeur en est le constant écho.

Pour réaliser cette double unité, si essentielle, selon nous, nous avons adopté trois principaux moyens. Premièrement, des publications. Pour commencer par les éléments, une Grammaire latine a déjà paru, ainsi que des Vies de Saints, destinées à servir de textes latins dans les classes inférieures. D’autres travaux ont été entrepris. Ainsi, pour mettre la littérature des Pères de l’Eglise à la portée des élèves, de nombreuses recherches ont été faites; et les résultats, coordonnés selon la force des classes, présentent dans leur ensemble un cours complet de religion. La doctrine catholique y est expliquée par les plus grands Docteurs de l’Eglise, dans un langage qui ne le cède en rien, croyons-nous, à la littérature païenne, et qui a du moins l’avantage immense de ne servir de vêtement qu’à la vérité. Il faut le reconnaître, ce ne sont encore que des essais; mais la persévérance, nous l’espérons, rendra fertile cette voie où nous entrons avec une certaine hardiesse.

On ne s’en est pas tenu là: des Conférences ont été établies pour MM. les Maîtres. Chacun vient y apporter à son tour le tribut de ses travaux. Là, se forment les traditions de notre enseignement; là, sont discutés les moyens d’action sur les élèves; là, sont critiqués, approuvés, jugés, des essais de littérature ou de science, selon la spécialité de chacun. Ce contrôle sévère et de la valeur des procédés et des idées personnelles, offre de précieux avantages pour régulariser l’action individuelle et perfectionner de plus cn plus notre système d’éducation.

Enfin, Messieurs, nous avons pensé que le moment était venu de préparer l’unité d’action entre les établissements chrétiens. Il ne s’agit plus pour nous d’obtenir la liberté; telle quelle, nous l’avons; il faut la mettre en pratique. Les catholiques voués à l’enseignement ont besoin de se connaître, de se compter et de mettre en commun les résultats obtenus par eux dans l’éducation. Convaincus de cette nécessité, nous allons commencer une publication périodique, dans le but de recueillir et de répandre toutes les idées propres à introduire l’esprit chrétien dans l’enseignement. Nous faisons dès aujourd’hui appel à tous ceux qui, partageant nos vues et nos espérances, croiront pouvoir nous prêter leur concours. La Revue que nous annonçons sera nécessairement très-modeste, elle fera peu de bruit. Elle doit servir de moyen de communication entre ces hommes de solitude qui, dans l’enceinte des collèges libres ou des petits-séminaires, se consacrent à la mission de préparer pour la France des générations fortes par le dévoûment, la science et la foi. Après s’être unis pour combattre, il est temps de s’unir pour construire; et je ne doute pas que ce recueil sans prétention, en propageant d’utiles pensées, ne développe chez les maîtres chrétiens, et, par eux, chez les élèves, l’amour et le culte légitime des lettres.

L’enseignement scientifique a également fixé notre attention. Il est, pour bien des jeunes gens, l’unique moyen de franchir les barrières placées devant les écoles de l’Etat. Mais, si l’activité et l’ardeur du travail que stimulent les exigences des carrières spéciales ont leurs avantages, que d’inconvénients ne présentent-elles pas? Et ici, je ne parle pas de la difficulté d’atteindre le but, augmentée par une nombreuse concurrence; je suis surtout frappé d’autres périls. Pour combien de jeunes gens le temps passé dans les Ecoles préparatoires n’a-t-il pas été une lamentable époque de chutes morales? Combien n’en a-t-on pas vus y perdre l’innocence avec la foi? Nous aimons à espérer que l’Ecole préparatoire de l’Assomption, tout en donnant aux élèves l’enseignement scientifique convenable, les prémunira contre des dangers auxquels ils ne seront que trop exposés plus tard.

Mais ce point de vue qui suffirait à nous faire persévérer dans nos essais, n’est pas le seul sous lequel nous voulions envisager cette partie de notre oeuvre. Un de nos premiers publicistes, jetant naguères un coup d’oeil sur l’état religieux de la France, disait: « En ce siècle, où l’Eglise a tout à reconquérir et où elle reconquerra tout, sa première conquête sera le soldat; non parce que le soldat est la force, mais parce qu’à tout prendre, il est la vertu. Ce qu’il y eut toujours de meilleur, en France, après le sacerdoce, ce fut l’armée ».(1) Cette pensée est profondément vraie; et il est urgent d’en faire l’application. Si, comme on le dit, des temps approchent où la force brute, sans autre loi que ses appétits, prétendra s’emparer des destinées de la France, que peut-on lui opposer de plus efficace que la force intelligente, dirigée par le devoir; et qu’est-ce que le devoir, sans la morale et sans la religion? L’élément religieux, voilà ce qu’il faut, pour vaincre l’anarchie, à ceux qui ont en main la puissance militaire; et vous comprenez quel dessein est le nôtre: celui de travailler, par l’union de la science et de la vertu, à former, pour l’école de St-Cyr et l’école Polytechnique, des officiers chrétiens, qui porteront un jour noblement l’épée que la France leur confiera, et défendront, par leur courage et par leur foi, tout ce que les hommes de désordre menacent de renverser.

L’arme la plus sûre contre les dangers qui nous attendent (et ceux qui les préparent le savent bien), c’est la pensée religieuse. Contre les ennemis de la société, il ne faut pas seulement des sabres et du canon, il faut encore une action réellement sociale; contre l’armée du désordre qui s’organise chaque jour, il faut une armée chrétienne, et, pour la commander, des chefs chrétiens. Beaucoup le sont déjà. Longtemps unis, comme au moyen-âge, un moment séparés, par l’effet des révolutions, les hommes d’église et les hommes d’épée comprennent aujourd’hui que les uns et les autres ne sont forts que par le dévoûment, et que les deux patries, celle du ciel et celle de la terre, peuvent se confondre dans un même amour. La paix se fait, et l’Eglise, reconnaissante envers les soldats français qui mettaient naguères leur bravoure au service de son Pontife exilé, les a bénis dans sa divine faiblesse; et ils ont senti au fond de leur poitrine que la foi s’allie bien à la valeur, et qu’une espérance éternelle donne seule quelque réalité à la gloire.

Nous voulons donc pour notre Ecole Préparatoire une discipline sévère; nous voulons écarter de plus en plus des élèves qui en font partie certaines précautions exagérées, certains soins féminins, tolérables tout au plus pour ceux qui ne se destinent qu’à la carrière des lettres, mais opposés de tout point aux habitudes vigoureuses et mâles que l’homme contracte toujours avec tant de peine, quand il ne s’y est pas ployé de bonne heure. Nous voulons cette règle austère qui saisit tous les moments du soldat, l’exactitude absolue de l’obéissance, la franchise dans les allures, la loyauté dans les rapports, en un mot tout ce qui sert à maintenir les traditions glorieuses de l’esprit militaire chez les Français. Nous voulons enfin mettre toutes ces nobles choses sous la protection d’une pensée chrétienne qui les rendra bien autrement fécondes pour la société.

Ainsi conçu, l’esprit de l’Ecole Préparatoire n’est-il pas l’esprit de la Maison tout entière? N’est-ce pas du moins celui que nous voudrions lui imprimer? -Oui, c’est bien sous l’empire de ces énergiques pensées, qu’il convient de former des hommes qui soient un jour l’appui et l’honneur de la France. Aussi, par l’importance que nous donnons à la partie scientifique de l’enseignement, par la direction qu’elle devra recevoir, espérons-nous exercer sur tous les élèves, à quelque carrière qu’ils se destinent, la plus heureuse influence, en fortifiant chez eux ces nobles instincts de dévoûment et de sacrifice, sans lesquels l’homme ne fait jamais rien de grand.

Toutes les idées que je viens d’exposer devant vous, ont déjà reçu, Messieurs, un commencement d’exécution. Mais, vous le savez, jusqu’à ce que notre oeuvre ait acquis un développement complet, nous nous appliquerons à y introduire, chaque année, quelque amélioration nouvelle. Convaincus que la question de l’enseignement secondaire ne sera définitivement résolue que le jour où sera décidée la question de l’enseignement supérieur, nous eussions voulu jeter, dès aujourd’hui, les fondements d’une Université libre; mais, puisqu’une loi a été promise, le meilleur moyen d’en faire sentir la nécessité, d’en hâter la discussion, c’est de créer d’avance les premiers éléments d’une institution désormais indispensable.

On a reproché aux catholiques de n’être pas prêts pour la liberté. C’est reprocher à un prisonnier, dont on a tenu longtemps les pieds dans les entraves, de ne pas se mettre à courir au moment même où tombent ses fers. Qu’on nous laisse le temps; nous ne demandons qu’à faire nos preuves. Et d’ailleurs les délibérations récentes des conseils municipaux qui ont offert aux Evêques, aux Congrégations religieuses, aux chefs d’Etablissements libres, tant de collèges communaux compromis dans leur existence, attestent, suffisamment que l’on nous croit bons à quelque chose. J’étonnerais bien, si j’apportais ici des chiffres. Mais pourquoi n’a-t-on pu toujours accepter ces offres? C’est que les professeurs manquent encore. Il importe donc d’en former; et, en attendant que nous ayons des Universités libres, nous pouvons du moins avoir des maisons de hautes études, comme celle que fonda l’illustre Archevêque de Paris, victime des barricades, dans cette maison des Carmes, consacrée par la mort des pontifes et des prêtres immolés, il y a soixante ans, par la fureur révolutionnaire. Il fait bon de se préparer à la science chrétienne et à la défense de la vérité dans des lieux teints du sang des martyrs. Ce sont là des titres glorieux, nous avons les nôtres: nous sommes ici dans cet ancien enclos des Capucins, dont les derniers tombèrent frappés en embrassant l’autel de Ste-Perpétue. Ces leçons, ces souvenirs sont les privilèges des hommes de foi; les hommes de raison pure auront, je présume, quelque peine, à nous les disputer.

Ce projet, abandonné un instant sous le poids des appréhensions manifestées par ceux mêmes de qui nous avions espéré le plus d’encouragement, a été repris, grâces à la protection que Monseigneur l’Evêque de Nîmes a bien voulu nous accorder. D’autres prélats ont joint leur suffrage à un suffrage si précieux; et, quoique dans des proportions très-restreintes d’abord, tout sera organisé pour la rentrée prochaine.

Il est inutile, je pense, de faire observer combien seront avantageux les rapports de tous les jours qui s’établiront naturellement entre les deux maisons. A proprement parler, elles n’en feront qu’une. Le seul voisinage d’études plus fortes contribuera à relever le niveau des classes secondaires, et le spectacle journalier de la marche du collège sera pour les jeunes aspirants au professorat un enseignement inappréciable, que la théorie seule ne suffirait pas à leur communiquer.

Arrivés au terme de leurs cours, et après avoir obtenu devant les Facultés leurs grades officiels, les élèves de la Maison de hautes études subiront ici de nouveaux examens. Ils recevront alors des diplômes destinés à leur concilier la confiance des établissements chrétiens, à consacrer leurs droits à une pension de retraite, dont nous vous parlerons une autre fois. Et c’est ainsi que, d’une part, en fortifiant les études, de l’autre, en formant des professeurs pour l’enseignement libre, en assurant leur avenir, nous avons l’espoir de donner à cet enseignement des conditions certaines de succès, nous avons l’ambition de concourir efficacement à son triomphe.

Nous ne voulions d’abord rien vous dire sur l’état moral de la Maison. Nous avons déjà tant parlé! Toutefois nous solliciterons encore de vous quelques instants de patience.

Vous savez que désormais les inspecteurs envoyés par l’Etat dans les Etablissements libres n’ont plus les mêmes droits que jadis; cependant les limites dans lesquelles ils doivent se renfermer ne sont pas très-nettement tracées. Des deux côtés, on cherche, toujours au nom de la loi, à faire sa part la plus grande possible, les uns d’investigation, les autres de liberté; mais, afin qu’il soit établi que ce n’est pas la crainte de montrer ce qui se passe chez nous, qui nous porte à restreindre les droits de l’inspection, nous voulons nous citer nous-mêmes devant un tribunal plus haut à nos yeux; nous voulons comparaître devant les pères de famille, après tout les vrais juges dans la cause, et devant la société tout entière, par la publicité. Nous serions toutefois désolés qu’on lit dans cette protestation quelque chose qui put, même indirectement, faire naître de fausses interprétations sur nos rapports avec l’autorité locale. Nous sommes, au contraire, heureux de lui exprimer notre reconnaissance, pour la parfaite délicatesse qu’elle a mise dans toutes ses relations avec nous. Il ne saurait être question ici que de la possibilité d’une lutte de principes. Et, d’un autre côté, les familles, qui ont pu s’effrayer quelquefois de la transparence de nos murs, doivent comprendre aujourd’hui l’immense avantage qu’il y a eu pour nous à ne rien cacher, et à prendre l’heureuse habitude d’agir toujours à la face du soleil.

Commençons par les observations pénibles.

Nous devons signaler, chez quelques élèves de l’Ecole Préparatoire, des dispositions à la critique que nous ne tolérerons pas, j’en réponds; chez d’autres, trop de légèreté et de négligence dans les études. Quand un succès ou un échec doit décider de l’avenir d’une carrière, il semble que l’on devrait travailler avec plus d’énergie.

MM. de la Philosophie ont montré une apathie que ne leur avaient pas léguée leurs devanciers des deux années précédentes.

En Rhétorique, nous avons eu à regretter une opposition, ridicule. Comme on le pense bien, nous y avons mis bon ordre, et un dernier et brillant examen nous a dédommagés des quelques ennuis des premiers mois.

Dans les classes de Seconde et de Troisième, qui forment la Seconde Division, nous avons remarqué un manque de tenue et je ne sais quels germes d’ennui et d’indépendance. Quelques mesures vigoureuses les ont fait promptement disparaître; et il n’est resté, chez ces jeunes dégoûtés, que l’étonnement profond d’avoir donné à penser qu’ils voulaient quitter la Maison. Aujourd’hui personne ne songe à lui dire volontairement adieu; et, s’il s’en trouve qui n’y reviennent pas, on saura à quoi s’en tenir sur les motifs de leur absence.

Dans les Classes inférieures, quelques éliminations ont également été nécessaires; enfin, on a trop bavardé en Septième, et, en Neuvième, on est encore trop paresseux.

Est-ce assez de franchise? -Les rapports trimestriels sont à la disposition de ceux qui voudraient plus de détails.

Si maintenant l’on veut connaître les bons résultats de l’année qui finit, nous constaterons ceux-ci: un esprit de foi plus sérieux et plus fort; un sentiment du devoir plus profond chez le grand nombre; une première communion faite, nous le croyons du moins, avec d’excellentes dispositions; des caractères devenant chaque jour plus fermes et plus virils; somme toute, si notre coeur ne nous fait illusion, la grande majorité des élèves résolus à vaincre leurs défauts, et prouvant leurs résolutions par de fréquentes victoires.

Voici les noms des Elèves dont nous sommes le plus satisfaits:

CONDUITE.

1re Division, MM. Polge Julien, de Brignac Raymond et Conte Léon.

2me Division, MM. Redier Joseph, Garnier Paulin et Bouzige Ernest.

3me Division, MM. Van-Gaver Léopold et Malosse Paulin.

4me Division, MM. Soulèze Auguste, *Piélat Joseph et Robinet de Cléry Félix.

5me Division, MM. Rousset Albert, Maurin Edward, Bérage Ferdinand et de Labaume Charles.

6me Division, MM. Monnier Emmanuel, Pégat Georges et Boissier Charles.

TRAVAIL.

1re Division, MM. Polge Julien, Bès de Berc Ludovic et de Brignac Raymond.

2me Division, MM. D’Alauzier Gustave et Robinet de Cléry Adrien.

3me Division, MM. de Montal Albert, Granier Hippolyte et Van-Gaver Léopold.

4me Division, MM. Soulèze Auguste, Baragnon Jules et Sauvage Léon.

5me Division, MM. Rousset Albert, Bérage Ferdinand ct Ferry Camille.

6me Division, MM. Monnier Emmanuel, Pégat Georges et Richard du Rocher Auguste.

Vous le voyez, Messieurs, une ère nouvelle commence pour l’enseignement libre; les passions, en s’apaisant, laissent place à une noble concurrence, où la France ne peut trouver que profit. Des études consciencieuses s’organisent. Il y a beaucoup à espérer. Pour vous, mes enfants, sans comprendre peut-être tout ce que l’on vient de dire à les parents, vous avez pu en saisir assez pour juger combien la société et la religion sont préoccupées de vous. Vous êtes leur espoir commun: ne leur faites pas défaut; songez, selon la mesure de votre âge, à la dette que vous êtes tenus de payer; et, soutenus par la forte pensée du devoir, puissiez-vous bientôt offrir les fruits glorieux de vos études à vos parents, à la France, à la Religion!

Notes et post-scriptum
1. Louis Veuillot.