TEXTES AYANT TRAIT AU COLLEGE DE NIMES.|DISCOURS DE DISTRIBUTION DES PRIX.

Informations générales
  • TD 1-5.198
  • TEXTES AYANT TRAIT AU COLLEGE DE NIMES.|DISCOURS DE DISTRIBUTION DES PRIX.
  • DISCOURS SUR L'OEUVRE DES BULGARES.
  • Discours sur l'oeuvre des Bulgares (Dans: De l'oeuvre des Bulgares. De l'esprit moderne. Deux discours prononcés à la distribution solennelle des prix de l'Assomption, le 1er août 1862. Nîmes, Imprimerie J. Roumieux, 1862, p. 5-16.
  • DU 18; TD 1-5, P. 198.
Informations détaillées
  • 1 APOSTOLAT
    1 CATHOLICISME
    1 CHRISTIANISME
    1 CLERGE ORTHODOXE
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 CONGREGATION DES AUGUSTINS DE L'ASSOMPTION
    1 DISCOURS DE DISTRIBUTION DES PRIX
    1 ENGAGEMENT APOSTOLIQUE DES LAICS
    1 ENSEIGNEMENT DE L'HISTOIRE
    1 MAHOMETANISME
    1 MISSION DE BULGARIE
    1 PAPE
    1 PRIERE POUR L'EGLISE
    1 QUESTION ROMAINE
    1 RESSOURCES MATERIELLES
    1 RETOUR A L'UNITE
    1 REVOLUTION ADVERSAIRE
    1 SCHISME GREC
    1 SCHISME ORIENTAL
    2 BOSSUET
    2 CICERON
    2 HANNIBAL
    2 HORACE
    2 MAISTRE, JOSEPH DE
    2 NAPOLEON Ier
    2 PIE IX
    2 PLANTIER, CLAUDE-HENRI
    2 ROMULUS
    2 ROUMIEUX, IMPRIMEUR
    2 TACITE
    2 VIRGILE
    3 AMERIQUE
    3 AUSTRALIE
    3 BULGARIE
    3 CANNES
    3 IRLANDE
    3 POLOGNE
    3 ROME
    3 RUSSIE
    3 SIBERIE
    3 TURQUIE
  • Le 1er août 1862.
  • Nîmes
La lettre

Monseigneur,

Messieurs,

Parler des lieux qu’illustrèrent Cicéron et Tacite, Virgile et Horace peut convenir à une distribution de prix; et vous vous attendez peut-être à ce que je vienne évoquer devant vous les souvenirs que j’ai emportés de mes dernières visites aux ruines de la vieille Rome, ou du moins vous raconter les surprises qu’ont excitées en moi les splendeurs de Rome chrétienne, dominant de son éternité toutes les agitations qui l’assaillent. Il est, en effet, des lieux privilégiés, pleins de tant de mystères et de tant d’enseignements, qu’on a beau en fouler la poussière et en sonder les profondeurs, on ne va jamais au bout de leurs richesses ni de leurs beautés. Les événements s’y pressent sous des formes si diverses que, lorsqu’on croit avoir épuisé l’admiration, on y trouve encore de nouveaux spectacles à admirer, de nouvelles leçons à recevoir. Ce privilège est plus particulièrement celui de Rome: c’est que la vérité elle-même semble s’y être assise, et vouloir y parler par tous les monuments qu’on y découvre, par tous les événements qui s’y accomplissent. Il n’est pas une ville ou le passé soit, comme là, une prophétie de l’avenir. Tout, depuis les plus grossiers vestiges des premiers enfants de Romulus jusqu’au glacial matérialisme de la sépulture des grandes familles romaines dégénérées, placé en face de cet élément chrétien qui, depuis dix-huit siècles, a imprégné cette terre, et du sang de ses Martyrs, et des larmes de ses Pontifes; tout indique qu’à Rome, au-dessus de tant de grandeurs humaines qui sont venues y briller et s’y éteindre, il y a quelque chose de plus grand encore, il y a la destinée de l’Eglise et la manifestation terrestre de la majesté de Dieu.

Mais d’autres, mieux que moi, ont déja dit ou vous diront leurs impressions classiques et leurs émotions religieuses; ils vous diront ce qu’ont produit dans leur âme ces cérémonies où la religion semble forcer le ciel à descendre un moment sur la terre; ils vous diront ce qu’ils éprouvèrent, en entendant la grande voix de Pie IX planant au-dessus de cent mille têtes et bénissant la ville et le monde entier, du haut de l’église mère et maîtresse de toutes les églises; ils vous diront ce qu’est la sérénité du vicaire de J.-C., au moment où tant de révolutions semblent prêtes à ébranler son trône, et ce qu’est son amour pour ceux qui le maudissent. Pour moi, je veux aujourd’hui m’arrêter à un point de vue non moins grandiose, mais moins connu, et qui aura peut-être un peu plus d’intérêt dans cet auditoire, parce qu’il est, en même temps, plus intime, et, par un certain côté, plus personnel.

On dit qu’au moment ou Annibal, vainqueur à Cannes et à Trasimène, entourait Rome de son armée, deux citoyens traitèrent entre eux, sur le forum, du prix du champ où les troupes carthaginoises avaient planté leurs tentes; tant ils avaient confiance aux destinées de la patrie et au triomphe de leurs aigles! Ce fait, si admiré dans l’antiquité païenne, se reproduit tous les jours, sans qu’on y prenne garde, dans le gouvernement de Pie IX. Qui peut, en ce monde, lui prédire sur quelle pierre, dans quelques mois, dans quelques jours peut-être, il ira reposer sa tête septuagénaire? Ce n’est qu’un vieillard, un roi à demi détrôné, et à qui de premières spoliations semblent présager une spoliation plus complète encore. Les puissants de la terre font, tous les jours, autour de lui, un vide plus glacial; peu à peu les secours humains se retirent; il semble que nous touchions à un de ces moments dont on a si souvent dit, après Bossuet: Quand Dieu veut montrer qu’une oeuvre est toute de sa main, il réduit tout au désespoir, puis il agit.

En effet, Pie IX ne sait ni quelle vie ni quelle mort la Providence lui va faire; il sait seulement qu’il est le successeur des Apôtres, il veut continuer leur mission. Peut-être même serait-il facile d’expliquer les amertumes de ses vieux jours par la manière dont il a accompli ses devoirs apostoliques. Nul Pape, peut-être, n’a envoyé autant de missionnaires aux extrémités du monde; nul Pape, à coup sûr, n’a institué autant de sièges épiscopaux et n’en a autant relevé, dans les lieux mêmes ou l’hérésie et le schisme les avaient abolis. C’est là, certes, un accroissement de puissance ecclésiastique incontestable, dont Satan, par la main des hommes, devait chercher à se venger; car enfin, près de trois cents nouveaux évêques établis par un Pape, ce sont trois cents citadelles d’où les armées de Dieu se disposent à s’élancer vers de nouvelles conquêtes. L’on sait assez les désagréments qu’un seul évêque peut quelquefois causer. Et vous voulez qu’en face d’une pareille menace de guerre, les légions de Satan restent immobiles derrière les portes de l’enfer? Or, reste le magnifique et terrible spectacle réservé à nos jours; c’est que jamais les forces humaines de l’Eglise n’avaient semblé plus amoindries; jamais les ressources de ses adversaires plus grandes; jamais la sagesse et la prudence de la terre, plus près d’anéantir le scandale de la Croix; et jamais, soyez-en sûrs, la main de Dieu n’aura paru plus visible, lorsque toute main de chair aura retiré son appui.

Ne vous disais-je pas qu’un citoyen romain se trouva pour acheter le champ ou campait Annibal, aux portes de Rome? Pie IX, avec moins de fierté, mais avec une fermeté non moins grande, fait quelque chose de pareil. Il ne sait combien de nuits encore la Révolution lui permettra de dormir au Vatican; et, d’un de ces regards qui embrassent le monde, il cherche où blanchissent les moissons pour y envoyer des ouvriers; et, tandis que l’Occident semble s’affaisser dans les ténèbres du doute et de l’incrédulité, son oeil apostolique découvre dans l’Orient je ne sais quels symptômes de réveil. Il les encourage, les bénit, il cherche des hommes à qui il puisse dire, comme le Sauveur du monde à ses disciples: « Voilà que je vous envoie… Allez, et enseignez ».

Je vous demande la permission d’entrer avec vous dans quelques détails intimes, sur cette grande question du christianisme oriental; aussi bien, par le temps qui court, il peut être dangereux de traiter certains sujets trop près de nous. Dans des réunions comme celle-ci, j’aime à me trouver à l’aise; c’est pourquoi je pars pour l’Orient et je vous invite à m’y suivre; uniquement afin de mieux rester dans mon sujet.

Lorsque j’arrivai à Rome, il y a bientôt trois mois, je ne me doutais certainement pas que, parmi les ouvriers sur lesquels le Pape devait jeter les yeux, pour ramener certaines populations de l’empire turc à l’unité, se trouveraient les membres de notre très-humble et très-modeste Congrégation; et que nous contribuerions ainsi, pour notre imperceptible grain de sable, à l’oeuvre qui devait décider une puissance schismatique à reconnaître une puissance excommuniée.

J’aperçois, dans cet auditoire, plus d’un membre de cette Caravane de Nîmes, qu’on a honorée de tant de sympathique bienveillance et de tant de bruit. Si vous les interrogiez sur les plus heureux moments de leur magnifique pélerinage, ils vous assureraient qu’une des plus belles heures qu’ils ont passées à Rome a été celle ou, admis au Vatican, ils virent Pie IX récompenser, par les témoignages les plus affectueux, notre vaillant et glorieux chef de son zèle à défendre les droits du Saint-Siège. Devinant, par son propre coeur, le coeur de notre Evêque, le Pape semblait vouloir multiplier sa joie par tout cs qu’il manifestait de tendre et de paternel pour chacun d’entre nous. Tous nous pûmes recueillir des paroles pleines de bonté. Pour moi, j’entendis le Souverain-Pontife bénir ce qu’il appelait mes oeuvres d’Orient et d’Occident. Le sentiment indicible que j’éprouvai alors devait pourtant être surpassé par celui que je ressentis, quelques heures plus tard, en me voyant appelé à une audience particulière que je n’aurais osé solliciter du Souverain-Pontife, au milieu de son immense surcroît de travail. Le Pape voulut bien me parler de l’Orient. Ce qui se passa dans les précieux instants qui me furent accordés, le respect, vous le comprenez, m’empêche de le répéter; mais j’emportai le droit, je dirai presque la mission, d’étudier cette question si grave du retour à la foi des populations orientales, et de chercher, avec l’aide de plusieurs personnages éminents, quels seraient les moyens à prendre pour atteindre le but indiqué. Ce n’est pas ici le lieu d’exposer les différents systèmes qui ont été présentés et qui préoccupent un grand nombre d’esprits. Nous espérons, avec la grâce de Dieu, choisir, quand il en sera temps, le plus conforme à ses desseins et le plus proportionné aux moyens et aux ressources dont nous pourrons disposer.

Cependant, tandis que le zèle apostolique prépare ses plans, la Révolution, elle aussi, prépare les siens. De sourdes agitations ébranlent déjà le sol; e ne sais quels projets de prétendues rénovations circulent dans l’air. Des combinaisons sont étudiées, et les ambitions sont émues. Au milieu des catastrophes annoncées par les sages, est-il utile, est-il prudent d’aller commencer l’évangélisation de ces contrées? N’est-il pas préférable d’attendre des jours meilleurs? Grave question, dont la solution serait impossible à la prudence humaine, si nous n’avions constamment vu les travaux de l’Eglise, depuis son origine, grandir et se consolider au milieu des tempêtes.

Je ne pense pas être accusé de faire de la politique, si je dis, après M. de Maistre, qu’il est bien possible qu’on chante le Te Deum, à Sainte-Sophie de Constantinople, avant la fin du siècle. Les plus anciens commentateurs des Saints Livres, vous le savez, placent le terme de l’empire musulman vers 1880; mais il est naturel de penser que les défenseurs de cette puissance si ébranlée s’efforceront de la soutenir par tous les moyens possibles. Or, de tous les adversaires de l’empire turc, le plus redoutable, incontestablement, c’est la Russie, qui, au nom de l’église orthodoxe, prétend étendre tous les jours ses envahissements du côté de Constantinople. Si donc, entre Constantinople et la Russie, on pouvait étendre une zone de populations catholiques, tous les prétextes d’usurpation viendraient, logiquement du moins, à disparaître, et la Porte pourrait espérer une prolongation d’existence.

Ces simples observations suffisent pour montrer quel intérêt les hommes d’Etat de la Turquie ont, quelles que soient d’ailleurs leurs croyances personnelles, à favoriser le développement du Catholicisme chez eux. L’objection tirée des massacres récents n’en est pas une. Ces massacres n’eussent peut-être pas eu lieu, si on n’eut eu affaire qu’à des catholiques. Quoi qu’il en soit, ce que l’Islamisme menacé redoute le plus aujourd’hui, c’est le Schisme, auxiliaire naturel de la Russie. La force sur laquelle la Porte peut le plus compter pour repousser le Schisme, c’est l’Eglise catholique, qui, de son côté, prend une attitude toute différente à l’égard du commandeur des croyants.

Singulière position, que la Révolution fait au Croissant et à la Croix! Ces deux ennemis séculaires se rapprochent par la force des choses. Les successeurs de Mahomet sentent, malgré eux, le besoin d’abriter le peu d’autorité qui leur reste derrière le grand principe de toute autorité sur la terre! Et au milieu des tumultes qui semblent devoir la renverser, l’Eglise, pleine d’espérance, regarde l’Orient; pour reconquérir des enfants égarés, elle accepte la trève que sollicitent les sectateurs du Coran!

D’autre part, un concours de circonstances providentielles a permis que l’agglomération de peuples placée entre Constantinople et la Russie fut saisie, depuis quelques années, des plus étonnantes aspirations catholiques. Quelles étaient les causes de ce merveilleux mouvement? Il y en avait deux principales. D’abord, la tyrannie incroyable du clergé grec, les exactions simoniaques à l’aide desquelles évêques, archimandrites, simples prêtres, pressuraient ces pauvres populations, qui ne pouvaient, sans de graves dangers, avoir recours au gouvernement turc. La Russie comptait bien profiter de l’irritation et du mécontentement causés par une oppression devenue intolérable; mais Dieu avait d’autres desseins. On se demande quelquefois: A quoi bon l’esclavage séculaire de certains peuples catholiques? On se demande si leur martyre prolongé n’est pas une grave objection contre l’assistance de Dieu sur ses enfants? Cette objection peut avoir de la force, tant qu’on n’aperçoit pas les résultats du plan divin; mais, quand ils commencent à apparaître , il est facile de voir comment Dieu, fildèle aux lois qu’il à posées dès les premiers jours de l’humanité déchue, a voulu rendre son Eglise féconde par la souffrance. Si l’Irlande n’avait pas subi une tyrannie de trois cents ans, elle n’eût pas peuplé de catholiques le Nouveau-Monde et les établissements anglais, jusqu’aux colonies australiennes les plus reculées. Si la Pologne n’avait pas si cruellement gémi sous le joug des czars, elle n’eut pas envoyé un si grand nombre de ses enfants, menacés des glaces de la Sibérie, porter dans la Turquie d’Europe, avec le légitime effroi du despotisme russe, le sentiment que, dans les circonstances présentes, le retour à l’unité romaine était le seul moyen de salut.

L’opposition créée dans l’agglomération bulgare, par les réfugiés polonais, suffira-t-elle pour arrêter définitivement les prétentions moscovites? Nul ne le sait; mais ce qui est certain, c’est que, au milieu des mécontentements profonds contre les chefs du Schisme grec, et des terreurs qu’inspire la domination russe, l’idée de tourner les yeux vers Rome est venue à plusieurs. On dit même que si l’on eût su, il y a deux ans, profiter avec habileté des dispositions généralement répandues, on eût vu s’accomplir un retour en masse de plusieurs millions de chrétiens. Pour nous, il nous est impossible de regretter qu’une aussi rapide conversion n’ait pas eu lieu. Un travail plus lent est toujours plus solide; on a le temps de prévoir les difficultés, d’écarter les obstacles, on a le temps de fonder des institutions plus stables, de répandre une instruction plus abondante, de préparer un clergé plus digne de son ministère, et de former ces relations qui en s’établissant peu à peu, causent moins d’étonnement, au milieu d’habitudes et de traditions si diverses.

Et maintenant, mes enfants, si vous me demandez pourquoi, en vous envoyant en vacances, je vous ai entretenus de ces choses, je vous le dirai en peu de mots.

Premièrement, l’arme par excellence des chrétiens, celle qui résiste à toutes les forces et les surmonte toutes, c’est la prière. En rentrant, chez vous, vous demanderez à vos mères et à vos soeurs de prier pour nos futurs travaux.

Secondement, il est d’indispensables ressources pour lesquelles vous seriez, si vous le vouliez, des émissaires puissants; il est certaines conditions matérielles qui arrêtent ou servent à développer le mouvement catholique, dans ces contrées, la plupart très-pauvres: ce sont les moyens de subvenir au culte public.

Il ne faut pas se faire illusion: si l’or du protestantisme anglais n’exerce, dans ces contrées, qu’un prosélytisme peu dangereux, c’est que, à proprement parler, le protestantisme n’a pas de culte, et que l’Oriental tient, par-dessus tout, aux manifestations extérieures de son adoration. Il importe de lui fournir les moyens de reproduire sa liturgie, d’où l’on n’a presque rien à enlever pour la purifier de toute erreur et la rendre à son intégrité primitive. Pour cela, il faut fournir au clergé, qui nous revient ou que l’on forme, des ornements et des églises. Pour les ornements, mes enfants, vous vous transformerez en solliciteurs, et vous nous ménagerez tous les produits d’une industrie aussi intelligente que charitable. Et, quant aux Eglises, que nous ne pouvons envoyer toutes faites, vous quêterez, vous ferez quêter, et vous rendrez en aumônes à l’Orient ce qu’il nous donna jadis en vérités. Plusieurs centres ont été créés pour recueillir ces ressources: ce sont l’Oeuvre des Ecoles d’Orient, l’Oeuvre de la Propagation de la Foi. On dit même que de nouveaux comités viennent d’être formés. Jusqu’à nouvel ordre, je n’en exclus aucun; et, bien que mon penchant incline vers ce qui, étant plus ancien, semble offrir de plus grandes garanties d’expérience et de stabilité, je préfère vous laisser une liberté entière. N’importe par quel canal s’écoule votre charité, pourvu qu’elle atteigne le but que je vous indique.

Je m’attends déjà, mes enfants, à une foule de questions qui vont m’être adressées par vous ou par vos parents. « Mais quoi, me dira-t-on, si vos préoccupations se portent ainsi du côté des Bulgares, quel temps vous restera-t-il pour vos collégiens »?

Je réponds tout d’abord qu’il serait insensé d’abandonner une oeuvre, au moment où elle reprend avec le plus de vigueur ses développements anciens. En effet, jamais, peut-être, n’avons-nous vu nos murs abriter un meilleur esprit; et, bien que nous ayons aperçu quelquefois chez les plus grands certaines mollesses jointes à certaines vanteries gasconnes, le niveau moral de la maison s’est incontestablement relevé. Malgré quelques légères infractions aux lois de la discipline, l’esprit est excellent dans l’ensemble; une émulation légitime se développe chez un grand nombre, et la paresse est assez énergiquement poursuivie pour désespérer bientôt de pouvoir se cacher à des regards impitoyables. Loin donc de renoncer à notre chère Maison, l’oeuvre que je voudrais y joindre est une preuve évidente que je compte d’une manière absolue sur la prospérité de l’oeuvre fondamentale. Vous savez qu’ici l’on aime tout ce qui peut donner de la vie. Nous n’avons plus les Conférences de Saint-Vincent-de-Paul; nous aurons l’OEuvre des Bulgares. Nous ne porterons plus nos aumônes aux indigens de Nîmes; nous les enverrons aux pauvres de l’Orient. La charité catholique a cela de propre, que, souple comme la flamme qu’elle prend pour emblème, elle ne s’arrête devant certaines barrières que pour aller se répandre là où elle trouve la liberté.

Enfin, est-ce que je ne voudrais prendre que la moitié des bénédictions que Pie IX a versées sur nous en si grande abondance? Il a béni nos oeuvres d’Orient à peine en germe; mais, quelque humbles que soient nos oeuvres d’Occident, elles existent depuis longtemps déjà, et je ne me sens aucune disposition à sacrifier leur droit de priorité. Soyez donc parfaitement rassurés. Avec la permission de Dieu et les bénédictions de Pie IX, l’Assomption sera toujours un foyer de vie chrétienne pour tous les jeunes coeurs qui viendront lui demander des enseignements et une direction. De toutes les épreuves que cette pauvre Maison a du traverser, il ne reste, pour ceux qui la gouvernent, que ces seules impressions: une grande reconnaissance pour ceux qui lui furent fidèles, une grande bienveillance pour ceux qui ne l’ont pas toujours appréciée comme elle semblait le mériter, mais surtout l’invincible conviction qu’elle porte en elle un germe impérissable de vie qui triomphera de tout, et qui la ferait sortir, tôt ou tard, de ses cendres, si jamais elle était frappée de la foudre.

Je voudrais, mes enfants, qu’un enseignement résultât des considérations que je viens de développer: c’est que, en face des fureurs croissantes de la propagande révolutionnaire et anti-sociale qui nous menace, le zèle de la propagande catholique doit aller redoublant. On vous a souvent parlé, d’une manière générale, du zèle de l’apostolat laïque; je vous en indique aujourd’hui une des formes les plus importantes. Faites, pour le bien , ce que tant d’autres font pour le mal, recueillez des ressources. Usez du grand trésor que les méchants n’auront jamais à leur disposition, la prière. Et si une pensée intérieure pousse quelques-uns d’entre vous à agir après avoir prié, et à faire d’eux-mêmes et de leur jeune vie la plus généreuse aumône, pourquoi repousser une vocation si belle? Tant d’hommes ne donnent pour but a leur existence qu’un résultat matériel, qu’une combinaison de famille, qu’une ambition humaine! Pourquoi n’en verrait-on pas, parmi vous, transportés par des idées plus nobles, s’élancer à la conquête des âmes?

Napoléon Ier disait que l’Occident devait traiter de son avenir au fond de l’Orient. Quoique dans un autre sens, je vous répète les mêmes paroles. Consolez-vous des tristesses faites aux régions où la lumière se couche, en saluant les plages où, comme le soleil de ce monde, le Soleil de l’éternelle Vérité paraît vouloir se lever demain.

Notes et post-scriptum
Note précédant le texte du page 3: Des circonstances indépendantes de notre volonté avaient empêché que les quelques pages qui suivent fussent imprimées au moment de la Distribution des Prix; nous nous en réjouissons, puisque, par une bienveillante surprise, Monseigneur a daigné parler après nous et nous permettre de joindre son allocution à la nôtre.
E. d'Alzon. Nîmes, le 2 août 1862.