TEXTES AYANT TRAIT AU COLLEGE DE NIMES.|DISCOURS DE DISTRIBUTION DES PRIX.

Informations générales
  • TD 1-5.184
  • TEXTES AYANT TRAIT AU COLLEGE DE NIMES.|DISCOURS DE DISTRIBUTION DES PRIX.
  • DISCOURS PRONONCE PAR LE DIRECTEUR DE LA MAISON.
  • Discours prononcé par le directeur de la Maison à la distribution solennelle des prix, le 1er août 1861. (Dans: Maison de l'Assomption à Nîmes. Nîmes, Imprimerie Clavel-Ballivet, 1861, p. 1-16.)
  • DU 17; TD 1-5, P. 184.
Informations détaillées
  • 1 APOSTOLAT
    1 APOSTOLAT DE LA CHARITE
    1 APOSTOLAT DE LA VERITE
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 DISCOURS DE DISTRIBUTION DES PRIX
    1 EDUCATION RELIGIEUSE
    1 ENGAGEMENT APOSTOLIQUE DES LAICS
    1 FAUSSE SCIENCE
    1 FOI
    1 INDUSTRIE
    1 MATERIALISME
    1 PROFITS D'ARGENT
    1 QUESTION SOCIALE
    1 VACANCES
    1 VERBE INCARNE
    1 VERITE
    1 ZELE APOSTOLIQUE
    2 ALZON, AUGUSTINE D'
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 CLAVET-BALLIVET, IMPRIMEUR
    2 HERODE ANTIPAS
    2 JEAN-BAPTISTE, SAINT
    2 PILATE
    2 PLANTIER, CLAUDE-HENRI
    2 RENDU, ROSALIE
    2 ZACHARIE
  • le 1er août 1861.
  • Nîmes
La lettre

Monseigneur,

Messieurs,

De douloureux motifs ne nous permirent pas, l’an dernier, de prendre part à la fête qui termine les études scolaires; et la couronne funèbre que nous venions de déposer sur la tombe d’une soeur ne nous laissa pas le courage de vous inviter à placer d’autres couronnes sur la tête de vos enfants. Dieu, qui ajoutait bien vite à ce premier deuil un autre deuil non moins cruel, a béni pourtant l’année que vous venez clore avec nous; et si, dans la famille de l’Assomption, le père a été frappé dans ses affections les plus intimes, il semble que les fils aient voulu lui apporter, comme consolation, une conduite plus régulière, un travail plus assidu, un esprit plus chrétien, de plus énergiques efforts.

Aussi, je le proclame avec satisfaction, l’année a été bonne; et les résultats seront, je n’en doute pas, conformes aux espérances que, dans son ensemble, le zèle pour les études nous a fait concevoir. Je ne formerai qu’un souhait, celui de voir cette bonne volonté persévérer et mûrir, pendant les vacances, par l’accomplissement d’une nouvelle espèce de devoirs. Les vacances sont, sans doute, un temps de repos; elles sont aussi une époque où la liberté qui s’essaie peut prendre une heureuse direction. Rien de plus utile que de l’aider dans son essor, de fortifier dans le bien ceux qui nous quittent au terme de leurs études, et de préparer aussi ceux qui nous reviendront à mieux profiter encore des années qu’ils passeront sous notre toît.

Je voudrais aujourd’hui, pour atteindre ce but, choisir, parmi les conseils à donner, un de ceux qui me semblent le plus important; et j’aime à espérer que, prononcées devant vous, mes paroles auront, grâce à votre haute approbation, un plus fécond résultat.

Je le sais, pour beaucoup, la science, -si mince qu’elle soit, dans le cerveau d’un écolier, au sortir du collège, -est un trésor, un capital qu’il faut exploiter. On l’estime en proportion de ce qu’elle est susceptible de produire.

A l’entrée de certaines carrières, on la tarife, comme nos vins du Midi selon leur degré d’alcool; et, en dehors de plusieurs nobles exceptions, on voit peut-être trop de jeunes hommes se préoccuper avec anxiété de ce que leur intelligence, développée par telle somme de travail et multipliée par telle quantité de connaissances acquises, pourra leur rapporter en espèces sonnantes. L’art, la vraie science s’en vont; le métier finit par tout dominer. Mais, si ce mal augmente tous les jours dans une proportion effrayante, c’est aux établissemens chrétiens à protester, et à donner sur l’usage de l’instruction des notions plus légitimes et plus hautes, en y mêlant toujours la pensée de Dieu, et en la présentant comme une lumière faite pour nous guider vers le but éternel. Sans doute, comme on l’a fait observer, c’est surtout aux ouvriers de la pensée qu’il a été dit: qu’ils gagneront leur pain à la sueur de leur front; mais il faut ajouter que le travail auquel ils sont condamnés est d’.autant plus honorable qu’il est plus désintéressé. Le génie qui transforme son cerveau en presse mécanique, produisant par jour tant de pages payées tant, n’est plus qu’un industriel; il tombe du ciel, qu’il devait habiter, dans l’usine; il perd en gloire ce qu’il gagne en écus. Devant cette tentation de n’envisager les avantages de l’instruction que par les profits matériels, j’affirme qu’une tout autre mission doit être donnée de nos jours à la jeunesse chrétienne; mission qui, par un contraste glorieux avec les tendances modernes, au lieu d’abaisser la science, la relève, en fait un instrument d’apostolat et d’évangélisation. Mais ces expressions dépasseraient peut- être la portée de ce que je me propose de dire; je me bornerai donc à recommander l’aumône spirituelle.

Qu’est-ce que l’aumône spirituelle? C’est un secours compatissant, apporté par un chrétien instruit à une intelligence qui ne l’est pas ou qui l’est peu. C’est une révélation confidentielle de la vérité; c’est une initiation patiente de la foi; c’est l’effort pour réveiller une conscience endormie et qu’on ramène à elle-même, avec un tact où se joignent la prudence et l’énergie; c’est un bon livre, mis avec une ingénieuse charité sous la main de celui qui cherche la lumière et ne l’a pas encore trouvée; c’est la prédication d’un bon exemple, quand la parole serait impuissante; c’est la persévérance obstinée à rappeler au bien une âme égarée; c’est un cri du coeur, retentissant au moment favorable; c’est un travail soutenu pour faire pénétrer le jour au milieu des ténèbres et remplacer l’erreur par la vérité.

Qui niera le bien que cette sorte d’aumône peut faire, aujourd’hui plus que jamais? Aussi voudrais-je pouvoir dire à ceux qui demandent la destruction de la charité, organisée comme elle l’est en France et en Europe depuis quelques années: « Prenez garde d’être, sans vous en douter, les instruments de la Providence. Vous voulez empêcher les catholiques de s’unir pour faire l’aumône d’un vêtement et d’un morceau de pain à la nudité et à la faim du pauvre; vous obtiendrez, à l’aide de terreurs imaginaires, la suppression de certains secours; l’argent qui les payait prendra une autre direction. Les souffrances physiques seront moins soulagées. Les souffrances morales le seront davantage. Vous voulez empêcher des hommes charitables d’aller porter le secours matériel dans les réduits les plus délaissés; ils ne s’arrêteront pas devant les barrières que vous aurez élevées entre les pauvres et eux; seulement leur zèle prendra une autre forme. Vous les aurez empêchés de s’adresser au corps; ils chercheront, ils trouveront des âmes ».

Lorsque le Sauveur du monde commença sa mission, Jean, fils de Zacharie, du fond du cachot où les passions impures d’Hérode l’avaient fait enfermer, envoya deux disciples lui demander: « Etes-vous celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre? » Jésus fit plusieurs miracles devant eux, et leur dit: « Allez et racontez à Jean ce que vous avez vu et entendu: Que les aveugles voient, les boiteux marchent; les sourds entendent; les morts ressuscitent, et les pauvres sont évangélisés ». De tous ces prodiges, le plus grand était l’évangélisation des pauvres: Pauperes evangélizantur.

Il faut avoir pu juger par soi-même, pour la bien comprendre, toute la différence qui subsiste entre le pauvre croyant et le pauvre incrédule. Que de haines accumulées dans le coeur de celui-ci! Que d’aspirations sans résultats! Que de projets formés, dont l’échafaudage, en s’écroulant, brise et meurtrit cet homme dont toutes les pensées s’attachent à la terre, parce qu’on ne lui a jamais parlé du ciel! Que deviennent ses rêves d’ambition, quand, sous un corps usé tantôt par l’excès du travail, tantôt par l’excès de la débauche, quelque fois même par ces deux excès réunis, il sent la vie s’en aller avec ses forces, et le pain de ses enfants lui manquer; soit qu’il ait dissipé son salaire en d’imprévoyants plaisirs, soit que les circonstances, plus fortes que sa bonne volonté, aient détruit tous ses desseins les plus sagement combinés? Que lui reste-t-il, si la foi ne lui reste pas, pour le consoler à certaines heures de crise terrible? Le blasphème contre un Dieu possible, de brûlant désirs de vengeance contre le riche heureux qui l’écrase, et d’implacables malédictions contre la société qui ne lui donne pas tout ce qu’il se croyait en droit d’en exiger. Plusieurs d’entre vous, Messieurs, taxeront ce portrait d’exagération, parce que vous êtes tous les jours témoins des vertus et de l’admirable dévoûment de nos ouvriers catholiques et de leur héroïque résignation, aux époques de souffrance. Mais sondez certaines couches populaires; écoutez attentivement certains bruits sourds, à peine comprimés; interrogez certains êtres déclassés, qui fourmillent partout à l’heure qu’il est et qui s’en vont portant de ville en ville leur misère vagabonde et leurs menaçantes prétentions; et vous me direz si ce tableau est chargé de trop sombres couleurs!

Ce déplorable état est-il donc sans remèdes? Non, Messieurs; le mal est grand, je crois pourtant qu’on peut le combattre.

Par quels moyens? En apaisant ces fureurs, en calmant l’irritation de ces plaies, en fortifiant ces coeurs brisés, en éclairant ces intelligences obscurcies par d’horribles passions, en rappelant à ces malheureux qu’ils sont des hommes, pour les aider plus tard à devenir des chrétiens, en évangélisant ces pauvres.

Oui, il faut les consoler; et, pour les consoler, il faut les instruire. Qu’on ne me dise pas que, arrivés à un certain degré d’abrutissement et d’exaspération, ils sont incapables d’être instruits et consolés. Ils en sont toujours capables. Quand Jésus-Christ commença sa prédiction évangélique, qu’était donc devenu le monde ? Quelle nuit et quel chaos! Seulement le courage manque; il faut le réveiller. On dira encore que les grâces premières de l’évangélisation semblent taries; que la sève n’est plus la même. Erreur, erreur profonde, Messieurs! Aujourd’hui comme alors, le véritable zèle apostolique est toujours couronné de succès. Depuis cinquante ans, un des quartiers de Paris (le faubourg Saint-Marceau) était réputé entre tous comme un des foyers les plus redoutables d’habitudes immorales et de passions révolutionnaires; le zèle d’une humble fille de S. Vincent-de-Paul l’a renouvelé. L’anarchie désespère d’y trouver ses instruments d’autrefois, et s’en venge en commençant par jeter de la boue, même sur la cornette des Soeurs de Charité.. Triste symptôme, sans doute, mais qui n’en prouve pas moins la vérité de ma thèse. J’ajouterai encore, en l’honneur des corporations qui s’occupent le plus du peuple, que ce sont elles qui recueillent aujourd’hui les fruits les plus précieux et les plus abondants. Interrogez les humbles fils de S. François. Ils vous diront que jamais leurs prédications ne furent plus suivies. Pourquoi cela? sans doute parce que, si le peuple est irrité par des passions mauvaises, il accepte d’être apaisé, en devenant plus instruit. Occupez-vous donc de lui; parlez-lui de ses peines, mettez votre main dans sa main; vous ferez des hommes nouveaux, vous affranchirez des esclaves, vous préparez des citoyens pour le ciel.

Mais cette évangélisation ne s’arrête pas aux pauvres. Il est une autre classe qui a besoin d’être éclairée, d’être avertie, peut-être même d’être effrayée. Les hommes de cette catégorie sont des riches selon le monde, et il leur importerait de savoir qu’ils sont des indigents de la pire espèce; car, ayant des oreilles, ils ne veulent pas entendre; ayant des yeux, ils ne veulent point voir. -Leurs ressources matérielles sont grandes; mais qu’en font-ils

Si quel’qu’orage social vient à gronder, vite on les voit chercher un abri dans le sanctuaire; ils invoquent à grands cris le principe religieux, que naguère ils insultaient; ils veulent alors la propagation des bons livres et cherchent tous les moyens de moraliser les rangs inférieurs de la société. L’orage s’éloigne-t-il, leur tactique change. S- ils veulent bien encore de la religion, c’est pour le peuple. Le calme paraît-il complètement rétabli, ils ne veulent bientôt plus de religion, ni pour le peuple ni pour eux; car les enseignements dont ils se sont affranchis pourraient remonter jusqu’a leur conscience comme une bouffée de remords. Ah! c’est bien à ceux-là qu’il faut offrir l’aumône spirituelle. J’oserai même dire qu’il faut la leur imposer. Car, si Dieu les frappe plus tard, ils ne pourront se plaindre de n’avoir pas été prévenus

Les chrétiens doivent être, sur ce point, la justification de la Providence. Je voudrais pouvoir exprimer ici la mission de la classe élevée et chrétienne à l’égard de la classe élevée et chrétienne et incrédule. Je voudrais pouvoir faire comprendre quelle pitié, quelle commisération doivent inspirer certains hommes que l’on coudoie tous les jours; quels efforts il faudrait tenter pour leur rendre la lumière et quelle terreur doit inspirer leur persévérance obstinée à en repousser les rayons. Peut-être ne connaissent-ils pas tous leurs devoirs? L’aumône spirituelle, versée par une main amie, parviendrait bien souvent à les leur faire comprendre. Terrible responsabilité de ceux qui peuvent et ne font rien! Ah! si les chrétiens voulaient parler là où la voix du prêtre ne pénètre pas, que de préventions seraient dissipées! que d’aspirations perdues dans le vide prendraient une direction bienfaisante! que d’intelligences trouveraient dans la foi le terme de leurs doutes! que de coeurs égarés apprendraient à diriger vers les sphères supérieures la flamme inutile qui les dévore, et sauraient exercer à leur tour une influence salutaire!

Pour se livrer à cette sorte de bienfaisance, il faut, je l’avoue, du courage; il faut savoir supporter le dédain et s’exposer à toutes les ironies. Il est fatigant de recevoir des avis; il est si doux d’échapper aux menaces de la conscience par un bon mot, et de confondre par une épigramme le donneur imprudent de conseils importuns! Mais il faut se dire, en allant porter l’obole de la Vérité à ces intelligences qui se ruinent elles-mêmes comme à plaisir, qu’il se trouve toujours, au milieu des natures les plus affaiblies, quelques coeurs disposés à recevoir une parole forte et à en profiter.

Il a été dit du Verbe fait chair qu’il était la lumière destinée à éclairer tout homme venant en ce monde ». N’est- il pas évident qu’aujourd’hui plus que jamais, le monde ne l’a point connue; mais il faut ajouter aussi que, plus que jamais, cette lumière veut luire dans les ténèbres, afin de les dissiper.

C’est un merveilleux combat, Messieurs, que celui que se livrèrent les ténèbres et la lumière, la sainteté et les passions, quand les Apôtres commencèrent l’évangélisation du monde au nom de Jésus-Christ. Quelles fureurs suscitées! quels étonnemens et quels scandales! Ce n’étaient pas seulement les fausses divinités, tremblantes sur leurs autels ébranlés; c’était la politique de l’empire se troublant dans ses prévisions d’avenir; c’étaient la science et la sagesse humaine, refusant de croire ce qu’elles ne comprenaient pas et repoussant déjà la Foi et la Vérité, au nom de la raison et de l’orgueil. Depuis, la guerre a continué; mais, après les gigantesques combats du commencement, rarement on a vu des moments aussi solennels que ceux de l’époque présente. Au nom de la science humaine, voyez quels assauts livrés à la science divine! La libre pensée ne veut pas plus de joug que Satan. Or, il faut reprendre le terrain perdu; il faut aller au-devant de ces intelligences égarées; il faut les évangéliser, les révéler à elles-mêmes, leur révéler Dieu. L’ignorance des choses divines est si grande, qu’on se prend à se demander si une seconde manifestation de la Vérité n’est point indispensable. Elle se fera, soyez-en sûrs, si les hommes de foi le veulent bien; et telle est la mission sublime de nos jeunes générations, tel est le but de cette éducation plus fortement trempée d’esprit chrétien, dont nous voudrions les imprégner. Oserai-je dire que cette évangélisation est un sujet d’effroi pour un très-grand nombre d’esprits? Elle est la condamnation du monde, de ses doctrines, de ses passions. La promulgation de la loi du devoir, en face de tant d’appétits effrénés, se présente comme une menace; on en a peur, on n’en veut pas. Toute loi a sa sanction; et, comme le devoir ne peut être imposé que par Dieu, il est tout simple qu’une sanction divine épouvante ceux qui repoussent l’observation de la loi. Or, c’est là une douloureuse mission, sans doute, que de rappeler aux générations plongées dans les désirs et les appétits de la terre, qu’au delà du temps il y a un juge pour récompenser et pour punir.

L’aumône spirituelle! mais c’est une protestation contre les flots envahissans du matérialisme. Ces flots montent toujours avec la plus effrayante rapidité. Le bien-être matériel, voilà ce qu’on désire par-dessus toute chose; et, pour se le procurer, on se cramponne à la surface de la terre, comme si elle devait nous échapper, et comme si la mort ne devait pas faire bientôt rentrer dans ses entrailles la poussière dissoute de nos corps. Le bien-être matériel! telle est la source de tous ces efforts gigantesques et criminels de la spéculation. On ruinera des malheureux par centaines, à la condition de s’enrichir; et, si l’on roule soi-même au fond de l’abîme, Dieu sait avec combien de victimes entraînées par les plus folles espérances! Or, tous ces désordres dans la fortune, d’où viennent-ils, sinon de la conviction que les jouissances matérielles et la richesse qui les procure doivent passer avant tout. Je sais bien que l’acceptation des grands principes chrétiens est comme impossible pour ceux qui n’ont d’autre préoccupation que l’accroissement de leurs richesses; mais c’est contre les funestes doctrines derrière lesquelles ils s’efforcent de cacher leurs projets immoraux, qu’il importe de protester. L’aumône spirituelle donnée aux masses est pour celles-ci un préservatif; elle est un obstacle aux progrès des spéculations matérialistes, toujours ruineuses pour les petits; et, pour le dire en passant, elle est une des causes pour lesquelles tant d’hommes détestent la Vérité. La Vérité veut qu’on respecte l’homme, et l’égoïsme matérialiste veut avant tout avoir le droit de le mépriser, afin de l’employer, comme un plus vil et plus facile instrument, à l’augmentation de ses richesses ou à l’assouvissement de ses convoitises.

Mais ce qu’on n’observe pas assez peut-être, c’est le secours puissant que l’aumône spirituelle apporte aux catholiques qui s’en font les dispensateurs. Qu’est-ce, à proprement parler, que la société chrétienne, sinon l’union des intelligences par un lien commun, qui est la Vérité. La Vérité est, en même temps, une nourriture. Or, plus les chrétiens la reçoivent, plus ils sont forts; plus ils la communiquent, plus ils ont droit aux secours d’en haut; car servir la cause de la Vérité, c’est servir la cause de Dieu même.

Il y a plus, la cause Dieu veut être servie par les moyens qui lui sont propres. Aucun moyen plus digne de Dieu, que cette action évangélique, qui forme comme l’écho retentissant dans toutes les classes de la prédication du Sauveur ici-bas.

Enfin, à l’encontre des doctrines de mensonge qui vont se répandant de toutes parts, je ne connais point de remède plus puissant qu’une vaste propagande de la Vérité.

Mais comment l’organisera-t-on? Certes, on pourrait d’abord répondre qu’elle est tout organisée, puis que c’est au corps des pasteurs qu’il a été dit: « Allez et enseignez »; mais il est évident que je propose un apostolat dépendant de cet apostolat supérieur, qui s’efforce toujours de lui venir en aide, et ne craigne pas, par l’effet des préjugés les plus absurdes, de répondre à son appel et d’obéir à la loi. C’est en ce sens seulement que les simples chrétiens peuvent avoir un ministère à exercer; ils pénètrent là où le prêtre ne pénètre pas; ils préparent et accoutument les âmes à entendre la voix sacerdotale; mais, même pour accomplir cette missions préparatoire, il faut certaines conditions. L’ignorance, chez les chrétiens, est un mal peut-être aussi général que déplorable. On parle de ce qu’on ne connaît pas, on défend la Vérité par des arguments souvent indignes d’elle, on fait des concessions, on avance les plus absurdes paradoxes. L’ignorance semble un mal impossible, pour qui a de bonnes intentions; on ne songe pas qu’elle est la conséquence du péché originel. Il faut, par conséquent, la combattre chez soi, avant de la dissiper chez les autres. Quelle époque plus précieuse, après tout, pour étudier, que celle où tant de doctrines contradictoires sont mises en avant, où tant d’esprits intéressés à nier ce qui est vrai disent au Christianisme, comme Pilate A Jésus: « Qu’est-ce que la Vérité? » Il faut leur montrer ce qu’elle est, cette Vérité divine; il faut la leur faire toucher du doigt, il faut rendre inexcusable leur refus de la reconnaître; et, pour cela, il faut l’étudier en elle-même et avec tous les nouveaux aspects sous lesquels les erreurs modernes forcent à l’envisager. Quand nous nous en serons ainsi pénétrés, quand nous l’aurons rendue nôtre, alors pourra commencer pour nous l’heure de l’évangélisation. Car nous ne devons pas étudier pour nous seuls. Il faut instruire les autres. Il faut savoir exposer cette Vérité qu’on aime à des âmes qu’on aime. Aimer la vérité! Aimer les âmes! Alors on sait comment leur parler, comment s’y prendre pour atteindre certaines intelligences rebelles. On les instruit par l’exemple, par un mot dit à propos, par de patientes conversations; on instruit, même en écoutant.

Mais quoi! vous n’avez pas le courage d’instruire, vous n’avez pas le don de parler. Procurez alors, vous dirai-je, par tous les moyens possibles, l’instruction que vous ne pouvez pas donner directement. Livrez-vous A toutes les oeuvres qui fournissent des ressources à la défense de la Vérité. On vous devra ce livre pieux, qui a fait tant de chemin dans certaines âmes; ce bon journal, qui a dissipé tant de préjugés; cette prédication, qui n’eût pas été entendue, si vous n’étiez pas venu en aide au zèle du pauvre missionnaire. Voilà de quoi vous occuper, même sans sortir de chez vous; voilà des devoirs que je vous révèle, auxquels vous ne pensiez pas, et dont pourtant il vous sera demandé compte, un jour, d’autant plus rigoureusement qu’ils vous sont plus évidemment imposés par les circonstances présentes.

Peu de jours avant de quitter la terre, Jésus-Christ prenait avec ses Apôtres le repas su soir chez un de ses amis. Une femme, s’approchant de lui avec un vase d’albâtre plein de parfums, brisa le vase et répandit les parfums sur les pieds bénis du Sauveur. Les Apôtres s’indignèrent: « Quelle dépense perdue, dirent-ils; n’eût-on pas pu vendre ces parfums et en distribuer le prix aux pauvres? » -« Vous aurez toujours des pauvres avec vous, leur répondit Jésus; pour moi, vous ne m’aurez pas toujours ».

Messieurs, il y a une céleste voyageuse à qui les hommes préparent quelquefois de douloureux supplices. Il est bon, pour ceux qui l’aiment, de lui offrir des hommages dignes d’elles, et, avant qu’elle ne s’en aille, de répandre qur ses pieds fatigués les parfums consolateurs. Il peut être bon de secourir les pauvres; mais le Fils de l’Homme était pauvre aussi, et l’Eternelle Vérité, qui s’était incarnée en lui, semble vouloir, de nos jours, connaître de divines indigences. Elle demande de pouvoir descendre encore dans les âmes, elle demande de les éclairer de nouveau. Craignons, Messieurs, que notre indifférence ne l’éloigne; et forçons-là à demeurer parmi nous, en nous faisant ses messagers.

Mes Enfants, si l’on était tenté de croire que les conseils que je viens de présenter sont au-dessus de votre âge, je répondrais que j’ai seulement raconté ce que font déjà à quelques-uns d’entre vous. Les promenades du dimanche ne sont-elles pas, pour plusieurs, un temps employé à cette aumône spirituelle, dont je viens d’entretenir vos parents? On vous voit dépouiller momentanément le caractère d’écolier, prendre celui de professeur, et, pour attirer des élèves à vos leçons, sacrifier vos desserts, prélever sur vos semaines, afin d’augmenter le charme de votre enseignement par d’attrayans goûaaters et de subvenir aux frais de distributions de prix, qui se composent, non pas de livres seulemtn, mais de blouses et d’utiles pantalons. Le pantalon, la blouse, le goûter, ce sont vos piéges ingénieux pour inculquer à une centaine d’enfants l’instruction chrétienne, qui se grave d’autant mieux en vous que vous la transmettez aussitôt après l’avoir reçue. Telle est votre manière de pratiquer l’aumône spirituelle; mais il ne suffit pas de la répandre pendant l’année scholaire et sous l’oeil de vos maîtres; il faut, si on vous le permet, et on vous le permettra, si vous le voulez -bien-, il faut vous y livrer, dans la plénitude de votre liberté, pendant les vacances; prendre, par ce moyen des engagements avec vous-mêmes, pour l’époque où vous serez entièrement vos maîtres, et vous proposer de donner à vos études de couronnement le plus précieux, en les faisant servir à l’extension du royaume de Dieu sur la terre. Ainsi vous méritez le titre, si glorieux pour un chrétien, de vaillant défenseur de la -Vérité-!

Notes et post-scriptum