TEXTES AYANT TRAIT AU COLLEGE DE NIMES.|DISCOURS DE DISTRIBUTION DES PRIX.

Informations générales
  • TD 1-5.173
  • TEXTES AYANT TRAIT AU COLLEGE DE NIMES.|DISCOURS DE DISTRIBUTION DES PRIX.
  • DISCOURS PRONONCE PAR LE DIRECTEUR DE L'ASSOMPTION.
  • Discours prononcé par le directeur de l'Assomption à la distribution des prix, le 2 août 1859, (Dans: Maison de l'Assomption à Nîmes. Nîmes, Typographie Ballivet, 1859, p. 1-15.)
  • DU 16; TD 1-5, P. 173.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DES AISES
    1 BEAU CHRETIEN
    1 BEAUTE DE DIEU
    1 BEAUTE DE JESUS-CHRIST
    1 BIEN SUPREME
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 DISCOURS DE DISTRIBUTION DES PRIX
    1 HOMME CREE A L'IMAGE DE DIEU
    1 JESUS-CHRIST MODELE
    1 MAL MORAL
    1 NATURE
    1 PAGANISME
    1 PARENTS D'ELEVES
    1 PECHE
    1 PSYCHOLOGIE
    1 QUERELLE DES AUTEURS CLASSIQUES
    1 REDEMPTION
    1 RHETORIQUE
    1 SATAN
    1 THEOLOGIE
    1 VERBE INCARNE
    1 VERITE
    2 ABEL
    2 BALLIVET, IMPRIMEUR
    2 BOSSUET
    2 CAIN
    2 PAUL, SAINT
    2 PLANTIER, CLAUDE-HENRI
    3 ROME, CAPITOLE
    3 ROME, COLISEE
  • Le 2 août 1859
  • Nîmes
La lettre

Monseigneur,

Messieurs,

Tandis que les préoccupations de la science moderne semblent se diriger surtout vers ce qui augmente le bien-être matériel; tandis qu’une certaine école littéraire fouille dans les basses régions du coeur humain pour y découvrir le secret des plus honteuses émotions, il m’a paru bon de vous montrer, dans une réunion qui, pour être consacrée au couronnement d’études classiques, n’en doit pas moins conserver son caractère religieux, la destinée de l’art chrétien, et comment, en employant les éléments extérieurs, il poursuit à travers le monde des sens, la glorieuse mission d’élever la matière vers le ciel, et de donner un sens divin à tout ce dont il s’empare.

Qu’est-ce que l’art en effet? N’est-ce pas la manifestation du beau? Et le beau, comme nous le disions, dans une circonstance analogue, n’est-il pas la splendeur du vrai? Le vrai est donc la base du beau et de l’art. Mais il y a deux sortes de vrai: celui qui exprime les choses passagères et créées; et le vrai, forme éternelle de l’être infini, infini comme lui, s’unissant à lui de l’unité la plus absolue dans une même substance.

Considéré à ce second point de vue, le vrai, la vérité, c’est Dieu même; c’est la beauté incompréhensible dont la contemplation fait son inaltérable félicité.

Jamais rien de créé ne pourra manifester, d’une manière complète? le rayonnement des perfections de Dieu, la beauté divine. Dieu seul en connaît les mystérieux abîmes, parce que seul il en connaît l’essence. Et cependant, être infini, principe de tous les êtres, il possède, dans son sein immense et fécond, toutes les vérités relatives, la notion de tous les êtres secondaires, le type des formes qu’ils devront revêtir quand l’heure de leur réalisation sonnera; et l’homme, qui, par son corps, est la première des créatures matérielles, peut prétendre à en être la plus belle, parce que Dieu a imprimé sur lui l’éclat de son propre visage: Signasti super nos lumen vultus tui, Domine.

Si Dieu est la source du beau, pour acquérir la véritable idée du beau, c’est à Dieu même qu’il faut aller la demander; et, si l’art n’a d’autre but que de manifester le beau dans les choses sensibles, on comprend tout de suite comment il lui faut, cependant, aller chercher ses inspirations en Dieu; on comprend aussi comment l’homme, créé à l’image et à la ressemblance divine, imitation de Celui qui l’a pétri de ses propres mains? peut établir les plus merveilleux rapports entre Dieu et lui. Lorsque, employant les éléments matériels, il leur donne, avec une forme nouvelle, sa pensée et son souffle, l’artiste est l’image la plus fidèle du créateur; mais, pour qu’il se maintienne une pareille hauteur, il faut que, placé entre le ciel et la terre, il demande à la terre les instruments de sa pensée, et au ciel les types du beau que son enthousiasme veut manifester.

Serait-il assez respectueux de dire qu’après avoir tiré la matière première du néant, Dieu fut le suprême artiste, soit en donnant leur lumière aux astres qu’il sema dans l’espace, soit en fixant l’harmonie de leurs révolutions, soit en faisant converger ses oeuvres vers un même but, sa gloire éternelle, manifestée à travers les siècles? Tandis que les enfants de Dieu le louaient dans les cieux, et que les étoiles du matin tressaillaient d’allégresse, les mugissements des flots, la tristesse des déserts, la furie des vents, le parfum des fleurs, les voix du jour, le silence des nuits, indiquaient qu’un grand art avait révélé de merveilleuses beautés à l’oeil et à l’oreille de l’homme. Le Créateur lui faisait sentir sa présence derrière le voile de ses oeuvres; et l’homme, s’il ne voyait pas l’image parfaite de Dieu dans les richesses de la création, comprenait pourtant qu’un Dieu avait pu seul produire toutes ces richesses et ordonner toutes ces beautés.

Nul ne peut dire ce qu’eût été l’art pour l’homme dans son état d’innocence; car, il faut le reconnaître tout d’abord, l’art n’est pas une froide expression d’une morte beauté; l’art implique, de la part de celui qui s’y livre, et la compréhension et l’enthousiasme du beau; il implique une sorte de faculté créatrice, qui reproduit au dehors ce que l’âme a contemplé au dedans d’elle-même. Ce qu’était l’âme de l’homme innocent en face de son Dieu et des communications qu’il en recevait, ce qu’était sa pensée en face du monde dont rien était venu troubler les lois primitives et l’harmonie, qui le dira? Qui dira, par conséquent, quelles oeuvres d’art fussent sorties de ses mains? Eût-il eu des demeures? Eût-il eu besoin d’y ajouter des ornements? Quel culte eût-il rendu à son Dieu? Par quels chants, eût-il célébré sa gloire, l’est-il remercié? Quelle perfection eût atteint sa parole? Et dans la fécondité de sa pensée et dans la richesse de ses expressions, quelle eût été la place de l’art? Questions inutiles et insolubles à la fois.

Mais l’état d’innocence ne dure pas, et Dieu voit la volonté de l’homme apportant le trouble et l désordre dans le plan de la création. Or, que fera Dieu? Artiste admirable, il opposera aux destructions du péché, aux perturbations de la révolte, et (si je puis dire ainsi) à la laideur du mal, la plus éclatante beauté que la création puisse atteindre: la création rebelle, coupable, devant fournir les éléments nécessaires pour manifester un Dieu habitant parmi les hommes, un homme apparaîtra sur la terre, et cet homme sera Dieu.

Je ne m’arrêterai pas à examiner de quelle beauté matérielle était revêtu le corps du Fils de Dieu fait homme; je m’arrête à cette parole de S. Jean: « Le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire »; et je dirai à un artiste: Exprimez-nous cela; reproduisez-nous avec votre ciseau, avec vos pinceaux, vos chants, votre parole, ce mystère, comme vous l’entendrez. C’est un homme, voilà votre domaine; mais c’est un Dieu, et il faut que nous le reconnaissions. La puissance, la sagesse, l’amour, la justice, la bonté, la force, l’indépendance, l’infini, tout cela, il faut nous le faire sentir. Dieu esprit pur, feu consumant, ne peut être reproduit sous une forme sensible; mais voilà Dieu qui cache ses rayons, et les proportionne en quelque sorte à nos yeux; ces rayons pourtant il faut, sinon les voir dans leur vivacité, au moins les deviner sous les ombres de l’humanité qui les couvre.

Un Dieu tel que le Christianisme nous l’enseigne, un homme avec toutes les douleurs de la chute originelle servant de vêtement à la divinité, cet homme et ce Dieu ne formant qu’une même personne en qui l’homme et le Dieu seront toutefois réellement distincts; voilà le type, voilà le modèle que l’art pourra sans cesse copier, qui lui fournira des inspirations jusqu’à la fin des temps, mais dont il ne dépassera jamais la beauté; parce que l’art, quelque parfait qu’il soit, ne dépassera jamais l’infini.

S. Paul, à qui il faut toujours en revenir quand on veut avoir le dernier mot des grandes choses, explique admirablement pourquoi Jésus-Christ est, par excellence, le type de l’art: « C’est, dit-il, que la plénitude de la divinité habite en lui corporellement, In quo inhabitat plenitudo divinitatis corporaliter« . Et maintenant, artistes, ne dites plus que la divinité est trop haute pour vous; la voilà habitant corporellement dans un homme. Voyez comment vous pourrez représenter cet homme, de telle façon que nous soyons contraints d’adorer et d’aimer un Dieu.

Mais l’art ne doit-il peindre que le beau pur, le beau dérivant de la vérité et du bien?

Non; il y a une certaine beauté dans le mal, dont l’esprit de ténèbres, le roi des enfers, Satan, nous fournit le lamentable modèle. « La forme, s’écrie l’auteur de l’Essai sur l’indifférence, la forme reste avec sa beauté essentielle, impérissable, et l’on frémit en la voyant. Le mal est là, le mal idéal, incarné dans cette forme; les ténèbres rayonnent dans cette face, la haine scintille dans ces yeux, l’orgueil inflexible siège sur ce front. Cette forme ravissante, isolée du créateur, isolée de la création, est suspendue dans le vide comme un météore effrayant ».

Et Bossuet, s’adressant à l’armée infernale tout entière: « O anges inconsidérés, vous vous êtes soulevés contre Dieu; vous avez abusé de vos qualités excellentes, elles vous ont rendus orgueilleux. L’honneur de votre nature qui vous a enflés, ces belles lumières par lesquelles vous vous êtes réduits, elles vous seront un fléau et un tourment éternel; vos perfections seront, vos bourreaux, et votre enfer ce sera vous-mêmes ».

Ce que M. de Maistre disait du Moyen-Age, on peut le dire du monde du beau, que e’est une vaste ellipse dont les deux foyers sont Jésus-Christ et Satan, la beauté de toute perfection et la beauté du mal. Non pas que le mal soit beau par lui-même; en soi, il est l’absolue laideur, à moins qu’il ne soit le néant absolu; mais le mal, manifesté à son plus haut degré de développement, ne pouvait l’être que dans un des chefs-d’oeuvre du créateur, et ce chef-d’oeuvre est Satan, le plus beau et le plus coupable des Anges.

Or, voyez se ranger, autour de ces deux chefs, l’armée du bien et l’armée du mal: le Mal, avec ses passions; ses vices, ses esclaves, ses victimes, les Démons et les Damnés; le Christ, avec ses austères vertus, ses Martyrs, ses Vierges, ses Apôtres, ses Anges et ses Saints, mêlés sur la terre en deux vastes camps. Etudiez-en tous les chocs, étudiez les diverses phases de la guerre qui dure depuis Caïn et Abel, qui durera jusqu’à la fin des temps; suivez, par la pensée tous les combats intérieurs, les séductions du crime heureux, le charme de ne pas croire quand on a intérêt à ne croire pas, le fantôme du remords apparaissant par moment comme un dernier appel de Dieu, parfois vainqueur, plus souvent s’enfonçant pour toujours dans la nuit de l’indifférence, les insolents succès de quelques méchants, courts, après tout, comme ce qu’on peut placer entre un berceau et une tombe.

Mettez, d’un autre côté, tout ce que peuvent vous fournir de ravissantes études les luttes de la vertu. Quelque chose de cela, sans doute, a été déjà étudié par l’art païen; mais ce qui ne l’a pas été, ce qui n’a pu l’être, c’est la vertu telle que le Christ en a apporté la notion sur la terre; et c’est par ici que l’art prendra son développement le plus complet.

Le Christianisme seul, en nous donnant de Dieu une connaissance plus étendue, nous révélait trois conditions essentielles pour le développement de l’art: d’abord une notion plus exacte de l’être parfait; ensuite l’idée des perfections qu’il peut, comme créateur, communiquer à ses oeuvres; enfin, par la perfection même que ses oeuvres peuvent atteindre, une intelligence plus vraie de leur dégradation et de leur désordre, quand elles violent les lois de leur nature!

Voilà dès lors les limites de l’art considérablement reculées et son domaine élargi. A cela il faut ajouter un fait, fait immense dans l’humanité et qui modifie les conditions de son existence. C’est qu’en effet, il y a eu une révolte de l’être raisonnable contre son auteur; il y a eu chute, châtiment, et, en face, par l’immolation, par le sacrifice, une -réparation divine. Que l’art s’empare de pareilles données, qu’il les féconde dans les sphères où, sous l’oeil de la foi, il peut se livrer à tout son essor, à quels résultats ne pourra-t-il pas atteindre?

Restent quelques questions à résoudre.

N’y a-t-il de beau que l’art chrétien? A Dieu ne plaise que nous osions l’affirmer. La nature a ses beautés, reflet très éloigné, fort souvent, des perfections de son auteur. Chaque être a sa raison de subsister, son harmonie, et dès lors le genre de beauté qui lui est propre. L’art peut s’emparer de tout cela; mais, si le but de l’art est de ramener, par les choses extérieures,. aux grands et sublimes points de vue du monde des intelligences, qu’on nous accorde que la peinture de certains détails de ménage que le portrait de quelques animaux peut nous donner une satisfaction quelconque, mais n’élèvera pas nos âmes.

Je ne veux pas réveiller de vieilles querelles, et j’accorde que l’art antique est arrivé à une perfection de formes dont nous sommes encore aussi loin que l’on voudra; je n’ai point aujourd’hui l’humeur des disputes. Je demande seulement la permission de prendre deux des chefs-d’oeuvre de l’art païen, l’Apollon et le Laocoon du Belvédère; et, après leur avoir décerné le tribut d’admiration qu’ils méritent, je cherche quelle est la moralité de ces deux statues, Apollon vient de tuer le monstre envoyé par la fureur de Junon contre Latone, Diane et lui; il l’a vaincu, et la joie du triomphe et le sentiment de sa force éclatent, dans la pose et sur tous les traits du jeune dieu. Au fait, qu’y a-t-il là-dessous? Le fils de l’adultère repousse les attaques de l’épouse légitime, acariâtre et délaissée, du roi des dieux; le bon droit peu aimable est vaincu par la vigueur et la grâce des formes.

En face du dieu, je vois son prêtre expirant. Junon, qui n’a pu venir à bout d’Apollon avec un seul serpent, en envoie deux, pour mieux réussir contre le malavisé sacrificateur qui veut déjouer la supercherie du cheval de Troie. On frémit, en voyant les deux reptiles s’avancer du côté de Laocoon. Les voilà, ils sont sur le rivage. Laocoon et ses deux fils sont saisis dans leurs horribles noeuds. Ah! il y a quelque chose d’affreux dans ces convulsions du père et de ses deux enfants, et jusque dans les cris que ce marbre si vivant ne pousse pas. Mais, encore une fois, quel est le sens moral de tout ceci? Un prêtre, parfait honnête homme, avertit ses compatriotes d’une ruse qui sera la ruine de leur ville. Une déesse, furieuse de ce qu’on ne lui a pas donné le prix de la beauté, envoie deux monstres contre ce vertueux citoyen; et le dieu, qui a si bien pu tuer des milliers de Grecs pour un autre de ses prêtres, ne sait pas protéger celui-ci. Ce qu’il y a de moral, de religieux, de divin dans tout cela, ce n’est pas moi qui me chargerai de l’indiquer.

Une statue de l’art antique m’a pourtant ravi d’une admiration sans partage. A travers les galeries du Capitole, vous arrivez dans une salle où l’oeil, fatigué des nombreuses représentations d’Antinoüs, se repose sur un marbre éclairé par un jour qui vient du Colisée; c’est le Gladiateur mourant. Son corps n’a pas été encore emporté; il est là, étendu sur l’arène; appuyé sur un bras, il regarde la vie s’enfuir avec son sang; et, dans ces yeux qui s’étaignent, on croit sentir, sous un voile de tristesse, je ne sais quel rayon d’espérance.

J’ignore absolument le nom du sculpteur et l’époque où le ciseau fit jaillir du bloc un pareil chef-d’oeuvre; mais j’affirme que l’auteur du Gladiateur mourant avait vu expirer des chrétiens et compris quelque chose des grands mystères du martyre.

Ah! vous vanterez tant qu’il vous plaira les perfections de l’art grec; tant qu’il vous plaira, je vous accorderai qu’il possède la perfection des formes extérieures, et le don d’exprimer certains sentiments naturels; mais ce qui agrandit l’homme, ce qui lui rappelle sa destinée, ce qui le rapproche de Dieu, ce qui l’excite à imiter le plus sublime des modèles, ce qui place au-dessus de toutes les beautés de la terre la beauté des vertus nées, au Calvaire, du Sacrifice offert à Dieu par un Dieu, l’art chrétien seul le révèlera, l’art chrétien seul pourra le réaliser.

Mais pourquoi nous perdre en considérations sur les inspirations que reproduisent le marbre ou les couleurs? Nous n’avons pas à préparer des peintres ou des sculpteurs; nous voulons vous rendre des fils qui sachent parler français, et ici les richesses de l’art chrétien sont inépuisables.

De même que Jésus-Christ est le Modèle de toute vertu, de même qu’il est le principe de toute vérité, de même aussi il est la source de toute beauté, il est l’idéal et le type de l’art par excellence, si nous le considérons comme Dieu-Homme, inspirant les artistes qui voudront le reproduire par la peinture ou par le marbre; mais il l’est bien autrement pour ceux qui poursuivent la beauté de la parole humaine. Quelle plus magnifique notion peut-on s’en faire qu’en en cherchant l’origine, d’échos en échos, jusque dans le sein même de Dieu. Voulez-vous savoir ce qu’est la parole par excellence? Ecoutez. « Au commencement la parole était, et la parole était en Dieu, et la parole était Dieu ».

Voilà, du même coup, le point de départ de la théologie catholique et de l’art chrétien de la parole, que si maintenant vous désirez savoir ce qu’est cette parole, on vous répondra qu’elle est la splendeur de la gloire divine, qu’elle est la forme, le revêtement de la substance infinie. Trouverez-vous quelque chose de plus glorieux, de plus splendide, de plus beau que la forme que Dieu lui-même a voulu sentiments donner en sentiments parlant éternellement à lui-même, et sentiments contemplant dans son amour infini?

Eh! bien, c’est cette parole qui « s’est incarnée de mille manières pour les Patriarches et par les Prophètes, et que Dieu a adressée au monde dans les derniers temps par son propre Fils ». « Nul homme ne parla jamais comme cet homme », disaient de lui les émissaires des Pharisiens. C’est cette parole qu’après les Prophètes ont répétée les Apôtres; c’est par elle que les peuples ont été convertis. Elle ne ressemble par rien, j’en conviens, « aux accents persuasifs de la sagesse humaine »; elle a même affecté, dans les premiers temps, je ne sais quelle rudesse qui la séparait brusquement de la molle et subtile habileté des Grecs; mais plus tard, quand il n’a plus été nécessaire de prouver que la Vérité avait établi son empire dans le monde sans aucun secours humain, il n été permis aux Chrétiens de montrer que personne ne peut donner un vêtement convenable à la vérité comme ceux qui possèdent la Vérité divine.

Or, à considérer les choses en elles-mêmes, ou la parole humaine peut-elle prendre mieux son développement que sous l’influence de ces grandes et sublimes doctrines enseignées par Dieu-même à l’homme? Il y a là, pour l’artiste chrétien, si l’on peut sentiments servir de ce mot malheureusement avili par certains affaissements modernes, il y a comme un perpétuel encouragement et un perpétuel désespoir: le désespoir de porter jamais l’art de la parole humaine aussi haut que son idéal, puisque cet idéal est Dieu; et l’encouragement de pouvoir toujours dépasser ceux qui ont précédé; puisque, entre ce qui a été fait et ce que l’on peut faire, il y a l’abîme de l’Infini. Qui dira la force, la majesté, la souplesse, la douceur de cette parole? Qui dira la tristesse de ses accents en face des misères de l’homme; l’ardeur de son espérance en saluant les biens promis, sa haine vigoureuse du mal, sa compassion pour les âmes faibles et tombées, ses indignations contre les provocateurs du vice? Tous les éléments de la pensée humaine viennent sentiments mettre à sa disposition et lui prêtent leur concours, soit pour instruire, menacer ou encourager les hommes, soit pour célébrer les louanges de Dieu.

Considérée à ce point de vue, la parole humaine atteint à une hauteur qui la rend digne de tous les respects; elle a droit à un culte, et ce culte n’est autre que le travail et l’attention à ne point la profaner par le contact de l’erreur.

Enfin, et c’est par ces pensées que nous terminons, tous ne sont pas également capables de porter l’art de la parole à la même élévation. Sans doute, il faut une certaine intelligence pour exploiter les trésors qu’elle possède; sans doute il faut un certain enthousiasme pour vivifier et mettre en oeuvre les divers éléments qu’elle présente aux ouvriers de la pensée. Tous n’ont pas reçu la mission d’être poètes, orateurs, écrivains; mais, tant que l’humanité n’aura pas roulé, à force de décadences, au fond de l’abîme où l’emportent les passions, mauvaises, il sera vrai de dire que rien ne peut aider à donner à la parole ses formes les plus admirables, comme l’inspiration d’une pensée divine, comme le sentiment qu’inspire la défense de la cause de Dieu.

Et, pour nous résumer, si l’art est la manifestation extérieure du beau qui prend sa source dans les profondeurs du vrai et du bien, entre le vrai, le bien, le beau et l’art il y a une alliance intime; employez l’art à un autre but qu’à faire triompher le bien, à propager la notion du vrai, vous apportez les perturbations les plus profondes dans les régions élevées de l’intelligence.

Et voilà le crime de ceux qui ont profané l’art, en le faisant servir à des oeuvres mauvaises. Ah! ils sont bien coupables, ces hommes qui profanent ainsi le plus beau don que Dieu nous ait fait dans l’ordre naturel. Mais, il faut bien le dire aussi, ils ne sentiments rendent vils, en vendant leur langue et leur plume, que parce qu’ils trouvent, dans la société, des acheteurs aussi vils qu’eux.

Mes Enfants, un des buts principaux de l’instruction que vous recevez ici est de vous faire apprécier les beautés de l’art chrétien; soit que vous n’emportiez, au terme de votre éducation (et ce sera le partage du très-grand nombre), que la faculté de sentir et d’apprécier ce qui est conforme ou contraire aux lois du beau; soit que, mieux doués et plus persévérants, vous vouliez essayer vous-mêmes de poursuivre, dans quelques-uns de ses développements, l’art de la parole humaine, souvenez-vous que tourner certains dons contre la vérité est une affreuse profanation. De honteux exemples, je le sais, vous sont donnés tous les jours; le crime, pour sentiments multiplier sur la terre, n’en sera pas moins un crime; et, si quelquefois l’on a vu la justice humaine diminuer les châtiments parce que les délits étaient trop nombreux, je ne sache pas que la justice divine ait encore rien cédé de ses droits insultés.

Ah! croyez-moi, en face de ces intelligences qui semblent ne trouver leur joie qu’à faire servir à l’erreur, au mal ce que Dieu avait fait pour la propagation du bien et du vrai, prenez la résolution courageuse de lutter, ou par la noblesse de vos oeuvres, ou par l’énergie de vos jugements, contre ces entraînements si faciles et si honteux.

Que l’art chrétien soit toujours pour vous une chose sainte, comme tout ce qui touche à Dieu même et à son empire, et que jamais on ne puisse vous reprocher d’avoir trahi, sous prétexte du culte de l’art, la cause du bien et de la vérité.

Notes et post-scriptum